Alexis Aron

Alexis Aron
Alexis Aron à l'École polytechnique
Biographie
Naissance
Décès
Nationalité
Formation
Activité

Alexis Aron, né le à Nîmes et mort le à Neuilly-sur-Seine est un polytechnicien, ingénieur au corps des Mines et chef d'entreprise français, principalement dans la sidérurgie. Il dirige différentes entreprises dans les années 1920 et 1930.

Poursuivi pendant la Seconde Guerre mondiale parce qu'il est juif, il vit clandestinement et rédige des plans d'avenir de la sidérurgie. À la Libération, il participe à la réorganisation de la sidérurgie française, mais ses projets de fermeture d'usines lui valent l'hostilité des chefs d'entreprise du secteur. Il soutient ensuite la création de la CECA.

Biographie[modifier | modifier le code]

Ingénieur des mines[modifier | modifier le code]

Alexis Aron est le fils du rabbin Michel Aron[1] et d’Eugénie Rothschild. La famille est originaire de Phalsbourg et Michel Aron opte pour la nationalité française en 1872. D'abord rabbin à Nîmes, il devient en 1883 rabbin à Lunéville. Troisième et dernier enfant[2], Alexis Aron naît le à Nîmes[3].

Il entre à l'École Polytechnique en 1897 et en sort classé quatrième. Il intègre ensuite l'École des mines de Paris, dont il sort premier[1]. Malgré l'antisémitisme qui se développe avec l'affaire Dreyfus, les juifs ne semblent pas être discriminés dans l'accès à l'École Polytechnique ou au corps des mines[4].

Le premier poste d'Alexis Aron est au Service minéralogique de Chalon-sur-Saône, de 1903 à 1909. Marié en 1910 avec Marguerite Forest, le couple aura trois enfants[2]. Il passe ensuite dans le secteur privé, comme directeur de l'Énergie électrique du littoral méditerranéen de 1910 à 1914[1],[2].

Pendant la Première Guerre mondiale, il est capitaine d'artillerie puis chef d'escadron à l'École centrale de pyrotechnie de Bourges. Il est fait chevalier de la Légion d'honneur le . En 1918-1919, il préside la commission interalliée de répartition des combustibles dans les territoires rhénans[1],[2].

Patron sidérurgiste[modifier | modifier le code]

Alexis Aron dirige l'Office des houillères sinistrées du Nord-Pas-de-Calais de 1919 à 1922[1],[2],[5]. Il retourne ensuite dans une entreprise privée, comme codirecteur (1922-1934) puis seul directeur (1934-1940) des Forges et aciéries du Nord et de l'Est[1],[2],[6]. Confier la direction à un ingénieur des mines comme Alexis Aron est alors habituel dans ces grandes sociétés anonymes sidérurgiques[6],[7]. Selon l'historienne Odette Hardy-Hémery, Alexis Aron est à cette époque « un patron éminemment estimé des cadres supérieurs »[8].

Alexis Aron dirige également d'autres sociétés sidérurgiques et joue un rôle croissant dans les instances patronales de la profession, présidant différentes Chambres syndicales. En 1937, il entre[2] au Comité des forges[1],[2]. Il est promu officier de la Légion d'honneur en 1934[3] et entre en 1939 au Comité central de l’Alliance israélite universelle[2].

Un juif poursuivi qui prévoit l'avenir[modifier | modifier le code]

Victime des lois antisémites de Vichy, Alexis Aron doit démissionner de son poste en décembre 1940[1],[2],[6]. Arrêté en décembre 1941 lors de la rafle dite « des polytechniciens », il est interné à Compiègne. Il est libéré grâce à l'intervention de Jules Aubrun, qui préside le Comité d’organisation de la sidérurgie (Corsid)[2]. Il se réfugie en zone Sud avec sa femme et ses enfants[1]. Ils vivent clandestinement dans les Alpes[9],[10] d'abord à Grenoble puis en Savoie, jusqu’en 1944[2].

En juin 1943, il rédige un rapport sur l'avenir de la sidérurgie, « Pour une organisation mondiale de la sidérurgie », dans lequel il propose un futur cartel mondial de l'acier. En 1944, il propose un plan de restructuration de la sidérurgie française, intitulé « Étude d'un plan de réorganisation de la sidérurgie française »[1]. Alexis Aron imagine une paix future qui sera fondée sur une forme de réconciliation plus que sur une revanche :

« En dehors du châtiment implacable à infliger aux responsables du cataclysme actuel, et de l’expiation de tous les crimes accomplis, le futur règlement de la Paix peut s’inspirer de deux tendances ; imposer aux nations vaincues les conditions d’une extrême rigueur, destinées à les placer, pour un long avenir, dans l’impossibilité de déchaîner de nouveaux conflits ; envisager au contraire un traité de conciliation, en évitant de répandre parmi les populations des germes trop certains de redoutables réactions. La présente étude suppose exclusivement l’hypothèse de l’adoption de cette deuxième formule[11]. »

Dans ses projets, la production d'acier est soumise à un contrôle international[9],[10], en se fondant sur l’expérience de l’Entente Internationale de l’Acier[11]. Il défend l'idée, alors très neuve, de l'interdépendance des pays d'Europe en matière de production d'acier[12]. Ses contacts avec les sidérurgistes lui permettent de faire circuler ses textes pour diffuser ses projets[2], qui recoupent partiellement ceux développés à la même époque par Jean Monnet[11].

Tentatives de réorganisation[modifier | modifier le code]

En conséquence, Robert Lacoste, ministre de la production industrielle, le nomme en 1944 commissaire provisoire du Comité d'organisation de la sidérurgie[1], où siègent des anciens du Comité des forges (dissous en 1940) et des représentants du ministère de l'Industrie[9]. Le plan d'Alexis Aron devient la base des discussions sur la modernisation de la sidérurgie française[2]. Les restructurations profondes qu'il propose servent aussi d'argumentaire pour écarter les projets de nationalisations de ce secteur[13].

En décembre 1944, les chefs des entreprises sidérurgiques constituent la Chambre syndicale de la sidérurgie française, pour remplacer l'ancien Comité des forges[9]. En 1945, les comités d'organisation sont remplacés par des offices professionnels et Alexis Aron est nommé président de l'Office professionnel de la sidérurgie[14]. Comme tel, il siège également à l'Irsid, l'Institut de la recherche sidérurgique[15]. Il occupe en quelque sorte une fonction d’interface entre le ministère de la production industrielle et les sidérurugistes, ses anciens pairs[16].

Alexis Aron propose le regroupement des toutes les entreprises françaises de sidérurgie dans trois grandes sociétés[5]. Ses projets de restructuration — il projette également de fermer des usines vétustes, contre l'avis de leurs propriétaires —soulèvent l'hostilité des maîtres de forges de la Chambre syndicale de la sidérurgie française et ne sont pas appliqués, malgré le soutien de Roger Martin, directeur de la sidérurgie au ministère de l'Industrie[1]. Roger Martin affirme plus tard que cet échec est aussi dû au renoncement d'Alexis Aron, qui n'ose pas défendre son projet devant ses pairs sidérurgistes lorrains[17].

Alexis Aron propose aussi de créer une société par actions commune à toutes les entreprises sidérurgiques et à Renault pour construire et gérer deux trains à bandes pour fabriquer de l'acier et des tôles[16],[18]. Devant le refus notamment de François de Wendel, pour qui « C’est à se demander si le directeur de l’Office professionnel de la sidérurgie [Alexis Aron] [...] est un fourbe, un brouillon ou un fou, ou s’il n’essaie pas tout simplement de sauver la situation en se joignant aux chacals qui rêvent de dépecer la vieille Maison. »[16], le projet est finalement abandonné[16],[18].

Soutien de Jean Monnet[modifier | modifier le code]

En 1946, le ministre de la production industrielle Marcel Paul supprime les offices professionnels[14]. La même année, Alexis Aron est membre de la commission de modernisation de la sidérurgie du plan Monnet[1], dont il est un partisan affirmé[2]. Il est promu commandeur de la Légion d'honneur en 1948[3].

En 1950, Alexis Aron fait partie des quelques hommes consultés par Étienne Hirsch et Jean Monnet lors de l'élaboration de la déclaration Schuman[19]. Il l'approuve[1],[19],[5], contre l'avis de la Chambre syndicale de la sidérurgie française[1] et participe ensuite à la mise en place de la Communauté européenne du charbon et de l'acier[2].

Tenu à l'écart par les responsables des entreprises sidérurgiques, il termine sa carrière à un poste peu stratégique, comme président de l'Office technique d'utilisation de l'acier, organisme de promotion des produits sidérurgiques[1]. Il est également conseiller technique à la Chambre syndicale de la sidérurgie[2]. Alexis Aron meurt le à Neuilly-sur-Seine[3].

Distinctions[modifier | modifier le code]

Commandeur de la Légion d'honneur Commandeur de la Légion d'honneur le [3].

Officier de la Légion d'honneur Officier de la Légion d'honneur le [3].

Chevalier de la Légion d'honneur Chevalier de la Légion d'honneur le [3].

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f g h i j k l m n o et p Mioche 2010.
  2. a b c d e f g h i j k l m n o p et q Berger 2011.
  3. a b c d e f et g « Aron Alexis », sur Base de données Léonore. Archives nationales (consulté le ).
  4. Hervé Joly, À Polytechnique. X 1901 : Ils étaient l'élite de la Belle Époque. Qu'ont-ils accompli ?, Paris, Flammarion, coll. « Histoire », , 444 p. (ISBN 9782081512108, lire en ligne), p. 321-341.
  5. a b et c Matthias Kipping (trad. de l'allemand par Olivier Mannoni), La France et les origines de l’Union européenne : Intégration économique et compétitivité internationale, Vincennes, Institut de la gestion publique et du développement économique, coll. « Histoire économique et financière - XIXe-XXe », , 411 p. (ISBN 978-2-8218-4229-8, DOI 10.4000/books.igpde.3529, lire en ligne), p. 19-65, 169-261.
  6. a b et c Hervé Joly, Diriger une grande entreprise au XXe siècle : L’élite industrielle française, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, coll. « Perspectives Historiques », , 428 p. (ISBN 978-2-86906-586-4, DOI 10.4000/books.pufr.13331, lire en ligne)
  7. Jean-Marie Moine, Les barons du fer : Les maîtres de forges en Lorraine, Metz, éditions Serpenoise, , 568 p. (ISBN 9782876926066), p. 92-93.
  8. Odette Hardy-Hémery, Trith-Saint-Léger: du premier âge industriel à nos jours, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », , 368 p. (ISBN 978-2-85939-768-5 et 978-2-7574-2228-1, DOI 10.4000/books.septentrion.53646, lire en ligne), chap. 5 (« Des patronats aux cadres »).
  9. a b c et d Philippe Mioche, « La reconstruction de la sidérurgie européenne, 1945-1949 : sérénité des uns, nouveau départ pour les autres », Histoire, économie et société, vol. 18, no 2,‎ , p. 397–411 (DOI 10.3406/hes.1999.2040, lire en ligne, consulté le ).
  10. a et b Philippe Mioche, « Et l'acier créa l'Europe », Matériaux pour l'histoire de notre temps, vol. 47, no 1,‎ , p. 29–36 (DOI 10.3406/mat.1997.404263, lire en ligne, consulté le ).
  11. a b et c Philippe Mioche, « Jean Monnet et les sidérurgistes européens 1945-1955. On ne naît pas européen, on le devient... », dans Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (dir.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Internationale » (no 57), , 538 p. (ISBN 979-10-351-0382-8, DOI 10.4000/books.psorbonne.47348, lire en ligne), p. 297–306.
  12. Gérard Bossuat, La France et la construction de l'unité européenne, Paris, Armand Colin, coll. « U », , 280 p. (ISBN 978-2-200-25634-0, DOI 10.3917/arco.bossu.2012.01, lire en ligne), p. 59-78.
  13. Michel Bon, Ian Byatt, Éric Godelier et Stephen C. Littlechild, « Nationalisations et dénationalisations en France et en Grande-Bretagne : expériences comparées », Entreprises et histoire, vol. 37, no 3,‎ , p. 135-166 (ISSN 1161-2770 et 2100-9864, DOI 10.3917/eh.037.0135, lire en ligne, consulté le ).
  14. a et b « La vie de l'Institut d'Histoire du Temps Présent », Bulletins de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, vol. 35, no 1,‎ , p. 5–22 (DOI 10.3406/ihtp.1989.2588, lire en ligne, consulté le ).
  15. Philippe Mioche, « Un tournant dans l'histoire technique de la sidérurgie : la création de l'Irsid. Compétition et collaboration entre l'Etat et l'industrie », Histoire, économie et société, vol. 8, no 1,‎ , p. 119–140 (DOI 10.3406/hes.1989.1549, lire en ligne, consulté le ).
  16. a b c et d Philippe Mioche, « Du marché à l’État : La maison de Wendel dans la sidérurgie des Trente Glorieuses (1945-1975) », dans Philippe Mioche (dir.), La sidérurgie française et la maison de Wendel pendant les Trente Glorieuses : 1945-1975, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, coll. « Le temps de l’histoire », , 156 p. (ISBN 979-10-365-6167-2, DOI 10.4000/books.pup.18734, lire en ligne), p. 9–31.
  17. Philippe Mioche, « Roger Martin et la sidérurgie française : « l’anticipateur » ? », Revue francaise d'histoire économique, vol. 6, no 2,‎ , p. 40–55 (ISSN 2427-4062, DOI 10.3917/rfhe.006.0040, lire en ligne, consulté le ).
  18. a et b Patrick Fridenson, « La France et le devenir de la plus grande aciérie sarroise après la Libération », dans Mauve Carbonell (dir.), Industrie entre Méditerranée et Europe : XIXe – XXIe siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, coll. « Le temps de l’histoire », , 346 p. (ISBN 979-10-365-7740-6, DOI 10.4000/books.pup.46700, lire en ligne), p. 161–179.
  19. a et b Antonin Cohen, De Vichy à la Communauté européenne, Paris, Presses universitaires de France, , 456 p. (ISBN 978-2-13-059472-7, DOI 10.3917/puf.cohe.2012.01, lire en ligne), p. 46.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Notices biographiques[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]