Alfred Nakache

Alfred Nakache
Image illustrative de l’article Alfred Nakache
Alfred Nakache, en septembre 1941 à Toulouse, lors des championnats de France de natation.
Informations
Nages Nage libre, papillon
Période active Années 1930 et 1940
Nationalité Française
Naissance
Lieu Constantine, Algérie
Décès (à 67 ans)
Lieu Cerbère
Club JN Constantinoise
Racing club de France
CN Paris
Dauphins du TOEC
Entraîneur Alban Minville
Palmarès
Ch. d'Europe grand bassin 0 1 0
Championnat de France 21 1

Alfred Nakache, né le à Constantine[1],[2] et mort le à Cerbère (Pyrénées-Orientales), est un nageur et joueur de water-polo français[3]. Surnommé « Artem » (le poisson), il est aussi connu sous le surnom de « nageur d'Auschwitz », où il a été déporté durant la Seconde Guerre mondiale.

Biographie[modifier | modifier le code]

Un champion d'avant-guerre, de Constantine à Toulouse[modifier | modifier le code]

Alfred Nakache est le cadet des onze enfants d'une famille juive de Constantine. Souffrant d'une phobie de l'eau, il parvient à la surmonter[4]. Il remporte, en 1931, la Coupe de Noël de Constantine[5], il est alors licencié à la Jeunesse nautique (JN) constantinoise, et ce, jusqu’en 1934[5]. Après des premières compétitions locales où il ignore même qu'il faut suivre les lignes d'eau, il progresse très vite. En 1933, il participe à ses premiers championnats de France[4] et déménage à Paris[6] à la fin de l'été[5].

Aux championnats de France 1934, il termine 2e du 100 mètres nage libre derrière Jean Taris[5] et est sélectionné en équipe de France[4] pour une rencontre junior contre les Pays-Bas[5]. Il ne peut participer aux championnats d'Europe suivants parce qu'il n'est pas éligible en tant que Français né hors du « sol français » et pas encore licencié dans un club en France[5]. Néanmoins, il participe à l'équipe du Tour de France nautique[5].

Il est licencié au Racing Club de France de 1934 à 1936 et inscrit en 1934 au lycée Janson-de-Sailly[7].

Il participe aux rencontres préparatoires des Jeux olympiques d'été de 1936[8] puis bat, la même année, le record d’Europe du relais 4 × 200 m en min 22 s 06 avec Jean Taris, René Cavalero et Diener[8]. Aux Jeux olympiques, dans un contexte particulier pour cet athlète juif[8], il termine 4e au relais 4 × 200 m nage libre[4] avec Jean Taris, René Cavalero et Christian Talli, devant l'Allemagne[9].

Il est licencié au club nautique de Paris de 1937 à 1938, quittant son premier club parisien à cause, semble-t-il, d'injures racistes et antisémites[7]. Il effectue durant cette période son service militaire à la base aérienne 117 Paris[7]. Il réussit, en 1939, l'examen pour devenir professeur d'éducation physique[7]. Il intègre par la suite l'École normale d'éducation physique, futur Institut national du sport, de l'expertise et de la performance[10], comme son épouse Paule (née Elbaze), également juive[9], avec qui il s'est marié le [7].

Lorsque Philippe Pétain abolit le décret Crémieux, Alfred Nakache, en tant que juif d'Algérie, est déchu de sa nationalité française[10],[4],[6]. Professeurs et juifs, lui et son épouse doivent partir pour pouvoir continuer à travailler et s'installent avec leur fille à Toulouse, en zone libre[4]. Il est alors licencié aux Dauphins du TOEC de Toulouse sous la direction d'Alban Minville[11]. Durant cette période, il se rapproche des réseaux de résistance juifs comme l'Armée juive, en aidant notamment à la préparation physique des recrues[12]. Jean Borotra, commissaire aux Sports du régime de Vichy, l’emmène dans une tournée en Afrique du Nord, où il est plusieurs fois choisi pour la levée des couleurs[13].

En 1942, il gagne cinq titres de champion de France au 200 m brasse, relais 4 × 200 m nage libre et aux 100 m, 200 m, 400 m nage libre[14].

Le « nageur d'Auschwitz »[modifier | modifier le code]

D'abord en vue pendant l'Occupation pour ses records où il devient rapidement l'un des nageurs les plus titrés du pays[15], il est progressivement dénoncé par la presse collaborationniste[16] par antisémitisme. Il est finalement interdit de bassin lors des championnats de France de Toulouse en 1943, ce qui entraîne un boycott de ses camarades du TOEC[4].

Arrêté par la Gestapo le [17]à la suite d'une dénonciation[18], il est retenu captif à la prison Saint-Michel de Toulouse[10] puis au camp de Drancy[4], duquel il est déporté, avec sa femme Paule et leur fille de deux ans Annie, au camp d'extermination d'Auschwitz depuis la gare de Bobigny par le convoi n° 66 du [19],[10]. Séparés physiquement[6] dès leur arrivée le [17], il ignore qu'elles sont assassinées et n'apprendra que plus tard la mort de sa fille dès son arrivée dans les camps, tandis qu'il n'eut jamais d'information concernant son épouse[10], ce qui laisse émettre l'hypothèse qu'elle aurait été gazée avec leur fille.

Un officier affecte Alfred Nakache à l'infirmerie, ce qui lui sauvera probablement la vie[17]. Alfred détourne alors des aliments pour les malades[17]. Il y rencontre Noah Klieger qui, rescapé lui aussi, deviendra un célèbre journaliste sportif en Israël[17]. Aidé par une constitution physique exceptionnelle, il résiste aux mauvais traitements, y compris à l’humiliation imposée par les gardiens qui l’obligent à aller chercher avec les dents un poignard qu’ils ont jeté au fond de la piscine (en fait, un bassin de rétention d’eau prévu pour les incendies). Sa résistance consiste à défier ses bourreaux en improvisant à leur insu des séances de baignade dans la piscine en compagnie de quelques camarades. En janvier 1945, le camp est évacué dans le cadre des marches de la mort, sous la menace de l’avancée de l’Armée rouge. Alfred Nakache participe à l'une d'elles, au cours de laquelle les survivants des camps d’extermination sont menés dans des camps d’internement. Il se retrouve ainsi à Buchenwald, que l'armée américaine libère en avril 1945[20].

Le retour du champion rescapé[modifier | modifier le code]

À son retour de déportation, il témoigne : « Je sors de la tombe. il faut avoir vécu la vie de ces camps pour s'imaginer ce que c'était. Quand on fera le compte des rescapés et des manquants, on aura du mal à en croire les chiffres. De 85 kilos, je suis tombé à 61, et je ne dois la vie qu'à ma volonté d'en sortir, de ne pas manger d'immondices ou de cadavres malgré la faim. Je pèse actuellement 70 kilos ».

Il conserve alors le faible espoir de revoir sa femme et sa fille :

La tombe d'Alfred Nakache au cimetière Le Py de Sète.

« Aucune nouvelle depuis que nous avons été séparés sur le quai de la gare. Je conserve un faible espoir, un espoir tout de même. Mais toutes les femmes, les enfants et tous les inaptes ont été passés au four crématoire[21] ».

Le croyant mort avant que la presse n'annonce son retour, la ville de Toulouse avait donné son nom au bassin d'hiver de la piscine de l'île du Ramier[17]. Le , il retourne à Toulouse et devient professeur d’éducation physique à la Faculté de droit. Il reprend l'entraînement, et du poids [4].

Il retrouve le haut du classement (champion de France et prenant part au record du monde 3 × 100 m 3 nages, avec Georges Vallerey et Alex Jany, le [17]) et participe aux Jeux olympiques d'été de 1948 à Londres, devenant, en plus d'être le meilleur nageur à l'épreuve de 200 m brasse papillon, également membre de l’équipe de France de water-polo[4]. Il obtient là une nouvelle sélection douze ans après ses premiers Jeux olympiques[17].

En 1946, il apprend la confirmation de la mort de son épouse et de sa fille[17]. En 1948, il s'unit à Marie, une jeune Sétoise[17]. Il est alors très proche de la famille d'Alex Jany et il participe, dans les années 1950, à l'entraînement de Jean Boiteux.

Après une fin de carrière à La Réunion, il meurt le [6] à la suite d'un malaise alors qu’il nageait dans le port de Cerbère, effectuant son kilomètre quotidien de natation[4]. Il est inhumé au cimetière Le Py à Sète. Sur sa tombe apparaissent les noms de sa première épouse et de sa fille disparues[4].

Postérité[modifier | modifier le code]

Vue aérienne de l'île du Ramier à Toulouse. Au milieu à gauche, la piscine municipale baptisée du nom du nageur Alfred Nakache.

De nombreux bassins français portent son nom, dont la principale piscine municipale de Toulouse (ex-piscine d'hiver du parc municipal des sports[10]), baptisée ainsi par Raymond Badiou alors qu'il était déporté en 1944[6], ainsi que la piscine de Gentilly à Nancy[22], la piscine du quartier du millénaire à Montpellier[23] et celle de Belleville à Paris[24] (en double hommage au champion et aux nombreux déportés de ce quartier juif).

L’État d’Israël lui décerne à titre posthume, en 1993, le Trophée du Grand exemple, au Musée du sport juif international.

Le meeting international Alfred-Nakache (ou Vittel Cup) a été créé en son honneur et en est à sa 12e édition en 2005.

Un film portrait lui est consacré : Champions de France - Alfred Nakache, série Champions de France de Pascal Blanchard et Rachid Bouchareb, raconté par Abd al Malik (artiste) en 2016.[voir en ligne]

Lors du week-end du 17 au 19 mai 2019, il fait son entrée à l'International Swimming Hall of Fame de Fort Lauderdale en Floride[25],[17].

En 2022, Amir interprète au théâtre son personnage dans la pièce Sélectionné[26].

Palmarès[modifier | modifier le code]

Records[modifier | modifier le code]

  • Détenteur du record du monde du 200 m brasse papillon en 1941[10],[4],[11]
  • Détenteur du record du monde au relais 3 × 100 m 3 nages en 1946
  • Détenteur du record d’Europe du 100 m papillon en 1941 et 1942 (22 juin 1941[11] et 14 février 1942[11])
  • Détenteur du record d’Europe du relais 4 × 200 m en 1936 (min 22 s s) avec Jean Taris, René Cavalero et Diener[8]
  • Détenteur du record de France du 400 m papillon en 1943
  • Détenteur du record de France aux relais 4 × 200 m nage libre en 1946, en min 28 s 02.

Championnats de France[modifier | modifier le code]

Grand bassin
Discipline /
Année
1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 1941 1942 1943 1944 1945 1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952
100 m nage libre 6e[5] 2e[4] titre[6],[5] titre titre titre - titre titre[14] - - - - - - - - - -
200 m nage libre - - - - titre titre - titre titre[14] - - - - - - - - - -
200 m papillon - - - - - titre - titre titre[14] - - - titre - - - - - -
400 m nage libre - - - - - - - - titre[14] - - - - - - - - - -
Relais 4 × 200 m nage libre 6 titres entre 1936 et 1952[27]

Championnats internationaux[modifier | modifier le code]

  • Champion du monde universitaire du 100 m nage libre en 1936
  • Champion d’Afrique du Nord du 100 m nage libre en 1931
  • Médaille d'argent aux Maccabiades de 1935, sur 100 m nage libre.

Jeux olympiques[modifier | modifier le code]

Distinctions honorifiques[modifier | modifier le code]

  • Médaille de courage de la fondation Carnegie, pour sauvetage d'une femme tombée avec son véhicule dans le canal à Sète (juillet 1954)[28],[29].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Gilles Lévy, L'Auvergne des années noires, Editions de Borée, , 431 p. (ISBN 978-2-84494-028-5, lire en ligne), p. 54.
  2. Marc-Christian Bosseno, Télévision française : la saison 2010 — Une analyse des programmes du 1er septembre 2009 au 31 août 2010, Paris, L'Harmattan, (ISBN 978-2-296-54678-3, BNF 42535562, lire en ligne), p. 396.
  3. « Alfred Nakache, une vie à contre-courant », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. a b c d e f g h i j k l m n o et p « Alfred Nakache : le triomphe de la vie », Les légendes de la natation, sur natationpourtous.com (consulté le )
  5. a b c d e f g h et i Munoz 2008, p. 43
  6. a b c d e et f « Qui était Alfred Nakache ? », Un nom, une histoire, sur toulouse.fr (consulté le )
  7. a b c d et e Munoz 2008, p. 48
  8. a b c et d Munoz 2008, p. 44
  9. a b et c Munoz 2008, p. 47
  10. a b c d e f et g Guillaume Gros, « Alfred Nakache, le nageur d’Auschwitz par Denis Baud », Critiques de livres, sur arkheia-revue.org (consulté le )
  11. a b c et d Munoz 2008, p. 53
  12. Munoz 2008, p. 52
  13. Julian Jackson, La France sous l’Occupation, 1940-1944, Paris, Flammarion, 2004, (1re édition : 2001), (ISBN 978-2-0813-0809-1), p. 418.
  14. a b c d et e Munoz 2008, p. 58
  15. Munoz 2008, p. 54
  16. « Un Juif qui sait nager », Je suis partout,‎ , P.2 (lire en ligne)
  17. a b c d e f g h i j et k Alexandre Pedro, « Alfred Nakache, une vie à contre-courant », sur lemonde.fr, (consulté le ).
  18. Paris-Presse, 29 avril 1945, p. 2 : "Oui, qui a dénoncé Nakache ? Question que l'on s'est souvent posée. Des noms ont été prononcés et, au premier rang ceux de Cartonnet et du père d'un nageur de classe. Aucune preuve jusqu'ici. Il faudra que je sache, dit Nakache, mais je ne ferai rien avant d'être absolument sûr. Je sais trop ce que c'est pour courir le risque de faire emprisonner un innocent. Ce qui est certain, c'est que c'est Gibel qui a donné mon adresse à la Gestapo et est ainsi responsable de la déportation de ma femme et de ma petite"
  19. Dans Klarsfeld, 1978, trois noms de Nakache se trouvent dans la liste du convoi 66 : Nakache, Alfred, 18.11.15, sans indication de lieu de naissance, Nakache, Anne, 12.08.41, née à Constantine, et Paul, 12.10.15, né à Constantine.
  20. « Alfred Nakache, le nageur d’Auschwitz, La Croix, 25/11/2011 » (consulté le )
  21. Paris-Presse, 28 avril 1945, p.2 :"Je sors de la tombe, nous dit Nakache"
  22. « Piscine Olympique Alfred Nakache NANCY - GENTILLY », sur grand-nancy.org (consulté le )
  23. « Piscine Alfred Nakache », sur montpellier-agglo.com (consulté le )
  24. « Piscine Alfred Nakache », sur piscine.equipement.paris.fr (consulté le )
  25. « Toulouse : le nageur Alfred Nakache va entrer au panthéon mondial de la natation, aux États-Unis / Actu Toulouse », sur actu.fr, (consulté le ).
  26. i24news, 12 mai 2022
  27. Laurence Munoz, Usages corporels et pratiques sportives aquatiques du XVIIIe au XXe siècle, tome II (lire en ligne)
  28. « Le nageur Nakache sauve une automobiliste tombée dans le canal », Franc-Tireur,‎
  29. « Le champion de natation Nakache tire du canal une conductrice enfermée dans sa voiture », Le Parisien libéré,‎

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Documentaire[modifier | modifier le code]

  • Christian Meunier, Alfred Nakache, le nageur d’Auschwitz, 2001.

Article connexe[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

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