Histoire de la caféiculture

Fleur de caféier robusta.

Le caféier vient de la province de Kaffa, en Éthiopie. Sa culture se répand dans l'Arabie voisine, où sa popularité a profité de la prohibition de l'alcool par l'islam. Appelé K'hawah, qui signifie « revigorant », sa rareté l'a rendu très cher en Europe jusqu'au premier tiers du XVIIIe siècle. Puis sa culture déferle en quatre vagues, Java des années 1720, La Réunion des années 1730-1740, le Suriname des années 1750-1770 et Saint-Domingue des années 1770-1780.

Au siècle suivant, l'abolition progressive de l'esclavage puis du travail forcé marquent la caféiculture, dominée par sept grands producteurs, Venezuela, Ceylan, Cuba, Haïti, Jamaïque, Indonésie et Brésil. Les cinq premiers ont disparu du palmarès mondial 2015. L'offre mondiale est multipliée par 89 en deux siècles, de 100 000 tonnes en 1825 à 8,9 millions de tonnes en 2013[1]. Entre-temps, la très faible diversité génétique de l'arabica et la dévastation par les maladies ont conduit les botanistes à explorer les profondes forêts africaines pour lui sélectionner des successeurs plus résistants.

Milliers de plantations en ruine ou restaurées, défrichements sur des centaines de kilomètres, chemin de fer tropical... la caféiculture forge les paysages et les identités culturelles montagnardes, des Mayas du Guatemala aux Chaggas de Tanzanie. Cultivé en altitude, sensible au gel, à la densité forestière et à l'épuisement de sols, le café a un prix imprévisible, car l'arbuste met 4 ans à donner et seulement deux décennies à s'épuiser. D'où un siècle de soutien des prix aux paysans, formation agronomique, et distribution d'engrais par des entreprises publiques et coopératives sans équivalent dans les autres cultures. En 1900, le café était la troisième marchandise la plus échangée au monde, derrière les céréales et le sucre[2]. Au XXIe siècle, il est deuxième après le pétrole, avec 11,23 milliards d'euros[3], grâce à 400 milliards de tasses de café bues par an, soit 12 000 tasses par seconde. La caféiculture fait vivre 125 millions de personnes sur la planète, dans plus de 75 pays tropicaux, avec 5 millions d'exploitations et 25 millions de petits producteurs indépendants[3],[4], qui ont souvent fait et défait les majorités politiques, suscité des guerres et accéléré les décolonisations. Au XXIe siècle, le café est cultivé sur une surface de 10 millions d'hectares selon la FAO[réf. souhaitée], et représente 61 % des exportations au Burundi, 37 % en Éthiopie, 35 % au Rwanda, 21 % en Ouganda, 18 % au Nicaragua et 17 % au Honduras.

Génétique fragile de l'arabica[modifier | modifier le code]

Sur 90 espèces de caféiers inventoriées, moins d'une dizaine ont été cultivées, et deux seulement ont survécu au XXe siècle : l'arabica et le canephora (dont découle le cultivar robusta). L'arabica est né d'un incident chromosomique ancien qui a quadruplé son stock d'ADN. C'est la seule espèce caféière autogame : ses fleurs s'autofécondent, même s'il connait 10 à 20 % d'allofécondation, via des insectes pollinisateurs. Les autres caféiers ne peuvent s'autoféconder : ils échangent en permanence des gènes, par le pollen, ce qui les rend plus résistants aux parasites. Face à une consommation en forte hausse au XVIIIe siècle, l'arabica connait une croissance trop rapide, ce qui réduit à presque rien sa base génétique. Seuls quelques plants de chacune des deux variétés, « Typica » et « Café Bourbon », ont été exportés, puis dupliqués partout dans le monde :

  • En 1706, un plant unique est ramené de Java à Amsterdam puis offert, en 1714, aux différents jardins botaniques européens, d'où il part vers l'Amérique. C'est la variété dite « Typica ».
  • En 1715, la Compagnie française des Indes orientales installe le caféier du Yémen sur l'île de La Réunion, d'où il est vraiment cultivé en 1724 ou 1726. C'est la variété dite « Café Bourbon », qui part à son tour vers l'Amérique, mais en nombre réduit.

Ensuite, les caféiculteurs de chacune de ces deux variétés se contentent de sélectionner des mutants spontanés, car des croisements ne permettent pas d'obtenir assez de nouveaux génotypes, vu la faible diversité génétique. Du coup, certains cafés sont restés « purs » depuis trois siècles :

  • Issu du Café Bourbon, le Marogogype à gros grains, repérée dans la localité du même nom au Brésil, ou le Caturra, avec sa forte productivité et sa récolte plus facile.
  • Issu du Typica, les variétés Kent en Inde et Blue Mountain à la Jamaïque, qui ont permis les premiers succès d'intensification de la culture.
  • Parmi les rares hybrides Typica/Bourbon, la variété Mondo Nuovo au Brésil.

Par ailleurs, les hybrides entre robusta et l'un ou l'autre des deux arabicas, appelés « arabusta » sont rares dans la nature : on parle de « barrière chromosomique ». Plus tard, les botanistes apprendront à en créer artificiellement, par le doublement chromosomique du robusta via un traitement à la colchicine. Mais en attendant, la première étape a été la découverte, en 1917, dans l'archipel du Timor, d'une population d'arabusta naturels, appelée HdT, résistante à la « Rouille du caféier » qui avait ravagé les plantations des années 1870. Cette première source génétique autre que les cafés Typica et Bourbon a permis des croisements. Cette découverte induit alors le développement de la recherche dans les caféiers sauvages d'Afrique, menant au robusta des années 1930, plus résistant aux maladies, grâce à une base génétique plus diverse.

Les agronomes ont ensuite jugé indispensables de rajeunir et diversifier l'arabica. Entre 1960 et 1990, sous l'égide de la FAO, ils reviennent aux sources des populations sauvages d'Éthiopie, pour la création de variétés améliorées[5].

Moyen Âge[modifier | modifier le code]

Un essor dans tout le monde arabe, puis en Europe[modifier | modifier le code]

Zone d'origine du café.
Femme récoltant le café en Éthiopie.

L'usage du café était très ancien en Abyssinie. Il est originaire de Kaffa, royaume de l'Éthiopie médiévale[5],[6],

Shehabeddin Ben[7] dit qu'on l'employait depuis un temps immémorial. L'usage ne s'est cependant pas propagé lors des croisades, car les croisés n'en eurent pas connaissance et le célèbre médecin Ebn Baithar, qui parcourut le nord de l'Afrique et la Syrie au début de l'ère chrétienne, n'en dit pas un mot[8]. Vers la fin du XVe siècle, l'arabica atteint le Yémen voisin, qui a des relations commerciales et culturelles anciennes et intenses avec l'Abyssinie[9],[5]. Le café est exporté par le port de Moka.

La province de Kaffa se situait au sud-ouest de l'Éthiopie.

Les arabes vendent leur café en Perse, Égypte, Afrique du Nord et en Turquie, où le premier café, Kiva Han, ouvre en 1475 à Constantinople. La consommation prend alors son essor dans tout le monde arabe : un millier de cafés sont dénombrés au Caire en 1630.

Environ 50 000 hectares de café sont cultivés au Yémen. Les 12 000 à 15 000 tonnes de café par an produites au Yémen viennent de petites exploitations sans vocation commerciale affirmée. Le Yémen conserve jusqu'en 1680 le monopole de la production du café, diffusé en Europe via Le Caire et Marseille : les Yéménites interdisent toute exportation de plantes et de grains verts fertiles. En 1680, pourtant, sans doute transportés par des pèlerins, quelques grains de café gagnent l'Inde, sur les côtes de Malabar et dans le royaume de Mysore, mais la culture y reste très marginale[5].

XVIIe siècle[modifier | modifier le code]

Les Hollandais diffusent le moka du Yémen et plantent à Ceylan[modifier | modifier le code]

Nicolas Witsen, directeur de la Compagnie des Indes et fondateur du jardin botanique d'Amsterdam.

En 1614, une délégation de marchands hollandais et de spécialistes de l'horticulture visite Aden au Yémen afin d'étudier comment les Arabes ont transformé le café, puis en 1616, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales s'y approvisionne. La culture du moka est étendue, timidement, par les Hollandais à Ceylan en 1658. Ils ne la tenteront en Indonésie, qu'en 1696, quarante ans après.

Nicolas Witsen, directeur de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales et fondateur du jardin botanique d'Amsterdam, acclimate le café d'Éthiopie en Indonésie, à Batavia[10], démarche qui est poursuivie en 1718 au Suriname.

La place de Ceylan dans l'empire néerlandais aux XVIIe-XVIIIe siècles, sous la direction de la compagnie des Indes.

En France, l'ambassadeur de Turquie à Paris offre en 1669 du café à Louis XIV[3], qui accorde un monopole du commerce du café en 1692 à maître François Damame, bourgeois de Paris. Pour l'importation, Marseille maintient, de fait, un monopole rentable, avant que ne survienne, au siècle suivant, la concurrence redoutable d'une Compagnie de commerce de Saint-Malo, partie chercher directement les cafés d'Arabie en mer Rouge, en doublant le cap de Bonne-Espérance[11].

La mode du café arrive en Europe[modifier | modifier le code]

Le café arrive en Europe aux alentours de 1600, via les marchands vénitiens. On conseille à Clément VIII de l'interdire, car il représente une menace d'infidèles. Après en avoir goûté, le pape baptise au contraire la nouvelle boisson, déclarant que la laisser aux seuls infidèles serait dommage[12]. Son usage pénètre l'Europe occidentale seulement au dernier quart du XVIIe siècle. Jugées chères, les fèves d'Arabie reçoivent le nom de café de Moka, port de la mer Rouge qui les exporte, via Suez et Alexandrie. Des navires de Venise, Gênes ou Marseille les distribuent dans toute l'Europe.

Marchand de café dans les rues de Paris dans la première moitié du XVIIIe siècle.

En 1614, le marchand anversois Pieter Van den Broecke (1585-1640), découvre un breuvage « noir et chaud » dans le port de Moka, sur la côte sud-est du Yémen, en naviguant pour le compte de la Compagnie hollandaise des Indes orientales. En 1615, des navires vénitiens rapportent un sac de grains de café de Constantinople, puis en 1660 près de 20 000 quintaux en provenance de Turquie arrivent à Marseille[3].

Le Café Procope, tel qu'il peut être imaginé au XVIIIe siècle (cette scène précise se passe à Ferney) :
au second plan, de gauche à droite : Condorcet, La Harpe, Voltaire et Diderot.

Dans les années 1650, des « cafés » ouvrent à Oxford et à Londres. Les philosophes et lettrés s'y retrouvent, autour de pamphlets et libelles. Les idées libérales s'y épanouissent. En 1676, ils sont brièvement interdits pour cause de crime de lèse-majesté contre le roi Charles II. Les réactions sont vives, l'édit de fermeture doit être révoqué. D'autres villes suivent[3] :

Au Café Procope, Jean de Thévenot invente une nouvelle manière de le préparer : en faisant percoler de l'eau chaude dans le café retenu par un filtre. On compte plus de deux mille cafés en 1700 au Royaume-Uni, en pleine Révolution financière britannique. La célèbre compagnie d'assurances Lloyd's of London est à l'origine un café fondé en 1688 : le Lloyd's Coffee House. La Bourse de Londres, dans sa version moderne, naît aussi dans un café, le célèbre Jonathan's Coffee-House, où se retrouvent les courtiers hollandais. Le huguenot John Castaing y publie la première liste d'actions de l'histoire des bourses de valeurs.

XVIIIe siècle[modifier | modifier le code]

La salle de souscription de la Lloyd's Coffee House au début du XIXe siècle, l'un des 2 000 cafés existant en Angleterre dès le XVIIIe siècle.

Le premier quart du XVIIIe siècle est marqué par des années de pénurie, quand la mode du café en Europe dope la demande. Environ 2 000 cafés ouvrent rien qu'en Angleterre. La France parvient à s'en procurer de force lors de la première expédition de Moka en 1708 et les Hollandais cherchent plus tard à l'apaiser. Le marché mondial ne compte alors que trois grandes appellations : « Java », « Moka » du Yemen, et « Bourbon pointu » de La Réunion, un café donné en 1715 par le Yémen aux Français, et qui percera à la fin du siècle à Saint-Domingue[13]. Une exception royale, car le Yémen interdit toute exportation de plants ou de café vert, tandis qu'Amsterdam privilégie un monopole ultra-rentable. Les rares plants de café transférés à la va-vite vers l'Europe puis les Antilles voyagent sans sécurité ni souci de la diversité génétique.

Le prix du « café de Java » est ainsi très élevé au début du siècle, 3 guilders la livre, beaucoup plus que dans les zones productrices d'où il vient[14], ce qui procure des marges très élevées à la Compagnie néerlandaise des Indes orientales[14]. Cet écart disparaît un demi-siècle plus tard, quand le café de Saint-Domingue inonde tous les ports d'Europe.

Les marchands d'Amsterdam confrontent les différentes origines: en 1721 ils importent à 90 % du Moka mais dès 1726, c'est à 90 % du café de Java[2], dont la production vient de décoller. Le prix du café sera ainsi divisé par six au cours du siècle. Le Java devient moins cher que celui du Yémen dès les années 1720 et l'écart se creuse après cinq décennies: 10,75 pièces de 5 cents par livre en 1774 contre 14,5 pièces de 5 cents. Le café javanais est alors lui-même battu par celui du Suriname, qui ne coûte plus que 6 pièces de 5 cents.

Entre-temps, La Réunion a brisé en 1735 le monopole de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, avant d'être elle-même évincée vers 1750 par le Suriname, passé du sucre au café, qui exporte autant que Java dès 1750[2] et profite d'une première vague de remontée des cours mondiaux à la fin des années 1760.

Une seconde vague de hausse des cours, à la fin des années 1770, permet au café de Saint-Domingue de distancer celui du Surinam, miné par une crise financière dès 1771.

La guerre d'indépendance des États-Unis déclenche en effet un emballement des prix coloniaux, de 1774 à 1785[15], dont le café est le grand gagnant:

  • 70 % pour les cafés ;
  • 25 % pour les sucres bruts ;
  • 30 % pour l'indigo ;
  • un seul produit, le cacao, y échappe, voyant au contraire son prix baisser de 38 %.

La Révolution du café de Saint-Domingue qui l'accompagne entraîne un quintuplement de la récolte dans la partie française de l'île. En 1789, plus de 80 % du café mondial vient des Amériques. Saint-Domingue produit alors cinq fois plus que le Suriname deux décennies plus tôt, quand ce dernier récoltait lui-même 7 615 tonnes par an sur la période 1772-76[2], soit autant que Java et La Réunion réunis, à leurs pics de production.

Une pièces de 1735 de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, dont le monopole caféier est bousculé dès 1735.

Le café au 1er quart du siècle, chronologie des années de pénurie :

Bourbon et Typica : les deux parcours de l'arabica au début du siècle[modifier | modifier le code]

L'Abreuvoir de Marly, gravure de Jacques Rigaud. L'un des plants envoyés par Amsterdam à Louis XIX est conservé au Parc de Marly.

Face à une consommation en forte hausse dès le début du XVIIIe siècle, la culture de l'arabica s'est déplacée très rapidement, vers Java puis vers l'Amérique, via un passage précipité par l'Europe, sur une base génétique très limitée. Seuls quelques plants de chacune des deux variétés, Café Typica et Café Bourbon, sont exportés, puis dupliqués partout dans le monde[5].

Le "Typica" passe par les jardins botaniques et la Martinique[modifier | modifier le code]

Le Jardin des plantes de Paris en 1730, appelé Jardin du Roi. Jussieu y a publié en 1713 une description du café dans les Mémoires de l'Académie des sciences.

En 1706, quatre plants sont ramenés par les Hollandais de Java à Amsterdam puis offerts, en 1714, aux différents jardins botaniques européens. C'est la variété dite Typica. En 1720, le capitaine d'infanterie Gabriel de Clieu est autorisé à revenir à la Martinique avec deux des quatre plants d'Amsterdam. Après un voyage épouvantable, un seul plant arrive à destination. Dix-huit mois plus tard, un kilogramme de cerises est récolté, puis replanté à la Guadeloupe[17] et à Saint-Domingue. En 1723, de Clieu en confie aussi un au colonel Claude de la Garrigue de Survilliers. Cependant, la Martinique ne compte toujours que 200 pieds de café en 1726, selon les écrits du père Labat[18]. La terrible tempête du détruit les cacaoyers, laissant des terres disponibles pour les caféiers de Martinique, d'où il gagne les colonies française et espagnoles: Saint-Domingue, Cuba, Mexique, Amérique centrale, entre 1748 et 1790. En 1727, le Brésil reçut de Guyane française ses premiers caféiers[19].

Entre-temps, en 1725, gouverneur de Cayenne par intérim entre 1720 et 1722 s'est rendu au Suriname hollandais, où il obtient des pieds de café en cachette[8], puis en plante mille à douze cents pieds dans ses habitations[18]. Mais en Guyane comme en Martinique, la culture du café est vite concurrencée par l'expansion sur l'île de La Réunion via un autre circuit.

Le « Bourbon » passe par les « expéditions de Moka » des corsaires malouins[modifier | modifier le code]

Le « Café Bourbon » a lui aussi voyagé de manière très contingentée : seulement 4 plants. Les corsaires malouins organisent, entre 1708 et 1715, trois « expéditions de Moka », en contournant l'Afrique. La première leur permet de ramener 1 500 tonnes de café à Saint-Malo en 1708.

Carte de Saint-Malo probablement du XVIIIe siècle. Les expéditions corsaires pour ramener en France du café de Moka partent du port breton.

En 1712, la France et la Hollande préparent la paix qui sera signée lors des Traités d'Utrecht (1713). Le bourgmestre d'Amsterdam De Brancas, successeur de Nicolas Witsen, offre à Louis XIV un pied de café, qui meurt rapidement[16]. Les Hollandais lui en envoient un second en 1714. Le roi de France le fait soigner dans son jardin de Marly-le-Roi. Il demande à Guillaume Dufresne d'Arsel de participer à la deuxième des expéditions de Moka, pour lui en ramener d'autres[20]. Antoine de Jussieu[8], professeur aux serres du Jardin du roi, futur Jardin des plantes de Paris, publie en 1713 une description intéressante de la plante dans les Mémoires de l'Académie des sciences. Avant de mourir, Louis XIV multiplie les pieds de caféier dans ses serres.

La Cour de Paris ayant apprécié le goût du café, la Compagnie des Indes orientales charge Guillaume Dufresne d'Arsel d’implanter à La Réunion des plants de moka, via la troisième des expéditions de Moka. Il reçoit l'ordre royal par le navire L'Auguste de M. de la Boissière, le [21],[22]. Dès , six plants de Moka, offerts cette fois par le sultan du Yémen, sont ensemencés à Saint-Paul de la Réunion, sous l'autorité du gouverneur de La Réunion Antoine Desforges-Boucher. La Compagnie des Indes orientales organise la production, l'achat de graines, construit des greniers et des routes. Elle offre des concessions gratuites à tout colon de 15 à 60 ans acceptant d'entretenir 100 plants de café.

L'île de La Réunion ne comptant encore que 734 habitants en 1704, le café n'est cultivé en quantités significative qu'à partir de 1726. Dans une lettre au ministre de la Marine du , le gouverneur de La Réunion Pierre-Benoît Dumas s'enthousiasme : « On ne peut rien voir de plus beau que les plantations de café qui se multiplient à l'infini. Cette île sera, dans peu (de temps), capable d'en fournir au-delà de la consommation du royaume ». La « variété Bourbon », ou Bourbon pointu, est alors jugée la meilleure au monde.

Arbitrages des marchés d'Amsterdam, Le Caire, Le Havre et Bordeaux[modifier | modifier le code]

Vue aérienne du Grachtengordel, quartier historique d'Amsterdam. On y voit clairement les quatre canaux concentriques, ainsi que les jardins situés au cœur des grachtenpanden.

Sur le marché d'Amsterdam, le café est vendu aux enchères tous les semestres, puis trimestres, puis tous les mois[2], l'offre et la demande décollant dès le 2e quart du siècle. Le café java" d'Amsterdam ne concurrence que partiellement Le Caire et Marseille, par où arrive le café du Yémen, tous trois souffrant ensuite des arrivages massifs de La Réunion puis de Saint-Domingue. Les monopoles hollandais et yéménites doivent alors s'adapter et renoncer à leurs marges élevées.

Ainsi, dès la deuxième moitié du siècle, les prix à Amsterdam, ne fluctuent plus en fonction de l'arrivée de chaque bateau chargé de café rare comme au siècle précédent. Ils deviennent assez comparables entre Java et les Amériques, l'économie mondiale du café étant devenue plus intégrée. Les prix yéménites ont suivi, moins régulièrement, mais se montrent proches de ceux d'Amsterdam vers la fin du siècle. Dans le dernier tiers du siècle, le coût de production plus bas du café de Saint-Domingue le rend plus séduisant, même sur le marché ottoman de Caire. Dès les années 1770, il y remplace les concurrents yéménites[2]

Le Brouwersgracht, quartier historique d'Amsterdam.
Années 1736 1766 1777 1790
Arrivages de café au Havre[23] : 220 tonnes 2 600 tonnes 6 605 tonnes 15 000 tonnes

À la fin du siècle, ce café de Saint-Domingue est majoritairement réexporté, en Europe mais aussi en Orient, aux dépens de celui de Java. À Marseille, 90 % de ce café réexporté part en Turquie[24].

Le trafic de café au Havre passe de 2 600 tonnes en 1766 à 6 605 tonnes en 1777, et 15 000 tonnes à la fin du XVIIIe siècle, plus d'un tiers des importations françaises[23]. Mais le grand gagnant de la Révolution du café de Saint-Domingue est Bordeaux, où la réexportation des cafés croît de 300 %, entre 1778 et 1786[15]. Les exportations de café du port aquitain sont supérieures de 400 % à celles du Havre, de 300 % à celles de Nantes, de 200 % à celles de Marseille[15]. Il importe en 1786 environ 28 000 tonnes de café pour 24,3 millions de livres tournois[15]. À Nantes, à l'origine port sucrier, l'une des deux premières fortunes de la fin du siècle est l'armateur et négociant Louis Drouin, actif dans le café de Saint-Domingue, où il possède des entrepôts et des plantations.

La Révolution du café de Saint-Domingue alimente aussi les ports nord-américains en contrebande, battant le rival de Jamaïque. En 1790, la caféiculture de Saint-Domingue, intensive, sans ombrage forestier et artificiellement dopée par le recours massif aux traites négrières, s'impose en réalité dans tous les ports: New York, Londres, Amsterdam, Trieste, Hambourg, Le Caire, Bordeaux et le Havre[5].

En 1724, la caféiculture décolle à Java, imposée par les Hollandais[modifier | modifier le code]

En 1696, les premières graines sont plantées sur le domaine du gouverneur général de Java, Willem van Outshoorn[6], rapidement dévasté par une inondation[6]. L'expérience n'est répétée qu'en 1706, quand la Compagnie néerlandaise des Indes orientales reçoit en 1705 les hautes terres du Priangan, au pays Sunda, dans la province indonésienne de Java occidental, le royaume de Mataram, en remboursement des services rendus lors de la première guerre de Succession javanaise qui a mis que le trône le sunan Pakubuwana Ier. Un des plants de café est alors sauvegardé, par précaution, au jardin botanique d'Amsterdam. C'est le grand-père de la plupart des futurs Arabica du Brésil et des Caraïbes[6].

Les Hollandais ont imposé la culture du café « Java » à la population de ces montagnes du Priangan. Les chefs de district sont priés, par contrat, de livrer chaque année une certaine quantité de grains de café[6]. Ils doivent entretenir les jardins et fournir la quantité requise de café. Alors que les volumes demandés sont livrés à temps[6] dans la région de Batavia, à Rijswijk, proche du palais présidentiel, et Meester Cornelis[6], la population du Priangan s'est montrée plus réticente. Il a fallu des incitations financières[6]. Les régents ont reçu une pièce de cinq cents par livre collectée, qui devait couvrir l'achat et le transport du café vers l'entrepôt[6]. L'achat à la ferme a été effectué par les chefs de village, le prix payé aux agriculteurs n'étant qu'une fraction de celui reçu par le régent[6].

La production caféière de Java passe d'environ un million à 6 millions de livres en douze ans, entre 1724 et 1736[6] :

Plan de Meester Cornelis de 1744.
Années 1724 1727 1736
Production un million de livres 4 millions de livres 6 millions de livres

Ce sera seulement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, que la culture du café sera étendue au centre de Java, à une échelle plus limitée[6]. La poussée vers le reste de Java et les autres îles sera lancée bien plus tard par le gouverneur général Daendels (1808-1811) et les administrateurs suivants[6].

De 1735 à 1747, La Réunion brise le monopole hollandais[modifier | modifier le code]

La caféiculture à La Réunion, où la récolte sera multipliée par 25 en huit ans, décolle en 1735, à la fin du monopole de l'importation du café par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales[23], le flux de café Bourbon atteint 100 000 livres annuelles, puis passe à 2,5 millions de livres en 1744.

Esclaves au travail dans une plantation de café de La Réunion, vers 1800.

L'île « accueille » parallèlement 1 500 esclaves par an via les traites négrières. La production caféière est multipliée par vingt en deux décennies, pour atteindre 2,5 million de livres en 1744, l'année record[25]. Le prix du café acheté aux colons, d'abord élevé pour favoriser la culture du caféier, est ramené progressivement à 6 sols en 1731, 5 sols en l735, puis 4 sols en 1744[25], alors que la livre de café est revendue en France 11 à 12 sols la livre[25]. En 1754, 17 000 esclaves habitent dans l'île, quasi déserte un demi-siècle plus tôt.

Feuilles du café Bourbon, originaire de La Réunion.
Années 1728 1734 1740 1744
Production de La Réunion (livres): 0,12 million 0,9 million 1,5 million 2,5 millions

Le café de la Réunion était loin d'avoir l'arôme du café de Moka, et son prix dut baisser à partir de 1742 à cause de la concurrence de la Caraïbe[25]. Les nouveaux débouchés recommandés par la Compagnie des Indes (Géda, Bassora, Pondichéry, Chandernagor, Patna) furent des échecs partiels malgré l'impulsion. Le Gouverneur conseilla alors de ne plus encourager la culture du café et d'amplifier les cultures vivrières (blé, maïs, manioc, pour ravitailler les escadres, et éviter les risques de disette[25].

De plus, des parasites naturels font tomber la production à presque rien pendant cinq ans[25]. En 1747, ils « ravagent les caféiers, diminuent les récoltes, font même mourir les arbres" et en 1749 :"le progrès de la vermine est tel que vous n'oserez plus compter sur une cargaison de café chaque année"[25]. Les plantations spéculatives s'orientèrent désormais vers les épices, tandis que le Suriname hollandais passait du sucre au café[25].

En 1770, le Suriname sombre dans la crise financière[modifier | modifier le code]

Le Suriname avait été perdu par les Anglais dès 1667, par l'attaque d'une escadre zélandaise de l'amiral Abraham Crijnssen, contre une colonie abritant 175 plantations et plus de 4 000 personnes[26], nombre qui s'effondre à cinquante[26] au moment de l'arrivée du gouverneur Cornelis Aerssen van Sommelsdijk, dont la famille détient un tiers des actions de la Société du Suriname, le reste se partageant entre la ville d'Amsterdam et la West Indische Compagnie (la compagnie sera repartagée en 1770 entre Amsterdam et la W.I.C)[26].

L'année 1750 marque une rupture au Surinam: la courbe de la production sucrière, en hausse dans la première moitié du siècle, baisse dans la seconde[26], remplacée par celle du café. La récolte de cerises vertes représente environ les trois quarts des exportations de la colonie vers Amsterdam et Rotterdam[26] sur la période 1772-76[2], quand elle culmine à 7 615 tonnes par an. Mais son rival, le leader mondial, Saint-Domingue, produit déjà cinq fois plus et lui dame le pion sur les marchés de Boston, Le Havre et Amsterdam dans le dernier quart de siècle.

Willem Gideon Deutz, banquier et bourgmestre d'Amsterdam, avait constitué le , une société de prêt pour un capital d'un million de florins, qui montera à 3,7 millions de florins[26]. Ce système s'écroulera au bout d'une quarantaine d'années, après avoir suscité 187 négociations, portant sur un capital de 50,9 millions de florins[26]. Il se heurte à la guerre de Sept Ans, la chute des prix du café de 1771, la crise financière d'Amsterdam de 1773 et la guerre d'Indépendance des États-Unis (1776-1784)[26]. La crise caféière intervient autour des années 1770, au terme d'une première vague de hausse des prix des cafés en 1766-1770[26], avant une rechute, qui sera suivie par une autre en 1779-1782[26].

Esclave marron du Suriname, par Jean-Gabriel Stedman, 1796.

Lors de la Crise d'Amsterdam de 1772-1773, le , la Banque Clifford sombre à Amsterdam, laissant 5 millions de florins de passif. Enrichie par ses plantations au Suriname, elle s'était diversifiée vers le négoce d'obligations russes. La Banque d'Amsterdam la renfloue de trois millions de florins, sans succès et la Banque d'Angleterre lui supprime tout escompte. Au Suriname, les planteurs ne sont plus capables de payer un intérêt élevé. Ils se font confisquer leurs plantations, "passées dans les mains de leurs créditeurs"[26]. Les nouveaux propriétaires, marchands à Amsterdam, ne se sont pas installés au Surinam. Ils effectuent très mauvaise administration, avec une dégradation du sort des esclaves, mieux traités par leurs propriétaires directs quand ils étaient sur la plantation[26]. La révolte des « marrons » et des esclaves sur un grand nombre de plantations déclenche une répression des colons regroupés en milices, renforcée par un contingent de fusiliers-marins, placé sous l'autorité du colonel suisse Fourgeoud[26]. La guerre contre les esclaves « marrons » coûte la vie à près de 1 100 soldats et dure quatre ans[27], perturbant sérieusement l'exploitation caféière.

En 1780, des « renifleurs » de café en Prusse[modifier | modifier le code]

À partir de 1780, Frédéric le Grand met en place un groupe d'environ 400 invalides de guerre, les Kaffeeriecher ou Kaffeeschnüffler, qui parcourent les communes prussiennes et « reniflent » pour trouver où l'on torréfie illégalement du café en grains[28]. L'importation du café est en effet interdite suivant un modèle mercantile afin de conserver l'argent dans le pays et de protéger les fournisseurs et fabricants nationaux de café de malt.

En 1789, Saint-Domingue contrôle la moitié de l'offre mondiale[modifier | modifier le code]

Saint Domingue en 1780, vue du mole Saint-Nicolas (Pierre Ozanne).

L'empire colonial français vécut une « révolution du café de Saint-Domingue » entre 1755 et 1789. En trois décennies, la production est multipliée par onze, passant de 7 à 77 millions de livres[29] soit environ de 34 000 tonnes à 37 700 tonnes, certaines sources donnant 40 000 tonnes[3]. Au cours de la seule année 1789, la production augmente de 15 %[30], pour atteindre la moitié de l'offre mondiale de café. L'explosion de la production vient des défrichements successifs de nouvelles terres, car au cours de la même période, de 1763 à 1789, la production sucrière de Saint-Domingue a doublé, pour atteindre 40 % de l'offre mondiale.

Le café est cultivé dès 1738, sur les collines éloignées des « mornes du Dondon » (quartier de Limonade), dans le département du Nord, puis à partir de 1743 dans la zone des mornes intérieurs depuis l'Artibonite jusqu'au fond du Mirebalais et à la frontière espagnole. Boudé par l'élite aristocratique, il fait l'affaire des affranchis, gens modestes de couleur, puis de riches commerçants gascons ou saintongeais comme les quatre frères Seguineau, arrivés en 1745[31],[2].

Au milieu du siècle, la production de café a pris une vocation exportatrice, axée sur le recours aux esclaves. Après la guerre de Sept Ans, les colons français vendent leurs plantations de sucre aux Espagnols, dans la partie plus centrale de Saint-Domingue, proche de la frontière. L'argent est recyclé pour acheter de nouvelles terres, moins chères car plus escarpées[32]. Cette tendance s'accélère après le traité d'Aranjuez (1777), qui sécurise la frontière dans la haute et moyenne vallée de l'Artibonite. Les anciens sucriers défrichent le sommet des montagnes pour planter massivement des caféiers, ce qui appauvrit progressivement les sols et favorise le ruissellement[10].

Leur mode de culture est intensif : ils pratiquent l'irrigation des plantations, en monoculture et sans ombrage forestier, pour répondre sans tarder à des cours mondiaux élevés[33]. Résultat, les exportations de café de Saint-Domingue en 1767 valaient à peine plus qu'un quart de celle de sucre mais les dépassaient en 1787-89[2]. L'engouement pour le café fait exploser les chiffres de la traite négrière, dont une partie est masquée pour des raisons fiscales.

Esclaves africains embarqués à bord d'un navire négrier.

Sur 39 000 tonnes de café importé en France, les 5/6, soit 34 000 viennent de Saint-Domingue, dont la production caféière rapporte autant que celle du sucre. L'emballement du marché mondial du café amène Saint-Domingue à accélérer le trafic négrier et déporter d'Afrique 28 000 esclaves par an, au cours des cinq années précédant la Révolution française, deux fois plus que pendant la période 1766-1771[24]. Pour faire face à la demande, les négriers asservissent de nombreux prisonniers de guerre du Congo, même s'ils sont réputés plus difficiles à maîtriser.

Après la révolte des esclaves de 1791 et les guerres qui la suivent, la production caféière d'Haïti chutera des trois-quarts, à 9 000 tonnes en 1818, faisant monter rapidement le prix du café[2].

Les différences importantes entre culture du sucre et du café[modifier | modifier le code]

La récolte de café de Saint-Domingue est dopée par les techniques d'irrigation et de transport que les colons français avaient déjà expérimentées pour le sucre. Elle se révèle plus efficace que celle de la colonie anglaise de la Jamaïque, où les historiens ont identifié des différences importantes entre culture du sucre et du café. La récolte de café ne nécessite pas des tâches ayant « la même rapidité ni la même intensité »[34] ni les mêmes traitements immédiats des fruits récoltés que celle de canne à sucre[34], où le taux de sucrose chute après seulement une semaine[34] et la température des ateliers est au maximum. Les cerises de café peuvent de leur côté attendre un an sans perdre de valeur[34] et la période hors-récolte, bien plus longue[34], est consacrée à d'importants travaux d'entretiens[34], moins effectués en chaîne[34].

Elle s'effectue sur des parcelles plus grandes, adaptées à une forme de polyculture, qui permettaient aux esclaves d'entretenir des plants vivriers[34], ce qui est impossible sur les parcelles sucrières, d'où une surface moyenne supérieure en moyenne de 30 % à 40 % pour ces cultures dans les plantations caféières[34]. Dans celle de sucre, la coupe de la canne à la chaîne était supervisée par une catégorie distincte d'esclaves[34], aux intérêts opposés, avec des rapports hiérarchiques très marqués[34].

En Jamaïque, l'historien Matthew Reeves a réalisé, avec l'aide d'une communauté de descendants d'esclaves et du Jamaica National Heritage Trust[34], une comparaison entre les parcours des esclaves travaillant sur les plantations sucrières du secteur de Thetford et ceux des plantations de café de la Montagne Juan de Bolas[34],[35], du nom d'un ancien leader des esclaves fugitifs devenu colonel de la milice et magistrat après un accord de paix en 1660[36]. Elle a montré des différences importantes dans la longévité des esclaves[34], avec un âge moyen au décès plus élevé de deux décennies dans la zone caféière[34]. Par ailleurs, le travail y a moins d'impact sur la fécondité des femmes, qui est retardé chez les esclaves du sucre[34] et réservé parfois à des femmes qui n'ont pas d'autre activité[34].

Les descendants des esclaves des plantations de café vivent souvent sur le même lieu car, parmi leurs ancêtres, les esclaves affranchis s'installaient dans la plantation en rachetant une parcelle[34]. Les affranchis des plantations de sucre préféraient s'installer au contraire à l'extérieur[34], et les cultures personnelles de complément se trouvaient déjà souvent à l'extérieur de l'espace sucrier[34].

XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Esclaves brésiliens dans une plantation de café vers 1882.

Pendant les guerres et révolutions du premier quart du siècle, Londres devient le centre des enchères de café[13]. En , le prix du quintal chute à 40 shillings alors qu'il se vendait avant au cours stratosphérique de 500 shillings à la Bourse de Hambourg, en raison de la pénurie[37]. En 1820, Java ne fournit plus que 6 % de la consommation de l'Europe et en 1840 le Yémen seulement 2 % à 3 % de la consommation mondiale[2], tandis que les antilles anglaises et françaises voient l'esclavage s'éteindre. Mais il perdure à Cuba et au Brésil, deux nouveaux géants du café, qui font baisser des cours.

Au cours de la première des grandes crises alimentaires de 1811-1812 et 1816-1817 en France, génératrice d'hyperinflation, les prix du café ont doublé[38], en raison de la difficulté à se procurer du café sur le marché international et des opérations spéculatives menées dans les ports français[38].

La production brésilienne dépasse celle de Cuba et des Antilles britanniques à partir de la fin des années 1820[39]. Venezuela, Cuba et Brésil, n'aboliront l'esclavage qu'en 1854, 1886 et 1888, profitant d'un dumping social, qui suscite l'indignation du mouvement abolitionniste anglais, capable de mobiliser 1,5 million de signatures sur ses pétitions dès 1831.

Années 1825 1830 1855-59 1880-84 1900-1904
Production mondiale[40],[41] 0,1 million de tonnes 0,15 million de tonnes 0,3 million de tonnes 0,57 million de tonnes 1,02 million de tonnes

Dès les années 1820, l'opinion publique anglaise obtient un contrôle plus strict des traités interdisant la traite négrière, via le droit de visite des navires étrangers par la Royal Navy. Des navires français ou du Rhode Island importent en effet à Cuba des esclaves pour les plantations de café des exilés français. L'île sert aussi de plaque tournante pour l'importation d'esclaves aux États-Unis, via l'île d'Amélia, ex-colons de Saint-Domingue[42]. En 1823, l'Anti-Slavery Society anglaise passe à la revendication de l'abolition graduelle, ce qui permet de rallier la part des élites économiques la plus réticente puis de bénéficier de la réforme électorale de 1832 pour gagner les élections. L'Abolition bill est voté par le parlement britannique le [43]. Les planteurs de café de Jamaïque, anticipant cette décision, réduisent l'esclavagisme dès la fin des années 1820.

Les deux robusta (sur la photo) et de l'arabica sont produits à Cuba.
Exportations en tonnes 1821-1825 1826-1830
Antilles britanniques (vers l'Angleterre)[44] 13300 12500
Cuba[44] 10200 19800
Brésil[44] 12500 25700

Dès 1850, le Brésil produit la moitié du café sur la planète, écartant peu à peu les autres régions à l'exception de l'Asie. En 1855 cependant, le Chemin de fer du Panama permet d'éviter le contournement du Cap Horn à l'Amérique centrale, dont les plantations accèdent plus souvent plus facilement au Pacifique, sur des terres volcaniques favorables à une caféiculture d'arabica doux et lavés, très recherchés. Les sociétés d'émigrations européennes, puis les négociants allemands, investissent le Guatemala, où le café est cultivé par les populations amérindiennes, d'où ils partiront ensuite vers le Mexique, la Colombie et le Burundi. La production africaine et asiatique a chuté pour tomber à 5 % seulement à la veille de la Première Guerre mondiale[2].

Pays en 1879 Production, en millier de tonnes[45]
Caféiculture au Brésil 285
Caféiculture en Indonésie 79
Caféiculture au Sri Lanka 41,8
Caféiculture au Venezuela 31,3
Caféiculture en Haïti 30
Caféiculture en Inde 16,1
Caféiculture au Costa Rica 12
Caféiculture au Guatemala 11
Caféiculture à Porto Rico 10
Yémen et Éthiopie 6,4
Caféiculture en Colombie 5
Caféiculture en Jamaïque 5
Caféiculture à San Salvador 4

Viennent ensuite Cuba, le Nicaragua et le Honduras, avec chacun un millier de tonnes environ, devant la Guadeloupe (524 tonnes), La Réunion (374 tonnes), le Libéria (250 tonnes) et l'Équateur (132 tonnes). En Asie, les caféiers ont été décimés par l'apparition en 1869 de la rouille du caféier, maladie causée par des champignons comme Hemileia vastatrix, rayant en partie de la carte mondiale le café de Ceylan[46] et celui de Java[6]. Le café indonésien avait continué à progresser malgré la publication en 1860 de Max Havelaar, le roman presque autobiographique de Multatuli qui eut un écho retentissant aux Pays-Bas, mais il est touché par cette maladie au milieu des années 1870 et décline avant la fin du siècle.

Pépinière de café, de Mae Chan, District, Province de Chiang Rai en Thaïlande.

La répartition géographique de l'offre mondiale de café tout au long du siècle[41] :

Années 1830 1855-59 1880-84 1900-1904
Antilles (Cuba, Haïti, Jamaïque) 38 % 5 % 6 % 4 %
Indonésie + Sri Lanka 20 % 34 % 21 % 3 %
Autres pays d'Asie 8 % 3 % 5 % 1 %
Brésil 24 % 32 % 56 % 73 %
Colombie 0 % 0 % 1 % 3 %
Autres pays d'Amérique 8 % 5 % 10 % 15 %
Afrique 1 % 0,5 % 1 % 1 %

Années 1800 et 1810 : les conséquences de la révolution haïtienne[modifier | modifier le code]

La révolution haïtienne se traduit par trois décennies de conflits militaires, d'abord contre les armées coloniales françaises puis anglaises à la fin du XIXe siècle mais aussi au siècle suivant contre les espagnols et entre les différentes factions du nouvel État haïtien. Le , quand Jean-Jacques Dessalines, lieutenant de Toussaint Louverture, s'empare de Santo Domingo, les assiégés reçoivent en renfort un escadron français, mené par l'amiral Comte de Missiessy, et l'obligent à faire retraite vers Haïti, où le général noir Henri Christophe a été proclamé chef d'une insurrection menée aussi par le mulâtre Alexandre Pétion. Ils font assassiner, puis se déchirent et scinde le pays en deux royaumes: Henri Christophe dictateur du nord, avec de grands domaines pour ses proches et une guerre civile quasiment continue, Alexandre Pétion au sud, où il distribue de lopins de terres au plus grand nombre. À sa mort le , le commandant de sa garde, Jean Pierre Boyer, lui succède puis rattache le nord à la République d'Haïti le , à la suite d'une insurrection contre Henri Christophe.

Le café, timide rescapé de la récolte des esclaves haïtiens[modifier | modifier le code]

Carte topographique d'Haïti.

Dès 1801, le café supplante brutalement le sucre dans les exportations d'Haïti, en représentant un tonnage trois plus élevé[47]. Avec 0,65 million de livres, le sucre disparaît quasiment d'Haïti[48] dès 1822. Moins exigeante en capitaux et en main d'œuvre que celle du sucre, la caféiculture reprend après les conflits militaires qui ont suivi le départ des Français d'Haïti, mais les machines ont commencé à rouiller et les compétences ont été perdues. Privé de l'encadrement par l'irrigation des plantations, le café haïtien a changé de mode de culture, passant de l'intensif à l'extensif. Sauf exceptions comme Thiotte, le café est cultivé sous ombrage. Le Morne Puilboreau, à 798 mètres d'altitude, a une pluviométrie supérieure à un mètre par an et un versant nord aux sols profonds et riches, encourageant la caféiculture, qui reste cependant soumise aux variations de cours, bien plus fortes que pour les autres cultures d'Haïti.

La Jamaïque, boudée par l'Amérique du Nord, prend sa revanche lors de la pénurie haïtienne[modifier | modifier le code]

Sacs de café "Jamaica Blue Mountain".

En échec total à la fin du XVIIIe siècle, la production de café jamaïcaine est soudain multipliée par trente lors de la pénurie mondiale causée par la Révolution haïtienne lors des quinze premières années du siècle suivant, avant d'être divisée par deux face à la montée de Cuba, du Brésil et du Costa Rica. La Jamaïque connaît le café depuis 1728, l'année où son gouverneur anglais Nicholas Lawes (1652-1731) l'a acclimaté dans l'île. Le gouvernement anglais cherche alors à activer la production de café, à l'aide d'avantages fiscaux, tout en taxant la culture du sucre, via le Sugar and Molasses Act, pour réduire le pouvoir des distilleurs de Rhum de la Nouvelle-Angleterre. Mais ces avantages fiscaux, relatifs, n'ont pas suffi à concurrencer le café de Saint-Domingue, meilleur marché et plus compétitif[49], suscitant la jalousie des planteurs de Jamaïque, qui reprochent à la Nouvelle-Angleterre de favoriser le café français et de leur nuire[50]. Le débat dégénère. En 1770, leur assemblée déclare que l'utilisation par les marchands du Rhode Island de pièces trop légères est un acte de félonie[50], et diffuse des publicités dans les journaux de Boston pour s'en plaindre, tandis que Boston signe des pétitions contre une fiscalité qui favorise trop, selon elle, la Jamaïque[49].

En 1773, Frédéric II de Hesse-Cassel, landgrave de Hesse-Cassel interdit les débits de café[50], pénalisant ses principaux fournisseurs, les Antilles britanniques, parmi lesquelles la Grenade et la Dominique. Les marchands allemands, qui avaient traditionnellement acheté une grande partie de la récolte de la Grenade, ont été empêchés d'en prendre livraison. La Jamaïque devient elle-même dépendante du marché anglais à 90 % et ne vend plus que 10 % de son café dans les Treize colonies[49]. La Boston Tea Party se produit la même année : le boycott de la Compagnie britannique des Indes orientales tourne au vinaigre, les marins qui tentèrent de débarquer le thé sont passés au supplice du goudron et des plumes. Le café devient la boisson symbole de la liberté, par opposition au thé... surtout s'il est acheté en dehors de l'empire anglais. Le thé et le café ont figuré en bonne place dans ces discussions du Premier Congrès continental sur les concessions commerciales, mais les délégués ont reconnu que tous deux « sont devenus des articles de première nécessité à toutes les classes. ». En 1774, ce Premier Congrès américain a créé une Commission de trois experts, John Jay, John Adams (futur président) et Benjamin Franklin pour superviser les négociations sur les traités commerciaux avec plusieurs pays européens.

L'exportation de café jamaïcain affiche alors une hausse modeste dans les années 1770[49], puis retombe dans les années 1780[49]. En 1783, Londres réduit des deux-tiers les taxes sur le café[49], mesure qui ne produit son effet que cinq ou six ans après, le temps de replanter des arbres à café. Résultat, les exportations de café de la Jamaïque ne pèse que 2 % de celles de Saint-Domingue[49].

Débuts de décennie en Jamaïque 1761-1765 1771-1775 1781-1785 1791-1795 1801-1805
Production moyenne[51],[49] 49 52 26 114 337

Lors du Traité de septembre 1786, les Français font des concessions commerciales, acceptant le recours aux navires américains pour exporter leur café, dont les prix baissent encore. Ils fournissent ainsi plus de trois-quarts du café en Amérique du Nord en 1791, lorsque survient la Révolution haïtienne. La plupart des planteurs de Saint-Domingue fuient les massacres et expropriations pour s'installer à Cuba et à la Jamaïque. Parmi eux, l'ex-planteur caféier Pierre-Joseph Laborie, secrétaire de la chambre d'agriculture et député, mort à Kingston en 1800, qui a publié en anglais en 1798 un manuel technique sur la caféiculture[52], qu'il juge encore trop peu développée en Jamaïque[53].

Dopée par l'arrivée de planteurs français, la Jamaïque voit sa production de café passer d'un million de livres en 1789 à 34 millions en 1814. Dès 1804, l'île anglaise pèse 22 millions de livres de café, très loin devant ses rivaux: Venezuela (1 million) et Cuba (2,5 millions), avant d'être freinée en 1807 par l'interdiction de la traite négrière dans les colonies anglaises.

La Jamaïque voit aussi sa production sucrière doubler en treize ans après 1792, ce qui place l'île anglaise, avec un pic 110,000 tonnes en 1805[54], au-dessus des tonnages en sucre qu'avait atteint Saint-Domingue, ex-leader mondial, juste avant la Révolution haïtienne. Cependant, le retournement du marché du sucre en 1806 entraîne l'abandon d'un quart des plantations jamaicaines.

Localisation du pays Cockpit en Jamaïque.

Le prix des esclaves monte très fortement, d'autant que beaucoup sont revendus aux planteurs de coton américains et brésiliens, dopés par l'envolée des cours consécutive au Transfert de la cour portugaise au Brésil, qui prive de coton l'industrie française. Cuba parvient par ailleurs à faire venir beaucoup de ces exilés français[53], qui anticipent l'abolition de l'esclavage par l'Angleterre en 1825.

Peu compétitif, le café de Jamaïque voit alors ses exportations retomber, divisées par deux entre 1814 et 1834, pour revenir à 17 millions de livres par an, en raison de la concurrence cubaine et brésilienne et des dégâts causés par la déforestation massive des zones montagneuses de Jamaïque, qui s'est intensifiée lors de la pénurie mondiale de café des années 1800[55].

Le café de Jamaïque se raréfie progressivement et devient une appellation recherchée. Situées sur les flancs du Mont-bleu à 2 000 mètres d'altitude, dans la région du "pays Cockpit", les plantations donnent des cafés d'une qualité exquise, mais au coût démesuré, le célèbre Blue Mountain.

Cuba envahie par les réfugiés français de Saint-Domingue[modifier | modifier le code]

Portrait anonyme du début du XIXe siècle traditionnellement considéré comme représentant Jean Lafitte ; Rosenberg Library, Galveston

Cuba vit à son tour aussi une « révolution caféière » : les exportations passent de zéro en 1789 à 10 000 tonnes en 1810, puis 20 000 dans les années 1820. Juan Bautista Vaillant Berthier régisseur espagnol de Santiago de Cuba à la fin du XVIIIe siècle organise l'arrivée des réfugiés français de Saint-Domingue à Cuba dans la partie orientale de l'île, alors peu habitée. La culture du café est développée via un concours, annoncé par voie de presse le [56]: Don Pablo Boloix, l'expert du Consulat Royal, visita tous les établissements. Des cinq meilleures caféières qu'il distingua, trois étaient FrançaisES[56].

Prudencio Casamayor fonde en 1800 la plus importante maison de négoce de café de la ville à Santiago de Cuba, qui devient un grand port d'exportation caféière, ainsi qu'une capitale de la piraterie des années 1800 dans la Caraïbe. Le recensement de 1800 dénombre 250 noms français de marins portant un prénom espagnol, dont un « Pedro Lafitta », alias Pierre Lafitte, frère du pirate français Jean Lafitte[57].

Les réfugiés français contribuent à une révolution du café à Cuba, sur les hauteurs de Santiago de Cuba, où on voit encore aujourd'hui les ruines imposantes[56] de leurs caféières dans la Sierra Maestra. Une estimation de 1807, fait état de 192 exploitations caféières, qui emploient 1676 esclaves pour 4,3 millions de pieds de café[58]. Avec 1 540 pieds à l'hectare, la densité de culture reste inférieure à celle de Saint-Domingue (2 000 pieds dans le quartier des Maheux)[56]. Les plantations de café françaises essaiment aussi vers la côte ouest, entre 1808 et 1810[59]. Beaucoup d'immigrés français viennent alors du Sud-Ouest de la France, en particulier de Bordeaux. Ils s'implantent alors dans le secteur baptisé "Vuelta Abajo", dans la partie occidentale de Cuba, selon l'historien Bernard Lavallé[60]. Ce succès est tellement éclatant qu'il déclenche les émeutes anti-françaises de mars 1809 à Cuba. Trois semaines après les troubles, le , les autorités espagnoles décident l'expulsion des Français[61], surtout ceux de La Havane, et les citadins qui n'avaient pas de quoi se payer un voyage. Une "Junte de représailles" fut chargée de confisquer les biens des Français expulsés, mais les riches armateurs et planteurs de café de Santiago de Cuba y échappèrent.

Quinquennats 1804-1805 1806-1810 1811-1815 1816-1820 1821-1825 1826-1830 1831-1835 1836-1840 1841-1845
Café cubain (millions de livres) 1,5 4,8 11,5 16 21,7 40 50,1 47 42,2

L'offre de café cubain croît de 13 % par an sur les deux premières décennies du XIXe siècle, puis accélère à +20 % par an sur les années 1820, avant de culminer lors de la première partie des années 1820, puis de décliner rapidement, divisée par trois en vingt ans, sous l'effet de trois phénomènes nouveaux:

Moyenne annuelle 1841-1846 1855-1860 1862-1864
Tonnes de sucre cubain 148 266 500

Au Venezuela, la reconversion des planteurs de cacao[modifier | modifier le code]

Le prêtre jésuite José Gumilla (à gauche) a introduit le café au Venezuela in 1732, tandis que dictateur Juan Vicente Gómez (à droite) utilisera les revenus caféiers puis pétroliers pour développer le pays.
Carte du bassin du Lac Maracaibo, une des zones de caféiculture du Venezuela, proche de la Colombie.

Au XVIIIe siècle, le Venezuela a un quasi-monopole sur le marché du cacao et couvre encore au début du XIXe siècle la moitié de la demande mondiale[66],[67]. La caféiculture n'est encore qu'un complément, à petite échelle, confinée à l'État de Táchira, concédée aux esclaves par de grands planteurs[9], à partir de 1793[68]. Mais le pays devient le troisième exportateur de café au monde dans les années 1830, le café devançant la cacao dès 1830[69].

Dès 1810, la récolte caféière atteint 13 000 tonnes dans la seule province de Caracas, pour quatre raisons:

  • Saint-Domingue produisait la moitié du café mondial et la Révolution haïtienne y a mis fin, générant une pénurie et une flambée des cours du café[70] ;
  • le cacao exigeait un système complexe de drainage et d'irrigation pour faire venir ou expulser l'eau selon la saison, dans les petites plaines près des fleuves[47] ;
  • le caféier ne demande que 3 ans pour grandir au lieu de 6 ans pour le cacao[47] ;
  • les élites du Venezuela aspirent à des relations avec d'autres grands pays que l'Espagne, qui poussait à la production cacaoyère[70].

Les grands négociants allemands tirent profit de la Révolution haïtienne[modifier | modifier le code]

Trafic capté par les ports de Hambourg, Lübeck et Brème[modifier | modifier le code]

Conséquence immédiate de la Révolution haïtienne des années 1790, les négociants français ne peuvent plus approvisionner leurs clients européens en café, culture dont la moitié de l'offre mondiale venait de leur colonie de Saint-Domingue, qui produisait près de 40 000 tonnes par an. La marchandise, dont les prix s'envolent, est livrée par des navires américains et le trafic capté par les grands ports du nord de l'Allemagne, Hambourg, Lübeck et Brème, pour une valeur multipliée par 40 en dix ans, grâce à la combinaison de tonnages bien plus importants et de prix de vente qui ont flambé dans tous les ports, le total approchant les 18 millions de dollars en 1799[71]. Les négociants français, comme l'armateur nantais Louis Drouin, qui profitait surtout d'excellents contacts commerciaux avec des planteurs de la partie sud de Saint-Domingue, ne peuvent faire face, car la Révolution haïtienne les a destabilisés. Le dernier navire que Louis Drouin envoie à la mer part le [72].

Au cours de la décennie des années 1790, le nombre annuel de navires entrant à Hambourg augmente de 43 %, et les tonnages progressent de 42 % pour le coton, de 98 % pour le sucre et de 111 % pour le café. Une partie de ces navires américains étaient sous pavillon britannique jusqu'à la fin de la Guerre d'indépendance des États-Unis, en 1784, et l'autre issue d'un profond effort de construction navale de la jeune république américaine, financé par la dette publique.

Les négociants allemands attirent ces navires en acceptant de payer un tiers ou même deux, dès la livraison, et prennent l'habitude d'acheter la marchandise pour leur propre compte, afin de profiter de l'explosion de sa valeur. Ils se rémunéraient jusque-là essentiellement par des commissions. L'intense spéculation sur le sucre, le café et le coton créé un excès d'offre en 1799, qui fait chuter les spéculateurs les moins solides et favorise les négociants les plus importants. La maison de commerce de Caspar Voght et son partenaire d'affaires et ami Georg Heinrich Sieveking, bâtit en particulier une énorme fortune[71].

La variation du nombre de navires arrivés dans le port de Hambourg, en Allemagne du nord, au cours des années 1790, en fonction de la marchandise importée[71]:

Cinq ans d'occupation française de la Hollande[modifier | modifier le code]

Même s'il commence avant l'occupation française de la Hollande en 1795, qui ferme le Rhin et déplace le commerce vers l'Allemagne, il est amplifié après. Entre 1795 et 1866, 39 marchands britanniques indépendants et 80 maisons de commerce anglaises deviennent bourgeois de Hambourg. Le port de Hambourg s'était spécialisé dans les cafés d'origine française dès le XVIIIe siècle, en important entre 1763 et 1776 environ 25 millions de livres pesant de café et de 22,5 millions de livres pesant de sucre, grâce au traité de commerce entre la France et les villes hanséatiques. Dès 1789, Hambourg avait absorbé 45 % des réexportations françaises de café, dont les deux-cinquièmes ont transité par Bordeaux, et 20 % des réexportations françaises de sucre. La même année, les tonnages de ces deux marchandises venues de l'empire britannique vers Hambourg ne sont que respectivement 6 % et 2 % le flux essentiellement venant de l'empire français[73]. À partir de 1791, la Révolution haïtienne incite Hambourg à trouver de nouveaux fournisseurs pour alimenter ses clients. Entre 1790 et 1795, le café venu de France dans le port allemand passe de 6 949 tonnes à 439 tonnes (15 fois moins), tandis que celui venu d'Angleterre passe de 121 tonnes à 8 912 tonnes: le café jamaïcain vient de s'ouvrir le grand marché allemand d'où il était absent.

Pays d'origine France Angleterre
Cafés importés à Hambourg en 1790 6 949 tonnes 121 tonnes
Cafés importés à Hambourg en 1795 439 tonnes 8 912 tonnes

Cette évolution et le boom du commerce américain des années 1790 amène Toussaint Louverture, leader de la Révolution haïtienne à signer le , avec la jeune république américaine et l'Angleterre, sous les auspices du consul des États-Unis dans l'île, le docteur Edward Stevens, la Convention commerciale tripartite de 1799, pour l'ouverture au commerce des ports de l'île. Il exige en contrepartie que les Anglais et les Américains fassent que la Piraterie des années 1800 dans la Caraïbe n'ait plus la possibilité d'accoster à Haïti. Les haïtiens n'ont plus de navires mais les américains s'endettent pour reconstituer rapidement leur flotte, qui avait été rapatriée par les Anglais après l'indépendance.

Les armateurs allemands s'implantent au Havre[modifier | modifier le code]
Le port du Havre au XIXe siècle, BNF.
Le Havre, quai de Southampton, quartier des négociants.

Les négociants en café, des familles protestantes, venues pour la plupart d’Allemagne et d’Europe centrale[74], font ensuite, à partir de 1815 du Havre le principal importateur de café en France. Parmi eux, le bavarois Ferdinand Kronheimer, fondateur en 1840 de la Société commerciale interocéanique et arrière grand-père d'Antoine Rufenacht, maire du Havre[75]. Les années 1830-40 voient Le Havre décoller, pour vivre son apogée de 1850 à 1914[76], comme 2e port européen pour le café, grâce à ses « hirondelles de Rio », navires légers spécialisés dans le transport du café[76]. À partir de 1860, le café brésilien représente la moitié des arrivages havrais, grâce à un traité de commerce qui permet au Havre de confirmer son leadership européen pour l'importation de café. « La route du café », deux à trois mois, se raccourcit grâce à des bateaux plus rapides construits par l'Union des chargeurs, un groupement de négociants havrais: le , le « Reine-du-Monde » accoste avec 10 000 sacs de café, acheminés depuis Rio en trente-sept jours, nouveau record[23].

Sur le chemin de l’exil aux États-Unis[74], ces familles allemandes se sont installés définitivement dans le plus actif des ports caféiers français. En 1900, Le Havre compte entre 170[23] et 359 négociants en café[74]. En 1980, il y en a encore 35[76]. En 1900, 600 femmes sont employées comme trieuses de café, surnommées les "dactylos du café", payées en 1900 de 4 à 6 francs par 100 kilos de café trié[23]. Parmi ces grands noms du café, les Egloff, Rufenacht, Foerster puis Raoul-Duval, Loevenbruck, Langlois, Traumann, Jobin, Louis Delamare (café).

Années 1820 : la caféiculture, soutien des nouveaux pays indépendants[modifier | modifier le code]

Après 1821-1822, l'Amérique latine libérée encourage la caféiculture : Brésil, Venezuela et Amérique centrale, les nouveaux états nés des guerres d'indépendance jouent un rôle important dans le lancement de la caféiculture, jusque-là très peu développée. Ils voient dans le café un produit d'exportation tourné vers les pays en forte croissance, Angleterre et États-Unis, qui leur permet de tourner le dos à leurs ex-empires coloniaux et se donner aussi une indépendance économique.

Au Venezuela, une substitution accélérée après le chaos de la guerre d'indépendance[modifier | modifier le code]

Alors qu'en 1810-1820, un premier cycle du café remplace timidement le cycle du cacao au Venezuela. Ce mouvement de substitution bénéficie d'une accélération après les dégâts causés par la guerre de l'indépendance entre 1810 et 1821.

Plantations de cacao à l'abandon[modifier | modifier le code]

La plus disputée des guerres d'indépendance en Amérique du Sud donne naissance au Venezuela en 1821 mais détruit les ex-régions cacoyères de Caracas, d'Aragua et de la côte de Barlovento, qui a vu ses plantations de cacao changer plusieurs fois de mains, puis être abandonnées, leurs esclaves ayant été recrutés à la fois par les armées royalistes et patriotes[69]. De plus, après l'indépendance, trois sources de crédit se sont taries, l'église catholique, les grandes fortunes locales et la Métropole espagnole[77]. Les spéculateurs étrangers et banques prennent le relais, avec des taux d'intérêt de 2 % à 3 % par mois à la fin des années 1820, revenus à 1 % en 1830[77]. La "Sociedad Económica de Amigos del País", fondée en 1829, réussit à promouvoir la croissance économique des années 1830[78]. L'abolition en 1834 de la loi espagnole protégeant les débiteurs de leurs créanciers accélère le processus d'endettement[77]. Entre 1830 et 1842, les surfaces plantées en café triplent[77].

Protection des communautés indiennes par les nouvelles autorités[modifier | modifier le code]

Une loi de 1836 institue le fractionnement des terres communes indigènes entre leurs familles, pour créer des petits propriétaires individuels, recevant des terrains en fonction du nombre de leurs enfants[70]. Mais elle n'est pas appliquée, pas plus que la suivante, deux ans après, car les colons blancs s'y opposent, en arguant qu'ils ont été oubliés du partage[70].

Au début des années 1850, ce sont les indiens qui pétitionnent le gouvernement pour protester contre les blancs qui pénètrent sur leurs terres au motif d'en mesurer les distances[70]. Plusieurs gouvernements provinciaux défendent les indiens, en particulier à Barquisimeto en 1828 et 1840, mais dans la plupart des cas, leurs droits sont usurpés[70].

Les élites vénézueliennes se méfient car elles ont conservé un mauvais souvenir du rôle des indigènes lors de la culture du cacao au siècle précédent. De 1730 à 1733, deux ans après sa création, la Compagnie royale Guipuzcoana avait subi une révolte des amérindiens et noirs de la rivière Yaracuy, menés par leur leader Andresote, soutenue par les Hollandais et petits planteurs blancs et matée avec difficulté. Dans les décennies qui ont suivi, la moitié du cacao de la vallée de la rivière Yaracuy continua à sortir via la contrebande hollandaise, contribuant à une division par deux du cours du cacao.

Au Brésil, les défrichages hâtifs des premiers barons du café[modifier | modifier le code]

Esclaves récoltant le café au Brésil, 1835.

Après la Révolution haïtienne des années 1790, les déportations d'esclaves augmentent vers les régions du Brésil qui produisaient comme Saint-Domingue coton, café et sucre[39], pour profiter du bond des prix. La caféiculture s'étend de l'île de Bananal à la vallée du Paraíba, puis à la région de Rio[47].

La Paix d'Amiens de , répit dans les Guerres napoléoniennes permet l'approvisionnement par les Anglais[39] et l'arrivée des esclaves s'accélère après leur fin en 1813. Le café enrichit rapidement l'oligarchie rurale et les cités comme Guaratinguetá, Bananal et Pindamonhangaba, reliée par des convois de mulets à Rio de Janeiro. Le café peut être cultivé dans de plus petites fermes, sans l'équipement industriel requis pour la canne à sucre, mais des grands domaines sont aussi créés de toutes pièces pour des militaires et gouverneurs anoblis, ou de vieilles familles de la cour arrivées lors du Transfert de la cour portugaise au Brésil en 1808[79]. Enrichis rapidement, ces barons du café, qui adoptent les us et coutumes de France[79],[80], sont de piètres paysans, appauvrissant rapidement les sols par la monoculture, d'où le défrichage frénétique des forêts pour plantations de 300 à 400 esclaves pouvant compter 400 000 à 500 000 pieds de café, aux coûts de production très bas, qui font chuter les cours mondiaux. À moitié ruinés par plusieurs années de sécheresse, plusieurs barons préfèrent revendre leurs propriétés[79].

La mésorégion de la vallée du Paraíba Paulista et la microrégion de la Vallée de la Paraíba Fluminense, où ont lieu les premiers grands défrichements brésiliens liés à la caféiculture.

L'esclavage était déjà développé à grande échelle dans l'intérieur du Brésil depuis le boom minier de l'or, au cours duquel Rio de Janeiro a progressivement remplacé Salvador de Bahia comme entrepôt, faisant la jonction avec la région aurifère[39]. Dès 1763, Rio est capitale et sa région dépasse ensuite celle de Bahia pour la production de sucre[39]. Les arrivées d'esclaves noirs au Brésil culminent à 43 000 par an dans les années 1820. La culture du café en est la principale raison, selon l'étude détaillée de l'historien Herbert S. Klein[81].

Dès 1831, le Brésil devient premier exportateur mondial de café : 14 millions de livres, plus que les 25 millions d'Haïti en 1820[82],[81]. Le café devance le sucre, en représentant 40 % de ses exportations, qui vont pour les trois-quarts aux États-Unis[82]. La forte croissance économique mondiale des années 1830 accélère la spéculation foncière. Les défrichages se multiplient au sud-ouest, le long de la Vallée du Paraíba, vers les régions orientales de l'État de São Paulo puis ses plaines occidentales[39]. Dans les années 1830, le café gagne aussi la "Mata de Zona", frontière densément boisée du Minas Gerais[39].

En Amérique centrale, le rôle pionnier du Costa Rica puis du Guatemala[modifier | modifier le code]

Entre 1840 et 1880, l'Amérique centrale s'équipe avant les autres pays caféiculteurs de voies de communications modernes et mobilise, le plus souvent à cette fin, les sociétés d'émigrations européennes, puis les négociants allemands, qui investissent le Guatemala, d'où ils partiront ensuite vers le Mexique. Des Belges, Français, Argentins et Colombiens ont aussi contribué fortement aux progrès de la caféiculture au Costa Rica et au Guatemala, les deux pays précurseurs, sur des terres volcaniques favorables à une caféiculture d'arabica doux et lavés, très recherchés en Europe. Les populations indiennes des zones volcaniques en font une spécialité et en 1892, le Guatemala produit à lui seul 70 000 tonnes du café le plus cher au monde[83].

Au Costa Rica, incitations fiscales et partenaires anglais[modifier | modifier le code]
Statue à l’effigie de Juan Mora Fernández, à San José.

En 1821, le Costa Rica obtient son indépendance et fonde la République fédérale d'Amérique centrale. Juan Mora Fernández, président de 1825 à 1833, encourage la caféiculture par des exemptions fiscales[84]. Il distribue gratuitement des terres aux personnes qui s'engagent à cultiver du café, certaines communes obligeant même à posséder un certain nombre de caféiers. Dès 1826-1827, l'inventeur gallois Richard Trevithick propose une voie ferrée entre Limon, sur la côte caraïbe, et le port de Puntarenas, sur l'autre versant, en passant par San José, avec des embranchements vers des sites miniers[85].

Dans les années 1830, George Frédéric Augustus Ier, roi de la Côte des Mosquitos, donne concession[86] aux négociants jamaïcains William Hodgson et Samuel Shepherd[87]. Ce dernier se lie avec Don George Stiepel, un ancien soldat, qui développe en 1832 le commerce du café avec l'Angleterre, via les ports du Chili. Dès 1839, il contrôle 11,5 % des exportations de Puntarenas[88]. Les commerçants britanniques apprécient l'excellent café suave des volcans de la vallée centrale, aux conditions écologiques propices: altitude allant de 700 à 1 500 m, sols fertiles et bien drainés.

En 1839, le Costa Rica exporte déjà 9 000 tonnes de café. En 1843, le guernesiais William Le Lacheur met en place une route commerciale régulière et directe vers l’Europe, sous la marque Café de Valparaiso[47], le port chilien servant pour la réexpédition. C'est l'année où les caféiculteurs costa Ricains détenant plus de mille pesos sont déjà 101, plus nombreux que ceux qui ont moins de ce montant, et presque aussi nombreux que les 160 possédants détenant ce capital mais exerçant dans d'autres domaines. La récolte passe de 50 000 livres en 1832 à 8 millions en 1853 et 20,7 millions en 1868.

Sociétés d'immigration belges et allemandes[modifier | modifier le code]

Le caféiculteur Juan Rafael Mora Porras assure 8 % des exportations de café du Costa Rica et 16 % de la transformation du café en 1849, l'année où il est élu président du Costa Rica. Depuis la Révolution de 1848 en Europe, qui génère des exilés, de liens diplomatiques ont été établis entre l'Allemagne et le Costa Rica. Juan Rafael Mora Porras les renforce. Plusieurs colonies allemandes sont fondées :

Image satellite du golfe de Nicoya, vers lequel les 37 familles allemandes de la colonie de Míravalles arrivées en 1851 doivent construire une route, pour désenclaver l'exploitation caféière de l'argentin Crisanto Medina.
  • Dans la province de Cartago, s'installent en 1853 une centaine de familles de Brême[91], menées par le baron Alexander von Bülow, créater en 1849 la Berlin Colonial Association, qui coopère avec sa rivale l'Hamburg Association for Colonisation in Central America. Ils fondent la colonie d'Angostura (Costa Rica), à une altitude moyenne de 1 000 mètres, sur les flancs du Turrialba. L'ingénieur Franz Kurtze tente de tracer une route vers la côte atlantique, pour le transport des produits de la colonie vers l'Allemagne. Mais il a trop tôt épuisé la quasi-totalité du prêt destiné à la construction de routes, ruinant la colonie, qui doit exporter alors vers le Pacifique, par le chemin existant.
Vue aérienne du sommet du Volcan Turrialba. La colonie allemande d'Angostura s'est installée sur ses flancs.
La colonie de Santo Tomás de Castilla, sur la côte nord-ouest du Guatemala avait pour mission de tracer une route jusqu'à l'océan.

Sur la côte atlantique du Guatemala, la Compagnie belge de colonisation, achète en 1843 la colonie de Santo Tomás de Castilla, avec l'aide de Léopold Ier de Belgique, pour « ouvrir un chemin et mettre le port en communication avec l'intérieur, mais les maladies ont décimé ces hommes, qui ne peuvent supporter un climat aussi rigoureux »[92]. La colonie abandonne en 1854[93]. La colonie disparaît rapidement mais 144 belges acceptent de rester dans le pays, en prenant sa nationalité[94], dont plusieurs dans la caféiculture et le négoce, tandis que 33 autres s'établissent dans d'autres pays d'Amérique centrale. Deux français colons de Santo Tomás de Castilla restent au Guatemala :

  • son directeur scientifique le professeur de biologie Jules Rossignon, qui a créé une grande ferme à Las Victorias, site de la future ville de Cobán, dans le Département d'Alta Verapaz et publie en 1861 un rapport encourageant sur la culture du café, puis représente le café guatémaltèque à l'Exposition universelle de 1867 à Paris.
  • le baron Oscar du Teil s'installe en 1854 et plante 110 000 caféiers de 1856 à 1859, avec son frère Javier, à Escuintla (Guatemala), sur la plaine côtière du Pacifique, puis fonde en 1867 la première compagnie de télégraphe du pays. L'amélioration des routes vers la côte Pacifique permet à ce versant de représenter plus des trois quarts des exportations guatemaltèques sur la période 1859-1864, au lieu d'un tiers sur la période 1853-1858[95]. Du coup, le rôle des Anglais dans les exportations par Belize diminue fortement[95].
Ancienne voie ferrée du Guatemala reliant les deux océans.

À la même époque, le Chemin de fer du Panama est achevé, en 1855. En 1858, la firme de négoce allemande Hockmeyer & Rittscher s'implante au Guatemala pour exporter vers Hambourg, comme Hapag, qui relie le port de Colon, sur l'Atlantique, aux ports européens[95]. Le café guatemaltèque transite par la côte Pacifique puis traverse l'isthme du Panama par le train[95]. Venu de Brème le négociant Rieper Augener" devient l'agent local du Norddeutscher Lloyd, fondé en 1857 à Brême par le négociant Eduard Crüsemann[96].

Madagascar et Haïti conservent quelques liens avec la France[modifier | modifier le code]

Aventuriers français sur le sol malgache[modifier | modifier le code]

Le traité de Paris de 1814, ne se prononce pas sur la possession de Madagascar par les puissances européennes. Robert T. Farquhar, gouverneur britannique de l’île Maurice veut contrecarrer l'influence française. Il convainc Radama Ier d'attaquer les principautés de la côte orientale, tenues par des Malato, des esclavagistes proches de la France, puis de signer le un accord qui reconnaît le désormais Royaume de Madagascar. Les Anglais aident Radama Ier à le moderniser en échange de l’abolition du commerce des esclaves. La France, l'Allemagne et les États-Unis le reconnaissent ensuite. Peu après, une plantation est créée en 1820 à l'Île Sainte-Marie par l'officier d'artillerie Jean-Louis Joseph Carayon, à une dizaine de km de Madagascar, avec 100 000 caféiers en 1824, époque où la culture commence aussi sur la grande île, par Julien Gaultier de Rontaunay un grand commerçant de Maurice, installé à Saint-Denis de La Réunion. Il plante 150 000 arbres à Manajanty, sur la côte orientale de Madagascar, où en association avec Jean-Joseph Arnoux et fonde des comptoirs sur la côte orientale. Pour les desservir, il crée une flotte de commerce qui en 1857 comprend 19 navires, plus 47 navires affrétés. Jean Laborde, influent sur la monarchie Merina implante le café sur les hauts plateaux de l'intérieur avec Julien Gaultier de Rontaunay, probablement vers 1840.

Napoléon de Lastelle, qui sera fait prince de la famille royale, a 1 500 esclaves pour la culture sucrière, en association avec la société de négoce de Rontaunay à Mahela, et 300 autres le long de la rivière, pour le café[97].

Haïti, le chantage à l'indemnisation des ex-esclavagistes[modifier | modifier le code]

Dans l'espoir que l'indemnisation des colons soit versée, la France encourage la production haïtienne : 82 navires français assurent son importation dès 1821 contre 39 en 1817. En 1824, la moitié des 10 millions de tonnes de café importées par la France viennent d'Haïti, soit 45 % de plus que les 3,86 millions de tonnes 1821. Ce n'est pourtant qu'un tiers de la production haïtienne. L'Angleterre importe elle 35,1 millions de livres de café d'Haïti en 1822, deux fois plus qu'en provenance de Cuba. Mais Ceylan multiplie par vingt sa production entre 1820 et 1840, assurant la moitié des importations anglaises, tandis que le Brésil devient leader mondial. Le cours de la livre de café haïtien à Philadelphie perd 75 % de sa valeur en vingt ans, passant de 26 cents en 1822 à 6 cents en 1843. Le prix d'achat tombe à seulement 75 francs le quintal en 1843, l'année de la Révolution de 1843, grand soulèvement contre le président Jean-Pierre Boyer, qui avait rétabli le travail obligatoire. Charles X avait reconnu en 1825 la République d'Haïti sous condition d'une indemnisation des colons de Saint-Domingue pour 150 millions de francs-or. Boyer négocia la somme à 90 millions, mais dut instaurer de lourds impôts et restaurer la corvée dans l'économie agricole. Il facilita même la migration de 6 000 Noirs américains libres, sur des plantations caféières[98]. Ces mesures suscitèrent un mouvement insurrectionnel mené par Charles Rivière Hérard, qui sera à son tour renversé par des révolutionnaires le et devra s'exiler en Jamaïque.

Charles Rivière Hérard, leader de l'insurrection de 1843 en Haïti.

Prix en francs du quintal de café à Haïti:

Années 1821 1822 1824 1830 1843 1858 1861
Prix 291,2 263,7 160,6 83,7 75,4 116 à 135 160 à 162

Les cours mondiaux ont ensuite rebondi et les exportations haïtiennes aussi, passant de 15 000 tonnes à 30 000 tonnes entre 1824 et 1880, dont les deux-tiers vendus en France[47]. En 1974, le café fournit encore la moitié des recettes d'exportation du pays puis ne cesse de chuter à cause du déboisement, certains Haïtiens préférant faire du charbon de bois[99], ce qui oblige à des opérations de opérations de correction des ravines et de conservation de sols. Haïti a du mal, dès le début des années 1980, à remplir son quota de 22 000 tonnes de café prévu par l'Accord international sur le café. La part de la population travaillant dans l'agriculture chute de 66 % sur la décennie[100],[101]. Le terrible séisme de 2010 à Haïti a ensuite laissé le pays dans la désolation.

Années 1830 : course à la rentabilité dans les colonies anglaises, hollandaises et espagnoles[modifier | modifier le code]

Dans les années 1830, la crise de succession provoquedes affrontements armés connus sous le nom de guerres carlistes, qui touchent le Nord de l'Espagne, mais ont des répercussions dans les colonies. Isabel II vient d'accéder au trône d'Espagne et n'a pas encore trois ans. Son oncle « Charles V » se déclare également roi et ses partisans, les carlistes, sont défenseurs des droits des provinces. Outre-Mer, les réformes réclamées par les milieux économiques locaux pour moderniser et ouvrir le commerce sont autorisés, en particulier le commerce du café à Cuba et aux Philippines.

En Angleterre, l'esclavage est aboli en 1833, face à la pression de l'opinion publique, et la fin du cycle caféier de la Jamaïque annoncé, ce qui incite à investir massivement dans une nouvelle colonie d'approvisionnement, l'île de Ceylan. Aux Pays-Bas, il faut trouver de nouvelles recettes coloniales pour financer le conflit contre la Belgique, indépendante depuis 1830 et avec elle le grand port caféier d'Anvers. Du coup les Hollandais relancent la caféiculture à Java, en se fixant des contraintes de rentabilité élevée.

Espagnols : modernisation et libéralisation à Cuba et aux Philippines[modifier | modifier le code]

L'Espagne ouvre les Philippines aux investissements étrangers[modifier | modifier le code]

Aux Philippines, le cacao est la culture officielle, empêchant le café de se développer, comme le note Tomás de Comyn, directeur de la "Real Compañia de Filipinas", dans son rapport de 1810. Malgré les efforts des Augustiniens Elias Nebreda et Benito Varas pour l'encourager[102], en 1830, les Philippines n'exportent que 160 tonnes, contre 16,620 tonnes pour Java. L'année 1835 voit la dissolution de la compagnie nationale et l'ouverture aux maisons de commerce étrangères anglaises puis américaines. Le , les travaux du français Paul de La Gironière dans le domaine de l'horticulture et de l'agriculture sont reconnus par un prix de la Real Sociedad Económica de Amigos del País (es) de Manila ; il reçoit cette récompense alors que sa plantation de 6 000 caféiers, est prête pour la deuxième récolte et reste vingt-cinq ans aux Philippines, visitant les sociétés traditionnelles de la cordillère du nord de la grande île de Luzon. Le prix est ensuite donné à des Espagnols, Vicente del Pino en 1838, Azaola en 1846 et Antonio Ortega en 1847, sur des plantations plus vastes.

Au milieu des années 1850, le café est exporté en Australie, en Angleterre, via Hong Kong et en France et 1859, et deux tiers de Lipa (Batangas) municipalité de la province de Batangas, aux Philippines, dans la partie ouest de Luzon, sont plantés en café, concentrant 97 % de l'exportation caféière de l'archipel et faisant la fortune de grands clans, les Aguilera, Solis, Katigbak. Un demi-million de livres de café par an sont exportés aux États-Unis entre 1860 et 1872.

La récolte culminera à 7 500 tonnes en 1884[103], le mythe d'un « monopole mondial » temporaire du café philippin à cette époque étant usurpé, car en trois ans, l'archipel ne produit qu'un tiers de ce que les États-Unis ont importent en une seule année[104].

Le chemin de fer développé à Cuba par les Anglais et les Français[modifier | modifier le code]

Les Européens ont introduit le chemin de fer à Cuba, pour la culture du sucre et du café, qui s'étend vers l'ouest et se modernise. Le , Isabel II autorise la première ligne, La Havane - Güines. Un emprunt de 2 millions de pesos est négocié en Angleterre et l'Américain Alfred Cruger recruté comme ingénieur principal. Le 10 novembre 1837 est inaugurée la ligne La Havane-Güines, première de l'empire espagnol, sur 27,5 kilomètres. Fin 1839, le chemin de fer atteint la ville de Güines, au cœur d'une riche région agricole et sucrière au sud-est de La Havane. Les réseaux ferroviaires locaux sont développés à Matanzas, région caféière, Cárdenas, Cienfuegos et Sagua La Grande, à l'ouest et au centre de l'île. Le , un deuxième chemin de fer a obtenu sa concession pour relier Camagüey (alors appelé Port-au-Prince) au port de Nuevitas. Gaspar Betancourt Cisneros achève la première section en 1846, mais aller jusqu'à Camagüey prend 5 ans de plus. L'ingénieur français Jules Sagebien[105], également investi dans les chemins de fer de Cienfuegos, Guantánamo et celui de l'Ouest à La Havane, construit en 1844 un chemin de fer à voie étroite dans les mines d'El Cobre. Les investissements directs dans le chemin de fer émanent aussi de la «sugarocracy» créole.

Plaque de constructeur de locomotive Cail.

La Société Ch.Derosne et Cail est créée le pour succéder à l'atelier de Charles Derosne, l'un des premiers en France à fabriquer le sucre de betterave dès 1811. Elle construit à Paris des machines à vapeur pour les sucreries et locomotives à Cuba, dans ses usines du quartier de Chaillot, 46 quai de Billy et rue des Batailles (avenue d'Iéna), avec plus de 1 200 ouvriers mécaniciens. Jean-François Cail, promoteur du concept d'agriculture industrielle, obtient une position dominante, car il a vendu des machines à Cuba et à Porto Rico dès 1830. Environ 500 usines à sucre seront équipées par la maison Cail dans le monde, encouragée par les militaires qui y voient la défense de l’île[106].

Anglais : les plantations anglaises ultra-productives de Ceylan[modifier | modifier le code]

Les caféiers de Ceylan et ceux des Nilgherries avaient d'abord échoué. Dès 1740, les directeurs de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, Baron van Imhoff et ses successeurs van Gollenesse et Loten[107] ont tenté de cultiver le café sans succès, à une altitude trop basse, et dans le souci ne pas trop concurrencer Java[108]. En 1762, la production ne dépassait pas 50 tonnes[109]

Ceylan passe sous contrôle anglais via la Convention de Kandy de 1815. Le café y est cultivé[46] par le planteur George Bird à Singhapitiya dès 1823, quand une cargaison comptant du café de Ceylan arrive à Gibraltar à destination de Livourne dès 1823. Le premier ceylanais de souche à cultiver le thé à une échelle commerciale est Jeronis de Soysa[110],[111] et un quart de la production émane tout d'abord de petits planteurs locaux[112], mais l'échec est aussi causé par une altitude trop faible.

Sri Vikrama Rajasinha, dernier souverain du Royaume de Kandy.
Succès dans les zones semi-montagneuses après 1836[modifier | modifier le code]

L'abolition de l'esclavage dans les Antilles anglaises en 1834 ouvre un boulevard au café de Ceylan. La production se développe à partir de 1836 par la distribution de terres domaniales[113]. À partir de 1843, l'île assure la moitié des besoins anglais en café, grâce à une production décuplée en vingt ans[46]. La main-d'œuvre est abondante : deux travailleurs environ à l'hectare[113]. Sur chaque domaine naissent des villages nouveaux[113]. Les rendements sont trois à quatre fois plus élevés qu'aux Antilles, dans des plantations européennes assurant les ¾ de la production, à côté d'une caféiculture plus modeste[46]. Les fermes de café ont en moyenne 40 hectares[114]. Les plantations européennes, dix à quinze fois plus étendues (en moyenne 80 hectares)[113], appartiennent souvent à des sociétés, qui possèdent en moyenne plus de 100 hectares. Les petits planteurs représentaient encore 38 % de l'activité en 1850 mais leur part tombe à 6 % en 1885. Ils ont un moindre accès au crédit et plus cher[114]. Un tiers des plantations sont détenues par des Ceylanais de souche, puis c'est seulement un huitième.

Financiers indiens et main d'œuvre tamoule[modifier | modifier le code]
Plaque de Ceylan, Physiques, Historiques et Topographiques, intitulé Le Café des Régions. Badulla

Les indiens Chettiar financent et contribuent à la commercialisation, tandis qu'une main d'œuvre Tamoule, est arrivée par dizaine de milliers à la fin des années 1830 et surtout en 1842[46]. Même si l'esclavage est aboli en 1843 à Madras et en 1855 à Travancore (Thiruvitankur en malayalam), ancien État princier des Indes britanniques, la plupart des paysans du Thanjavur restent liés par une dette qui empêche leur mobilité et les rend corvéables[115]. Le surplus des revenus du café est utilisé pour créer une « Cooly Transport Company » et la « Ceylon Agency », chargés de s'implanter dans les ports d'Asie pour y recruter de la main d'œuvre[114].

Entre 1838 et 1843, pas moins de 130 plantations sont créées à Ceylan, où en 1845 la chute accentuée des cours du café ramène les planteurs à une perception plus réaliste de l'avenir[116]. Après la dépression des prix du café de 1846, les conflits émergent car le travail obligatoire est introduit en 1848, causant une rébellion[113]. La production décline, puis elle repart avec la hausse des cours.

Hollandais : le travail forcé en Indonésie[modifier | modifier le code]

Statue de Multatuli à Amsterdam.

Peu après la restauration hollandaise, à partir de 1816, les plantations sont relancées dans le Priangan, au sud ouest de Java et dans le centre et le sud de Sumatra[113]. L'exportation prit de l'importance en 1823, avec 2 000 tonnes puis monta encore, se maintenant pendant les années 1830, entre 20 000 et 30 000 tonnes[113]. Les conflits militaires nés de l'indépendance de la Belgique en 1830 obligent à trouver des recettes pour les financer. Après de longs débats dans l'administration coloniale, qui argue des abus commis par commerçants privés auprès des planteurs[6], le travail obligatoire est institué en 1832 : les paysans doivent donner 20 % des terres aux cultures d'exportation ou 60 jours par an non rémunérés sur des projets publics[6]. Les Hollandais créent en 1833, un monopole du commerce du café à Java[113], qui compte 187 000 caféiers en 1834, dont deux tiers récemment plantés.

La part des petits propriétaires en diminution régulière[modifier | modifier le code]

La production d'Indonésie triple en dix ans, de 25 000 tonnes en 1832 à 76 000 tonnes en 1843[113] soit le quart du café mondial, dont les 3/4 par le gouvernement et 20 % par les grandes plantations indépendantes. Comme à Ceylan, la part des petits propriétaires, très faible, ne cesse de diminuer : 10 % en 1830 puis 5 % en 1845 et 1 % seulement en 1848. De 1835 à 1880, le nombre de caféiculteurs passe de 400 000 à 700 000, représentant 60 % du total des paysans de Java.

La caféiculture entraîne des migrations pour se placer sur les axes de collecte du café. Les Javanais doivent livrer un quota de café à un prix fixé : 25 guilders par "pikul" de 62 kilos, retranchés de 10 guilders pour le droit du sol et 3 guilders pour les coûts de transport. La perception des taxes est transférée aux agents de recouvrement, payés par commission[6]. À l'export, le café javanais reste l'un des plus chers : 155 shillings le quintal à Londres, plus que le café du Brésil (129 shillings) mais moins que le Moka (200 shillings)[113].

Le prix d'achat aux planteurs abaissé en 1844[modifier | modifier le code]

Entre 1830 et 1860, les coffres de l'État néerlandais reçurent des colonies environ 800 millions de florins, réinvestis dans les infrastructures en métropole[117]. La culture du café, la seule qui n'est pas libéralisée dans les années 1860, procure 65 % des ventes agricoles coloniales hollandaises mais elle subit une désertion après 1844[113].

Les 60 jours de travail non rémunérés sont souvent prolongés ou consacrés à des projets privés de l'officier colonial régional ou des régents[6]. Le poids des produits achetés est souvent falsifié et les percepteurs intimident les fermiers pour augmenter leur commission, créant une insatisfaction généralisée, la pauvreté et la famine à Java[6], d'autant que le prix d'achat aux planteurs est abusivement abaissé à 8 guilders en 1844, lors de la dépression des cours mondiaux. Cette décision fait baisser les rendements, malgré des surfaces cultivées en forte hausse, via une frénésie de défrichage des grands propriétaires. Les paysans ne protègent pas les plantations contre les déprédations des animaux sauvages et ne tiennent pas compte du vieillissement des caféiers, en négligeant de les renouveler. En 1867, lors de l'ouverture du Canal de Suez, le prix aux planteurs est remonté à 13,5 guilders[113], et les récoltes s'accroissent à nouveau fortement, pour atteindre leur plus haut historique en 1879, à 113 000 tonnes[113]. Ce sera cinq fois moins en 1893, à cause de la rouille du caféier.

Portugais : la bourgeoisie créole en Angola[modifier | modifier le code]

Après le décret d'abolition de l'esclavage par le Portugal en 1836, l'Angola fait figure de terre d'accueil pour de nombreuses populations. Les Brésiliens initient la culture du café dans le Cazengo et les portugais chassés par les émeutes anti-brésiliennes de 1847 au Pernambouc s'y réfugient. Les plantations de cannes à sucre s'étendent dans les zones fertiles du littoral, tandis que le café part à la conquête du Cazengo. La variété Welwitschi est plus fréquente, tandis que la variété Gossweileri est cultivée dans la région d'Amboin, fait l'âge d'or de la bourgeoisie métisse.

Années 1840 à 1860 : les changements structurels de la caféiculture[modifier | modifier le code]

S'adapter à une nouvelle carte mondiale de la consommation[modifier | modifier le code]

En Angleterre et dans une partie nord des États-Unis, l'abolition de l'esclavage devient une grande cause nationale au cours de la première moitié du siècle, qui voit ces deux pays dominer l'espace maritime. L'Angleterre passe ensuite à la consommation du thé et l'énorme croissance démographique des États-Unis les amène à dominer en profondeur le marché mondial du café et de ses approvisionnements.

La course au café sud-américain change la donne : le rapport entre Marseille et Le Havre s'est inversé sur la période 1858-1862 pour les importations de café en France, passant d'une quasi-égalité à un volume deux fois et demie plus important au Havre, qui triple quasiment ses importations grâce à un apport important du café brésilien. De son côté, Hambourg passe de 28 000 tonnes en 1840 à 115 000 tonnes, cinq fois et demie plus, en 1876, puis 200 000 tonnes en 1903, en allant disputer les marchés d'Europe centrale au port italien de Trieste. Lors de la Première Guerre mondiale, les financiers new-yorkais dominent l'ouverture de crédits aux exportateurs brésiliens : les réexpéditions havraises tombent au-dessous de 10 000 tonnes par an, quart du montant de 1913[118].

Le succès du café en Angleterre se heurte au statut de "boisson nationale" du thé[modifier | modifier le code]
Map to illustrate Fortune's visits to the Tea districts of China and India, par August Petermann, publiée dans Two visits to the tea countries of China de Fortune, en 1853.

Dès les années 1700, le "Mouvement de tempérance" anglais idéalisait le thé, l'argument moral servant en faveur de son libre-échange, contre l'opium livré au chinois[119]. En 1711, la Compagnie britannique des Indes orientales créé un comptoir à Canton, pour échanger du thé contre de l'argent, mais l'interdiction du trafic d'opium en Chine est réaffirmé en 1799, obligeant à une contrebande depuis le Bengale, via des négociants comme Jardine Matheson.

Au début du XIXe siècle, la chute de la production caféière à Haïti ouvre un boulevard aux plantations anglaises, en Jamaïque puis à Ceylan, tandis que la consommation de café en Angleterre triple lors des années 1820.

Années 1801 1808 1825 1851
Consommation de café en Angleterre[120] 1 million de livres 8 millions de livres 15 millions de livres 55 millions de livres

Le café y sera supplanté en 1865 par le thé, culture qui progresse à son tour dans l'Empire anglais, mais plus lentement : en 1823, le Major Robert Bruce découvre le théier indigène d'Assam, en Inde, où la Compagnie britannique des Indes orientales installe des fabriques de thé. En 1848 débute le voyage d'exploration et d'espionnage en Chine de Robert Fortune (botaniste), du Jardin botanique royal d'Édimbourg, après le traité de Nankin de 1842. Déguisé en Chinois, il envoie en Inde 20 000 plants de théiers chinois et recrute huit fabricants. Rapidement plantée en Inde et à Ceylan, la variété assamaise se révèle adaptée. Après 1857, le Royaume-Uni administre directement la majeure partie de l'Inde et introduit le thé à Ceylan, équipant l’île d'un réseau ferroviaire. Les districts producteurs de Nuwara Eliya, Uva, Dimbulla, Kandy et Galle, dans les zones montagneuses, sont ainsi très bien reliées aux ports. Ceylan passe ensuite entièrement à la théiculture dans le dernier tiers du siècle, sous le coup de la "rouille du caféier". La Seconde guerre de l'opium, de 1856 à 1860, voit de plus la Chine plier face à la France et au Royaume-Uni, où le thé est promu boisson nationale. Lipton a des chaînes d'approvisionnement "du jardin à la tasse", supervisées par des "Anglais éduqués"[119]. Les buveurs de thé portent un "grand projet noble, au service des causes de la famille, de la nation et de la civilisation"[119]. Résultat, la consommation anglaise de café a décliné dans la seconde moitié du XIXe siècle, passant de 1,25 livres par habitant en 1846-1860 à seulement 0,96 livres en 1880[121], tandis que celle de thé a doublé : de 3,42 livres à 8,51 livres par habitant, entre 1821 et 1886[122].

Le café indien arrive en France par Pondichéry[modifier | modifier le code]

En 1858, le café arrive de Salem, Nilgiris, Malabar, Coimbatore, Mysore, Bellary, Cuddapah mais ne représente encore que 6,5 % des importations à Pondichéry contre 11 % pour le riz et 40 % pour l’indigo originaire de Cuddapah, Salem, et la région de Pondichéry[123].

La consommation américaine de café multipliée par 24 en un siècle[modifier | modifier le code]

L'explosion de la population américaine au XIXe siècle a signifié que les importations de café du pays ont été multipliées par 24 sur le siècle et ont représenté à elles seules la moitié de la croissance de la consommation mondiale de café. Le café devient dès l'indépendance la boisson nationale, par opposition au thé anglais. De plus, les États-Unis sont devenus le seul marché caféier libre de taxes, la fiscalité y passant de 10 cents par livre en 1812 à 5 cents en 1814 et plus rien après 1832[2].

Année 1830 1850 1859 1900
Consommation par jour et par américain[124] 3 livres 5,5 livres 8 livres 13 livres
Population américaine 16 millions 23 millions 32 millions (1861) 76 millions

Du coup, la consommation nord américaine décolle, passant d'un-dix-huitième de livre par personne et par jour en 1783 à 9 livres un siècle plus tard, puis 13 livres par personne à la fin du XIXe siècle, quand les États-Unis consomment 40 % du café du mondial, proportion passée à 60 % après la Seconde Guerre mondiale[2]. L'accélération est particulièrement forte entre 1830 et 1859 : le pays importe 5,7 fois plus de café en seulement trois décennies. Le succès des cafés vendus torréfiés à partir de 1873 y contribue ensuite.

Dans les années 1860, le boom des chemins de fer donne sa chance au port de Baltimore, qui avait développé un service de clipper vers le Brésil[125]. Mieux relié aux trains, Baltimore passe de 13 % à 29 % des importations américaines de café, au détriment de New York, confronté à un oligopole ferroviaire[125] et à des problèmes de corruption dans le service d'admission des navires[125]. Les prix du café ont ensuite doublé entre 1871 et 1874 et cet avantage joue moins: New York regagne le terrain perdu, puis marginalise Baltimore[125]. Le chemin de fer permet à une nouvelle profession, les torréfacteurs new-yorkais, de multiplier stocks et entrepôts, à l'intérieur des terres, le long des voies ferrées.

Grains de café torréfiés.

Parmi eux, John Arbuckle, fils d'un immigré écossais presbytérien, qui a fondé avec son frère et son oncle Duncan une épicerie à Pittsburgh en 1860 puis fait breveter en 1864 une nouvelle version de la machine à torréfier de Jabez Burns, le torréfacteur à cylindre. En 1871, il décide de se concentrer sur ce nouveau marché. Entre-temps, la taxe sur le café et le thé créée en 1861 pour financer la Guerre de Sécession, de respectivement 4 cents et 15 cents, puis portée à 5 et 20 cents[125] revient à 3 cents et 15 cents en [125], avec un système de franchise[125]. Alors que les américains achetaient jusqu'ici leur café vert à l'épicerie, John Arbuckle commercialise à partir de 1873[126] les premiers paquets de café torréfié, sous la marque ARIOSA[126],[127]. Il a bientôt 85 usines réparties entre New York et Pittsburgh. Après l'échec du corner sur le café de 1880, il devient le premier négociant en café de New York, avec 127 000 sacs en 1881. Son avance est bien plus nette en 1894 - 688 726 sacs de café - loin devant le deuxième négociant de New-York, W.H. Crossman (355 864 sacs de café)[128].

Port New York San Francisco Nouvelle-Orléans Philadelphie
Nombre d'importateurs de café en 1900 99 28 12 6

De son côté, San Francisco devient le deuxième port caféier américain lors du peuplement de la Californie et des Montagnes Rocheuses, avec 28 importateurs de café en 1900, menés par les négociants Haas Bros et Otis McAllister, contre 99 à New York, seulement 12 à La Nouvelle-Orléans et 6 à Philadelphie. Les américains découvrent de nouveaux cafés plus savoureux et doux, venus d'Amérique centrale, plus accessibles par la côte pacifique. En , un journaliste du Guatemala s'inquiète, car "l'Allemagne a toujours importé deux tiers de note café", avant de noter que la Californie a pris le relais[129].

Renoncer à la triple course au sucre, au café et aux esclaves : le cas cubain[modifier | modifier le code]

Les planteurs cubains se recyclent vers le sucre dans les années 1840. Les grandes plantations de sucre achètent les esclaves de celles qui travaillaient le café[130]. La production sucrière cubaine atteint 148 000 tonnes par an sur la période 1841 à 1846 puis 266 000 sur la période 1855 à 1860. C'est ensuite 500 000 tonnes entre 1862 et 1864 et plus de 600 000 tonnes vers 1867[131]. Au XXe siècle, Cuba sera le premier exportateur mondial de sucre.

Moyenne annuelle 1790 1841-1846 1855-1860 1862-1864 1867
Tonnes de sucre cubain 14 148 266 500 600

Le résultat de cette énorme expansion, couplée à la répression de plus en plus ferme des Traites négrières par les Britanniques, est que le prix des esclaves a augmenté de 150 % à Cuba entre 1836-1845 et 1856-1865, en dollars constants. Il devient près de quatre fois supérieur à ce qu'il était au Brésil quinze ans plus tôt.

Sur l'ensemble de la période 1831-1850, ces interventions britanniques contre les Traites négrières ont fait flamber le prix des esclaves à Cuba, à 300 dollars en moyenne, contre 193 dollars au Brésil (1826-1845), très au-dessus 230 dollars payés en moyenne en Jamaïque en 1790[132]. Les planteurs de sucre doivent alors faire venir une autre main d'œuvre, des Indiens mayas du Yucatan que l’armée mexicaine avait fait prisonniers, des « Turcs » — en fait Égyptiens et Syriens — vers 1860 ; puis, en masse, des chinois, 150 000 entre 1847 et 1874, venus de Macao et de Canton

Le développement du réseau ferré reliant les régions sucrières aux côtés de l'île facilite cette évolution, de même que le prix plus élevé des esclaves, qui incite les planteurs de café à prendre acte de la baisse des cours mondiaux et à réaliser leur patrimoine[133], d'autant que les régions caféières de la moitié orientale de l'île, à l'est de Santa Clara et Caibarién, ne bénéficiera du développement du chemin de fer que beaucoup plus tard, vers 1898, contrairement à l'ouest et au centre, favorisés dès les années 1840, l'ouest captant même 80 % du réseau ferré. La production caféière décline alors rapidement :

Quinquennats 1831-1835 1836-1840 1841-1845 1846-1850 1851-1855 1856-1859
Production cubaine de café (millions de livres) 50,1 47 42,2 19,2 13,7 5,1

Recycler la main d'œuvre et investir dans le rail : le cas brésilien[modifier | modifier le code]

Esclaves dans une plantation de café au Brésil, vers 1882, quelques années avant son abolition en 1888.

Les historiens ont constaté une chute des prix des esclaves à partir 1823 lorsque les campagnes contre la traite négrière internationale montent en Angleterre, puis une forte hausse à la fin des années 1840, en anticipation de son abolition au Brésil, décidée en 1850, même si l'esclavage y perdure jusqu'en 1888[134].

L'Angleterre exerce une chasse aux trafiquants dès le milieu des années 1840[135] et fixe un dernier délai, , pour leur disparition. En août, Lord Aberdeen fait voter le Bill Aberdeen, donnant à l’Amirauté britannique le droit d’arraisonner les navires négriers, même dans les eaux territoriales brésiliennes. Les riches planteurs ont anticipé cette abolition par une hausse d'un tiers du prix des esclaves lors de la décennie précédente. Le blocus naval des Britanniques en 1851 et 1852 pour stopper le commerce d'esclaves vers les plantations de palme du Dahomey élimine aussi le trafic d'escales[134].

Par conséquent, entre 1846 et 1864, la récolte brésilienne stagne, malgré la forte croissance économique mondiale des années 1850[132] qui fait monter les cours du café de 50 % :

Années 1846 1854 1864 1867
1,5 million de sacs 2,5 million de sacs 1,4 million de sacs 2,7 million de sacs -

Le Brésil tente de rendre son café moins cher par des projets ferroviaires. Voulue en 1852 par le banquier Irineu Evangelista de Sousa, la Ligne ferroviaire de Mauá est inaugurée en 1854, dans l'État de Rio de Janeiro, pour relier le port de Mauá. En 1859[136], il convainc le gouvernement de débuter une ligne ferroviaire de 79 kilomètres reliant la plaine caféière de São Paulo au port de Santos, via la « cordilière de la mer », avec des passages à plus de 800 mètres d’altitude et des pentes de près de 10 %. Pendant sa construction, le port de Santos est agrandi. Le négociant brésilien Lacerda, fondé dans les années 1860, y devient rapidement le plus gros exportateur[137], avec 0,48 million de sacs par an, devant deux maisons allemandes, Zerrener Bülow (0,45 million de sacs) et Berla Cotrim (0,24 million de sacs)[137]. Au Brésil, le réseau ferroviaire se concentre très tôt sur les besoins des régions caféières du sud-ouest, quitte à emprunter des parcours difficiles[138] Mais les planteurs les plus riches ont aussi investi dans des actions des compagnies chemin de fer, comme celles du São Paulo Railway, et se sont opposés à des remises sur les tarifs aux autres planteurs. Même au tournant du XXe siècle, le transport ferroviaire représentait encore en moyenne 15 à 22 % de coûts du café[2].

Le São Paulo Railway est liée à la politique de dons de terre initiée 1850[139] et son ouverture en 1967 entraîne un bond de la récolte brésilienne.

La délocalisation du pouvoir politique et financier vers le sud facilite celle de la production de café[135], vers les régions d'Itu et Campinas, près de Jundiaí, jusque-là consacrées à la canne à sucre[140]. Voies ferrées, ports, routes et villes poussent comme des champignons. Villas somptueuses, théâtres, squares et commerces, suivent, sur le modèle de l'Europe d'où viennent des milliers d'immigrants[135]. La hausse du prix des esclaves alimente aussi un marché interne, pour la main d'œuvre déplacée du Nordeste[135]. Les études sur les mouvements d'esclaves brésiliens internes pendant les années 1850 ont monté un mouvement du nord vers la zone frontière du café Paulista[39], même si le premier recensement officiel n'a lieu qu'en 1872[39].

Fédérer les caféiculteurs après la crise financière : le cas du Venezuela[modifier | modifier le code]

Les planteurs de café vénézuéliens, concentrés sur la cordillère centrale et la frontière colombienne, sont victimes de la crise économique de 1840 causée par la surproduction mondiale. en 17 ans, les cours du café chutent de 9 pesos à 6 pesos sur la saison 1848-49[78], Sur la même période, ceux du cacao montent de 13 pesos à 16 pesos la livre[78],[77] :

Années 1831-32 1833-34 1837-38 1840-41 1842-43 1844-45 1848-49
Café exporté (millier de livres) 11,5 11,6 17,5 25,6 29,6 39 39,3
Livre de café 9 cents 11 cents 9 cents 9 cents 8 cents 8 cents 6 cents
Cacao exporté (millier de livres) 7,2 5,3 5,8 7,6 8,9 9,2 7,5
Livre de cacao 13 cents 13 cents 12 cents 17 cents 15 cents 15 cents 16 cents

Le café passe de 37 % des exportations vénézuéliennes en 1831-32 à 22 % en 1848-49. Surendettés, les planteurs de café se regroupent sur le plan politique. Le , le leader libéral Antonio Leocadio Guzmán fonde le journal “El Venezolano”, puis le "Gran Partido Liberal de Venezuela (GPLV)". Le pays renforce ses liens avec l'étranger et dispose d'un consulat actif à Bordeaux, premier port français pour l'importation du café, où le quotidien La Gironde, transmet fréquemment des nouvelles du Venezuela[141]. Ce consulat est assuré par des vénézuéliens (José Antonio Carrillo y Navas, Manuel Vicente Montenegro, Pío Morales Marcano), ou des français liés au négoce. Le Parti libéral du Venezuela arrive au pouvoir huit ans avant la Guerre fédérale des années 1859-1863[95], également appelée "Grande guerre", qui dure quatre ans (1859-1863). Les libéraux représentent les régions caféières de l'est du Venezuela, plus modernistes et connectées au commerce international. Ils sont aussi appelés aussi "fédéralistes" car ils veulent plus d'autonomie pour les provinces, s'opposent au parti conservateur, accusé de monopoliser les postes de gouvernement et la propriété foncière, et intransigeant à l'octroi de toute réforme. Les deux fils de l'ancien président José Tadeo Monagas le devinrent à leur tour, tous deux pour le parti libéral. Cinq ans avant le début de la Guerre fédéraleJosé Ruperto Monagas, président du au , fait voter la loi du qui abolit l'esclavage. Son frère José Tadeo Monagas, président de 1869 à 1870, abolit la peine de mort, six ans après la fin de la Guerre fédérale, la plus sanglante des guerres civiles au Venezuela depuis l'indépendance, causant des centaines de milliers sont morts, souvent par la faim ou la maladie, dans un pays d'un million d'habitants. Le Venezuela ressemble alors à une addition de ports internationaux. Caracas détient celui de La Guaira, desservi par le chemin de fer, Valencia celui de Puerto Cabello, Maracaibo constitue elle-même une enclave, reliée par le réseau fluvial et le Lac Maracaibo aux régions caféières des Andes, comme Táchira, proche de la Colombie caféière.

En 1868, la production caféière vénézuélienne a stagné depuis une quinzaine d'années, à environ 7 000 tonnes par an[142]. Elle retrouve l'expansion entre 1872 et 1893 faisant brièvement du Venezuela le 2e producteur mondial en 1900[40], les trois états andins, Tachira, Trujillo et Merida, qui représenteront à eux trois 45 % de la production du pays dans les années 1920.

Réformer le colonialisme hollandais, le cas "Max Havelaar" à Java[modifier | modifier le code]

Eduard Douwes Dekker, alias Multatuli.

Eduard Douwes Dekker, fonctionnaire colonial depuis 1834[6] 8, fut nommé en 1857 assistant-résident à Lebak, à l'ouest de Java, où il commença à protester ouvertement contre l'exploitation et les mauvais traitements infligés par les régents, et contre l'inconduite des autorités coloniales[6]. Renvoyé aux Pays-Bas, il a continué ses protestations dans des articles de journaux, des brochures[6] et, en 1860, a publié son livre Max Havelaar[6], sous le nom de Multatuli[6]. Décrié par ses supérieurs de l'administration coloniale, il est maintenant inscrit comme un héros dans les annales indonésiennes[6], mais a aussi une statue sur les canaux d'Amsterdam.

En 1867, le prix d'achat du café aux javanais est fortement relevé, anticipant la hausse des cours mondiaux, et pour relancer des plantations en déhérence. Le désir de permettre aux intérêts commerciaux privés d'être impliqués dans la production des cultures d'exportation a conduit, en 1870, à l'abolition du Cultuurstelsel. Mais en raison de sa rentabilité, la culture du café est restée appliquée jusqu'au début des années 1900[6].

Combiner rail, ferry et immigration européenne, les cas brésilien et centro-américains[modifier | modifier le code]

Entre 1850 et 1870, le tonnage mondial de la navigation à vapeur est multiplié par onze. Une foule de compagnies de bateaux à vapeur européennes a commencé un service régulier vers le Brésil où les installations portuaires ont été lentement améliorées[2]. Les navires importaient le café à Brême, Hambourg et Lübeck, et profitaient au retour de l'importance de l'immigration allemande au Brésil. Dans les cinquante premières années, 20 000 à 28 000 Allemands arrivent au Rio Grande do Sul, presque tous devenus agriculteurs. La compagnie de navigation Hamburg America Line (Hapag), fondée en 1847 par Adolf Godefroy, lance un service du port de Colon (Panama)[95], permettant au café arrivé par le chemin de fer du Panama, achevé en 1855, de gagner l'Europe sans contourner le cap Horn. Le négociant allemand Hockmeyer & Rittscher organise l'exportation caféière du Guatemala vers Hambourg dans les années 1850[95]. Dès 1858, il représente la "Panama Railroad Company". Des compagnies maritimes anglaises se lancent aussi[95]. "Rieper Augener", maison de négoce de Brème, est agent du North German Lloyd[96], fondée en 1857, à Brême, par le négociant Eduard Crüsemann, aidée par le financier Hermann Henrich Meier, fondateur de la nouvelle Bourse de Brême en 1861. Ils transportent des milliers d'émigrants de Bremerhaven vers les États-Unis puis au retour du tabac et du coton américain. La NDL utilise un réseau d'agents avec d'autres compagnies maritimes de Brême. Parmi elles, C. Melchers& Co., ouvre un bureau à Hong Kong en 1866 pour devenir son agent en Asie.

Obligation de la Norddeutscher Lloyd en date du 1er mars 1908.

En 1871, onze maisons de négoce de Hambourg fondent la compagnie de navigation Hamburg Süd (HSDG), dirigée par Heinrich Amsinck. Trois vapeurs de 4 000 tonneaux de jauge brute desservent mensuellement le Brésil, l'Uruguay et l'Argentine. La baisse des coûts de navigation[2] a aussi augmenté la profitabilité des cultivateurs du Costa Rica.

La colonisation allemande du Guatemala est facilitée par les lettres de Rodolfo Dieseldorff, installé en 1862 dans l'Alta Verapaz et le Quetzaltenango. En 1876, la construction du premier chemin de fer du Guatemala a commencé[143]. La première section connecte en 1880 San José (Guatemala), sur la côte pacifique, et Escuintla, où le Français Oscar du Teil avait planté 110 000 caféiers de 1856 à 1859[95],[144]. Dans l'Alta Verapaz, dès 1890, deux tiers de la production de café seront entre les mains des Allemands[145]. Au Nicaragua, les Allemands s'établissent à Matagalpa, Estelí et Jinotega où vivent leurs descendants.

Années 1870 à 1890 : nouvelle carte mondiale de la caféiculture[modifier | modifier le code]

Les Allemands au Guatemala, Mexique, en Afrique orientale et de l'ouest[modifier | modifier le code]

En bleu foncé, le Soconusco, au sud-ouest du Chiapas mexicain, à la frontière du Guatemala, sur la côte Pacifique.

Bismarck s'allie avec les gouvernements du Guatemala et du Mexique pour financer le chemin de fer puis à créer de grands domaines caféicoles privés sur la côte Pacifique. Dans les années 1880, l'Allemagne fonde ses propres colonies caféières en Afrique.

En 1866, Edward Delius, négociant de Brème propose que les Allemands financent le Chemin de fer du Costa Rica, avec des ingénieurs allemands comme Franz Kurtze, en échange d'une présence navale. La Prusse, en conflit avec l'Autriche, le soutient pour rallier les villes commerçantes allemandes du Nord. Ce projet ayant été coulé une décennie plus tôt par la guérilla du flibustier américain William Walker, le Costa Rica préfère faire appel à John Charles Frémont, ex-général de la Guerre de Sécession, qui lui donne une dimension spéculative. Il est repris par le général Tomás Guardia Gutiérrez, auteur du coup d'État d' au Costa-Rica. Mais il s'enlise à travers la jungle, les maladies et la topographie accidentée.

Au même moment, le général Justo Rufino Barrios participe en 1871 à un coup d'État au Guatemala. Élu président en 1873, il lance en 1876 la construction du premier Chemin de fer du Guatemala, reliant en 1880 le port pacifique de San José, à Escuintla (Guatemala), où le Français Oscar du Teil a planté 110 000 caféiers de 1856 à 1859. Le capital national s'étant asséché, Rufino Barrios a préféré que les capitaux allemands complètent, selon le diplomate allemand Von Erckert. Les négociants allemands sont les grands gagnants des privatisations lancées dans les années 1870 : ils acquièrent de grands domaines agricoles et consolident leur suprématie politique[146]. En 1885, ils contrôlent 83,5 % du commerce d'importation[146]. Dans l'Alta Verapaz, dès 1890, deux tiers de la production de café seront entre des mains allemandes.

Le Gabon intéresse aussi les Allemands, le professeur Oskar Lenz parcourant les bassins de l’Ogooué, tandis que l'explorateur et botaniste Hermann Soyaux (1852-1928), qui avait publié The Lost World et De l'Afrique de l'Ouest au retour de l'expédition de Paul Güßfeldt au royaume de Loango en 1873, y dirige une plantation de café de la maison de négoce Woermann[147]. Le négociant Gustav Nachtigal signe des traités avec le chef du lac Togo et au Cameroun.

Bismarck vise ensuite une colonisation intégrale au Togo et au Cameroun, et vers les grand lacs et hauts volcans d'Afrique orientale, où des botanistes allemands qui ont étudié la « rouille du caféier » dans l'archipel indonésien rêvent d'une caféiculture à grand potentiel. Le comité économique colonial allemand est créé en 1896, qui fédère 1 120 firmes ou corps constitués en 1913, dont 144 abonnés au journal agricole Der Tropenpflanzer, et encaisse un demi-million de marks de cotisations.

Chronologie des implantations allemandes[modifier | modifier le code]
Des colons européens et des locaux sur le Moungo, 1901.
L'expropriation des communautés indiennes du Guatemala[modifier | modifier le code]

Après avoir participé à un coup d'État en 1871, le général Rufino Barrios est élu président du Guatemala en 1873: lance des privatisations de terres à une échelle de plus en plus grande. Les immigrants allemands seront les grands gagnants. Il confisque en 1873 les biens ecclésiastiques puis supprime les baux de longue durée, concédés auparavant par les autorités indiennes et créé des terres "municipales" et "communales" par l’émission de titres de propriété, ensuite revendues aux planteurs de café, 370,000 hectares entre 1871 et 1883, dans les zones les plus fertiles: la Costa Cuca, qui servait aux mayas à une agriculture de subsistance[148]. La production de café guatémaltèque atteint 24 000 tonnes en 1891. « L’insertion définitive de l’Amérique centrale dans l’économie de marché mondiale » repose alors sur l’exportation du café à grande échelle[149], selon le sociologue guatémaltèque, Edelberto Torres Rivas.

Au Salvador, les lois de 1881 et 1882 abolissent le régime des terres communautaires indiennes, accusé d'"empêcher le développement agricole" et "d'affaiblir les liens familiaux et l'autonomie des individus". Au Nicaragua, le gouvernement Zelaya (1893-1909) privatise également une partie des terres indigènes. Les forces militaires et policières sont placées au service des propriétaires terriens et des gouvernements locaux. Le processus est plus centralisé qu'au Salvador et au Nicaragua, où les exploitations privées, petites et moyennes, antérieures au boom du café, ont subsisté partiellement[148]. Le développement du café a été plus limité au Nicaragua.

Les privatisations s'accélèrent entre 1896 et 1918 au Guatemala. Dans les sept départements à plus forte population indienne, 45 % des concessionnaires de lots de terres étaient de souche espagnole ou européenne et tiraient déjà profit du « boom du café » comme commerçants, vendeurs de liqueur et pourvoyeurs de main d’œuvre. La réforme de 1873 a fait du café le produit principal[150], démarche relayée par la création du "Banco de Occidente" en 1881[150]. Les propriétés communales et municipales sont détruites[150].

La "Ley de Jornaleros", promulguée en 1877[150] créé le travail gratuit et obligatoire.

Elle oblige les travailleurs ruraux à porter et un document sur lequel figurent les obligations de leur contrat de travail, qui distingue trois catégories :

  • les travailleurs résidents ;
  • les travailleurs saisonniers ;
  • les ouvriers agricoles libres, catégorie restant assez théorique.

Un décret prévoit la transmission héréditaire des dettes, soigneusement entretenues et gonflées par diverses pratiques comme l'avance sur salaire, l'achat de denrées à la boutique de la plantation, la manipulation des comptes. Dans la pratique, ce système permet d'embarquer de force les Indiens, selon l’institution coloniale du mandamiento qui conférait le pouvoir de recruter par la force au sein de chaque communauté indienne, des escouades de trente ou soixante ouvriers. La force militaire est utilisée dans les communautés de l'Altiplano, via une armée puissante et les milices « ladinas » des planteurs. Cette violence « saisonnière » sur des dizaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, entraine des migrations définitives des villages indiens vers les plantations de café du versant pacifique.

Au Salvador, plus densément peuplé, une « république caféière » s'installe, favorisant les intérêts de l'oligarchie des « 14 familles ». Le café remplace en quelques années l'indigo, balayé vers 1870-1880 par les teintures de synthèse, et des cultures vivrières plus importantes et diverses qu'ailleurs. La privatisation complète des terres a transformé de nombreux paysans salvadoriens en journaliers potentiels, fonctionnaires doivent établir par village, la police rurale et l'armée s'assurant de leur présence réelle sur les plantations, au prétexte d'empêcher les invasions de terres, et d interdire le vagabondage. Aucune frontière agricole ne leur permet d'échapper aux plantations.

Au milieu des années 1880, le café pèse 73 % de la valeur des exportations au Costa Rica, 85 % au Guatemala et 53 % au Salvador[149], avec de différences importantes sur les structures sociales. Deux types de sociétés s'opposent alors, fondées sur l'usage de la force au Guatemala (67 % d'indiens), au Salvador et au Nicaragua, sur l'autorité légitime, au Costa Rica[148] petites exploitations et salariat non indien.

Dans son souci de modernisation, la seconde génération de libéraux guatemaltèque a promu des projets d’immigration, en 1868 et 1877. Dans l'Alta Verapaz guatemaltèque, dès 1890, les Allemands ont deux tiers de la production de café. De nombreux Nicaraguayens descendent des Allemands installés à Matagalpa, Estelí et Jinotega

L'agronome, économiste et historien guatemaltèque Julio Castellanos Cambranes a défini la notion d’« État oligarchique caféier » au Guatemala : alliés aux négociants et caféiculteurs allemands, les propriétaires terriens, commerçants et officiers ont réorganisé le pays par la promotion expéditive d'une modernité pliée à leurs intérêts. Dans un premier temps, ils sont freinés par des rivalités et tensions entre l’ancienne oligarchie créole de la capitale et "l'élite" provinciale de Los Altos (Quézaltèques et Marquisiens). La population indigène réussit alors à défendre la propriété commune des terres et à conserver des espaces de mémoire ou de culture populaire. Ensuite, dans les années 1870, la nouvelle "élite" provinciale s’impose au gouvernement central, s'alliant avec ses anciens rivaux pour développer une série de projets « civilisateurs » visant à "discipliner" les indigènes[151].

Ceux possédant les terres de la Bocacosta et de la Verapaz, très convoitées ont multiplié les protestations, actions en justice et rébellions. Les inégalités raciales héritées de l’époque coloniale se sont renforcées, en raison de discours pseudo-scientifiques sur la supériorité et la dégénérescence des races, partagés par une partie des immigrés européens. Les écrits, lettres, récits, rapports d’étude et mémoires des voyageurs, explorateurs, immigrants et investisseurs européens (surtout allemands) arrivés au Guatemala entre 1860 et 1920, expriment "un mépris intense envers la population indigène, considérée comme indolente et incapable d’exploiter ses richesses naturelles"[151].

Être militaire dans les zones caféières donnait accès aux plus hauts postes du gouvernement régional et national ainsi qu’à la terre pour établir des exploitations caféières. Les garnisons et les milices locales surveillaient les travaux d’arpentage et les attributions des terres, freinant et réprimant les soulèvements indigènes. Les hauts gradés et leurs familles sont devenus propriétaires de grands domaines dans la Haute Verapaz et sur la Bocacosta, à Suchitepéquez, Quetzaltenango, aujourd'hui seconde ville du Guatemala, dont l'économie s'est développée par une ligne de train, et San Marcos (Guatemala). Les cadres moyens ont reçu, eux, des lots de terre dans le Piemont ou dans des villages indigènes qui résistaient. Pendant l’essor caféier, les élites métisses résidant dans les régions forestières de Los Altos ont occupé des postes dans l’armée ou les bureaux du gouvernement[151].

Les implantations allemandes au Soconusco, au sud-ouest du Chiapas[modifier | modifier le code]

Sous l'impulsion de grands planteurs allemands, la culture du café s'étend dans les années 1880 depuis la côte nord-ouest du Guatemala vers le Soconusco, au sud-ouest du Mexique. Le Soconusco est mexicain depuis 1825, mais une élite dirigeante reste liée au Guatemala et la population exprime son souhait d'intégration au Guatemala[152] lors des conflits qui entrainent les négociations de 1877 et en 1879, pour formaliser par un traité de 1882 une frontière, qui alloue au Mexique la plus grande part du Soconusco.

En 1847, le vénitien Don Gerónimo Manchinelli[153] avait introduit la culture du café dans la partie mexicaine du Soconusco, dans la municipalité de Tuxtla Chico, à une échelle modeste, suivi par le diplomate et ministre mexicain Matías Romero Avendaño, retiré au Chiapas en pour se consacrer aux plantations de café sur lesquelles il a écrit une monographie[153], élu sénateur suppléant de cet État en 1875, avant de promouvoir une compagnie ferroviaire dans l'isthme de Tehuantepec. Les Allemands arrivent au Soconusco dans les années 1870 et 1880[146], directement d'Allemagne ou en provenance du Guatemala, où ils possèdent déjà des « fincas ». Ils investissent capitaux et technologie et contrôlent l'exportation. Les maisons de commerce de Hambourg, Brême ou Lübeck cherchent un plus grand contrôle de leur approvisionnement en monopolisant l'exportation du café[146]. Parmi elles[146] :

Le Canyon du Sumidero, dans le Chiapas.

Puis ce sont les planteurs allemands qui achètent des grands domaines. L'autocrate mexicain Porfirio Díaz a pris le pouvoir en 1876 et instaure immédiatement le « Porfiriat » pour faire du Mexique un pays « développé », aligné sur le modèle capitaliste occidental[154],[155], via l’écrasement de rébellions paysannes et indigènes[154]. Les flancs du volcan Tacaná, le deuxième plus haut d'Amérique centrale, à 4 061 mètres, à la frontière avec le Guatemala[155], outre leur extrême fertilité[154], sont considérés comme inexploités. Les Allemands y défrichent la forêt et plantent du café, grâce à une main d’œuvre majoritairement indigène, mais aussi constituée de Kanaks importés par les colons[154],[155].

En 1890, Porfirio Díaz et Bismarck ont collaboré pour envoyer 450 familles allemandes au Soconusco, près de Tapachula. Les fermes ont été érigées dans la jungle de Chiapaneco et ont donné des noms allemands tels que Hamburgo, Brême, Lübeck, Agrovia, Bismarck, Prusse et Hanovre. Des planteurs mexicains, anglais et japonais constituèrent aussi de grandes plantations, sur les parties les plus élevées, jusqu'à 1 800 mètres d'altitude, alors que le cacao est récolté entre 200 et 500 mètres. Entre 1895 et 1900, 11 500 tonnes de café ont été récoltés dans le Soconusco. En moins de 20 ans, entre 1890 et 1910, la région est devenue le principal producteur de café du Mexique[156]. La production caféière va ensuite se développer dans les montagnes du Veracruz et dans la jungle lacandone. L'une des deux voies ferrées du Chiapas suit la côte Pacifique au début du siècle, mais son tonnage est limité du fait de la vétusté des ponts porfiristes qui enjambent les cours d’eau.

Au Togo et au Cameroun, lent démarrage de la caféiculture[modifier | modifier le code]

Ce sont les négociants comme Gustav Nachtigal qui poussent à la présence allemande sur le littoral à partir de 1868. Le il signe un «traité de protectorat» sur la plage de Baguida, avec le chef du lac Togo, Mlapa III de Togoville. Une semaine après, il négocie aussi la première colonie allemande : et le , le « Kamerun ». L'Allemagne fonde le port de Lomé et annexa en quelques années 85 000 km au Togo, où le café connut une croissance rapide, « de 130 kilos exportés en 1894 à 3 010 en 1897 », précédant le cacao sur vdes plantations dans la région de Kpalimé. Elle offrit des concessions à prix cassés et construisit un chemin de fer par les travaux forcés, la future « ligne du café et du cacao», de 1907, sur 119 km entre Lomé et Kpalimé[157]. Face à la résistance des Africains de l'intérieur, des accords sont signés avec certains royaumes et les révoltes des Kabyé (1890) et des Konkomba (1897-1898) furent réprimées violemment. La langue allemande ne fut pas imposée aux populations locales, mais vers 1910, le Togo comptait 163 écoles scolaires évangéliques et 196 catholiques, gérées par des missions. Au Cameroun, la caféiculture démarre lentement au début du XXe siècle[158], à Douala puis à Buéa, au climat plus doux, quitté après une éruption du Mont Cameroun pour revenir à Douala, où la population s'est opposée, sans succès, à l’expropriation des terres[159], puis au sein d'un ensemble diversifié (cacao, banane, caoutchouc, huile de palme) sur les flancs du Mont Cameroun. Le protectorat allemand, du Lac Tchad, aux rives de la Sangha au sud-est, recourt aux travaux forcés et à la déportation vers les centres agricoles. Dès 1894, le major Hans Dominique établit un poste militaire à Yaoundé. Le syndicat des chemins de fer du Cameroun, fondé en 1902, créé la ligne de Douala à Nkongsamba et commence celle de Douala à Yaoundé, ébauche du futur Transcamerounais (de Douala à Éséka). La culture du café s'étend dans les zones de Victoria, Ebolowa, Nkongsamba et Dschang et plus tard à Yokadouma, Abong-Mbang, Doumé, Lomié et Akonolinga.

L'Afrique orientale allemande, paradis perdu des botanistes[modifier | modifier le code]

Dans la région de Grands Lacs (Afrique), les dix missionnaires Pères blancs arrivés en Ouganda et au Lac Tanganyka en furent les premiers visiteurs blancs. Le , Carl Peters fonde à Berlin la Société pour la colonisation allemande, avec Friedrich Lange, éditeur du journal Tägliche Rundschau, puis le , avec l'appui de Bismarck, la "Compagnie de l'Afrique orientale allemande". Le journal agronomique Der Tropenpflanzer est fondé à Hambourg par Otto Warburg (botaniste), qui a ramené de ses voyages en Malaisie, entre 1885 et 1889, de nombreux spécimens offerts au Jardin botanique et musée botanique de Berlin-Dahlem fondé en 1887 par Adolf Engler, professeur à l'Université Humboldt de Berlin[160].

Bambou géant (Dendrocalamus giganteus) dans la serre du jardin botanique de Berlin.

Plusieurs autres chercheurs allemands en botanique contribuent à Der Tropenpflanzer. Parmi eux Albrecht Zimmerman et Franz Stuhlmann, liés à la maison de commerce hambourgeoise Hansing & Co, présente sur la côte d'Afrique orientale. Avec le soutien financier de l'Académie royale des sciences de Prusse, il visite en l'Afrique orientale. Ces scientifiques ont étudié le café à Java[160] et veulent implanter une grande station de recherche, le futur Institut de recherche botanique Amani, qui ne verra le jour qu'en 1901. Leur chef de file, Adolf Engler, est convaincu du grand potentiel agronomique des Monts Usambara[160].

À partir de 1890, des Allemands réclament un lien ferroviaire entre l'Océan Indien et les trois grands lacs africains (Victoria, Tanganika et Nyassa)[158]. La loi du a placé les colonies sous l'autorité directe de l'empereur et celle du exige l'accord du Reichstag pour toute mesure coloniale qui aurait une incidence budgétaire. Ce dernier refuse accorder la garantie d'intérêts. Le chemin de fer de l'Usambara[160], est commencée en 1892 par une compagnie privée qui mettra dix ans à ouvrir la ligne, sans la rentabiliser[158]. Des défrichages massifs sont pourtant opérés par des planteurs allemands dès 1892 dans les Monts Usambara. Très vite, des conflits émergent entre les différents acteurs: les investisseurs veulent une rentabilité caféière rapide[160], mais les scientifiques rêvent de tracer une carte très complète des espèces végétales sur tout le territoire, dans la plus grande biodiversité possible, en étudiant leurs potentiels et leurs maladies, au carrefour de l'économie, de la géographie et de l'agronomie[160], à une époque où l'influence des travaux d'Alexander von Humboldt et Charles Darwin se fait sentir[160].

En 1899, les Monts Usambara comptent déjà 6,5 millions de pieds de café. Des plantations de parfois plusieurs milliers d'hectares[160]. Mais des centaines de milliers de caféiers y sont malades en 1902[160]. Le nouvel Institut de recherche botanique Amani, finalement installé dans le milieu chaud, humide, marécageux, exposé aux parasites de l'arabica, du Lac Tanganyika ne parvient pas à trouver la solution au problème : une trop grande acidité des sols[161]. De plus, le prix du café chute, de 175 marks pour 200 kilos en 1990 à 54 marks en 1903, l'année où Adolf Engler fait le lien entre la rentabilité insuffisante et l'acidité des sols, puis demande l'arrêt des défrichages[160].

Le projet de budget du chemin de fer de l'Usambara pour 1903 évalue les recettes à seulement la moitié des frais d'exploitation. Le prolongement de la ligne sur 132 km, jusqu'à Tanga est cependant décidé, le Reichstag accordant en une première annuité d'un million de marks, car les milieux coloniaux allemands rêvent d'atteindre, par Tabora, le Lac Tanganyka, avec un embranchement vers le Lac Victoria. Un autre projet de voie ferrée est alors en suspens depuis deux ans, pour relier sur 230 km Dar es Salam à Morogoro au pied des monts Uluguru[158]. Plus tard, la ligne de chemin de fer Usumbura-Kigoma-Dar-es-Salaam sera le lien principal, du Ruanda-Urundi à l'Océan indien[161].

La forêt étant très épaisse, seulement 2 000 hectares des Monts Usambara sont encore défrichés en 1906[160]. Les planteurs ont fait venir de la main d'œuvre immigrée, sur des parcelles de 100 hectares en versant ouest, où le café se révèle fragile et succombe aux parasites et maladies, amenant Adolf Engler à demander l'arrêt de toute culture[160]. Les sols volcaniques du Kilimandjaro et du Meru se révèleront plus propices au café que les sols acides des Monts Usambara[161].

La « rouille du café » redessine la géographie caféière et les modes de culture[modifier | modifier le code]

Les cours du café ont doublé entre 1870 et 1876, passant de 12 à 23 cents la livre, puis ils chutent à partir de 1879, lorsque la récolte de Java atteint un historique pic à 120 000 tonnes[162]. Dès 1868, la production diminue temporairement en Amérique centrale et au Brésil, mais la consommation continue à progresser fortement[47] aux États-Unis. La spéculation vient ensuite s'emparer de la vague de gels qui déciment les plantations de la région de São Paulo en 1870, puis surtout de la rouille du caféier, maladie apparue en 1869, qui éteint peu à peu complètement la récolte de Ceylan[163] puis les quatre-cinquièmes du verger indonésien (entre 1880 et 1893), même si la résistance des planteurs dure plus lentement que prévu.

Ce contexte de cours mondiaux d'abord très rémunérateurs permet à la production caféière de se reprendre et de progresser plus qu'attendu en Amérique centrale, en Colombie et surtout au Brésil, qui commence à bénéficier pleinement du chemin de fer. Même les exportations haïtiennes ont rebondi, à 30 000 tonnes entre 1824 et 1880, dont les deux-tiers vendus en France[47].

La spéculation à la hausse des cours s'effondre en 1880, causant des faillites en cascade chez les négociants, ce qui oblige le café à entrer dans l'ère moderne : des marchés à terme éclosent, la qualité des origines caféières de plus en plus codifiée, la monoculture totale évitée, et de nouvelles espèces résistantes aux champignons recherchées.

Le canal de Suez ouvre en 1867[modifier | modifier le code]
L'état des travaux du canal de Suez en mai 1862, cinq ans avant son ouverture.

L'ouverture de la São Paulo Railway se fait en 1867, la même année que celle du chemin de fer de Colombo à Kandy, poussé jusqu'à Nuwera-Elliya d'un côté, et à Matalé de l'autre, mais surtout celle du canal de Suez[113], un événement pour toute la caféiculture des pourtours de l'océan indien, qui va être soutenue par la forte baisse des coûts de transport pendant des années, sans prendre conscience tout de suite du drame agronomique qui se met en place à partir de 1869, seulement deux ans après l'entrée en fonction du canal de Suez.

Les Mascareignes enraient leur long déclin caféier[modifier | modifier le code]

Le percement réussi du canal de Suez facilite une reprise de la surface cultivée dans les Mascareignes, en deux phases, de 1865 à 1871 où elle passe de 2 000 hectares à plus de 4000, puis de 1878 à 1881 où elle atteindra 6 000 hectares

Jusque-là, la production des Mascareignes n'avait cessé de décliner, d'environ 7 000 hectares de plantations dans les années 1817-1819 à 4000 en 1829-1830, et moins de 3 000 dans les années 1850, les contemporains ont tendance à mettre en cause la concurrence de pays où l'esclavage ne sera interdit que plus tard et des facteurs botaniques: épuisement des sols, abâtardissement des espèces, maladies agricoles[113].

L'Inde parvient à la moitié de la récolte de Ceylan[modifier | modifier le code]
Les principales régions caféières de l'Inde.

L'Inde, longtemps restée un marché de redistribution des cafés de Ceylan ou de Batavia pour Calcutta et du Moka pour Bombay, décolle timidement, avec 62 tonnes en 1857 et 355 tonnes en 1866, mais bénéficie ensuite de gros investissements, largement européens, dans les grandes propriétés constituées dans les années 1850 en Inde du Sud, dans les collines de Hassan et Kuder de l'État de Mysore, aux rendements presque aussi élevés qu'à Ceylan[113], qui recrutant sur la période 1870-1875 environ 150 000 travailleurs des régions voisines[113]; Dans les années 1870, les ventes de café se hissent au dixième rang des exportations de l'Inde[113]. La récolte culminera à 25 000 tonnes, soit la moitié de celle de Ceylan la même année. La caféiculture indienne est ensuite emportée, comme à Ceylan, par les coûts de la lutte contre la rouille du caféier, à l'origine de la création dans les années 1920, de la variété d'arabica "Kent", adaptée au climat indien très humide, ce qui permet de rebondir la décennie suivante avec 13 000 à 18 000 tonnes[164], répartie en trois zones (Mysore 52 %, Madras : 24 % et Coorg 22 %)[164].

Les petites régions caféières traditionnelles, Kerala et Tamil Nadu, sont rejointes par celles d'Andhra Pradesh et Odisha, sur la côte orientale, et des États d'Assam, Manipur, Meghalaya, Mizoram, Tripura, Nagaland et Arunachal Pradesh, au Nord-Est de l'Inde, connues populairement comme les « Seven Sister States of India » (littéralement depuis l'anglais les « sept États sœurs »)[165].

Les nouveaux défrichement à Bali, Sumatra et aux Célèbes[modifier | modifier le code]

Au milieu des années 1870, profitant du canal de Suez et de cinq ans de hausse des cours, la caféiculture s'est étendue au nord de Sumatra, sur les hautes terres près du lac Toba en 1888, mais aussi à Bali, au Sulawesi, où le café avait été planté autour dès 1850, et au Timor, partiellement portugais, d'abord sans s'inquiéter de la maladie qui décime les plantations de Ceylan[113]. La production de café indonésien ne chutera vraiment qu'en 1885-1890: des deux tiers en 1887, à 43 000 tonnes[113]. Elle diminue encore de moitié en 1893, à 24 000 tonnes[113].

Le parasite du caféier découvert en 1869 à Ceylan[modifier | modifier le code]

Entre 1865 et 1880, les planteurs de Ceylan font venir des plants de café de Jamaïque, Guyana, Cuba, Liberia, et Java, en utilisant la Caisse de Ward, sorte de serre portable inventée vers 1829 à Londres par Nathaniel Bagshaw Ward, pour le transport sur longue distance. Des plants de caféiers sauvages sont en particulier amenés en 1866 du Liberia, où sévit probablement la rouille du caféier[166].

La récolte de Ceylan culmine à 50 000 tonnes vers 1875[113], profitant de l'ouverture du canal de Suez[113]. Les plantations atteignent même 275 000 acres en 1878 (contre 4 700 pour le thé)[46] car la rouille du caféier est d'abord sous-estimée. La régression du café est ensuite extrêmement rapide dans les années 1880 et s'accélère avec la concurrence des plantations brésiliennes[113]. Ceylan n'aura pesé sur le marché du café que trois décennies[113].

Un parasite d'abord sous-estimé et mal connu[modifier | modifier le code]

Les caféiers de Ceylan sont attaqués par des basidiomycètes, Hemileia vastatrix et Hemileia coffeicola, aimant l'humidité et une température entre 22 et 24 degrés, ce qui entraîne des pertes de rendement agricole et des baisses de qualité[46]. La maladie est pour la première fois décrite par Berkley et Broom en novembre 1869 dans le Gardeners Chronicle après l'examen de caféiers de Ceylan[167]:171. Entre 1870 et 1877, la production de l'île chute d'un tiers alors que les surfaces cultivées progressent de 52 000 acres[166]. En 1880, pour aider le Jardin botanique de Peradeniya, Harry Marshall Ward, jeune botaniste anglais, est envoyé à Ceylan. Il conduit plusieurs séries d'études montrant que c'est bien cette maladie qui a détruit les caféiers[166]. Le journal Tropical Agriculturist, fondé en 1881, se fait l'écho des débats et questionnements des planteurs, qui cherchent une solution, croient pouvoir détecter les arbres malades à l’œil nu, et investissent dans la bouillie bordelaise d'Alexis Millardet, qui a servi à combattre les maladies de la vigne ou de la pomme de terre.

Mais dans son rapport de 1882, Harry Marshall Ward dément toute relation entre la présence de cils et de cires à la surface d'une feuille et son infection, en fait liée à la présence d'enzymes, de toxines et d'antitoxines chez le parasite et l'hôte. La relation entre une plante et son parasite pendant l'infection fait l'objet de sa Croonian Lecture en 1890. Mais ses propositions, passer de la monoculture à la polyculture pour empêcher la dissémination des spores par le vent, et créer des "écrans biologiques" en diversifiant les cultures, sont formulées trop tard : le champignon s'est déjà trop répandu. Les planteurs de Ceylan abandonnent la caféiculture pour celle du thé.

La propagation de la maladie caféière en Asie et Océanie[modifier | modifier le code]

En voulant fuir la maladie pour créer d'autres plantations ailleurs dans l'océan Indien et l'océan Pacifique, les planteurs de Ceylan l'ont aidé à circuler : elle est rapidement retrouvée en 1872 à Madagascar puis à Java, deuxième producteur mondial, où elle ravage d’abord les plantations des Preanger, puis celles de l’Idjen dans les années 1870-1875[168],[166]. La rouille du caféier est ensuite détectée dans les colonies du Natal, en 1878, et des Fidji, en 1879[166]. Elle attaque ensuite Bali, puis, le Timor, où nombre de plantations sont ruinées dans la seconde moitié des années 1880, autour de Liquica, Maubara, et Hatolia[168].

Vers 1878, les régions côtières de Java, devenues très sensibles à la rouille de type Hemileia vastatrix sont abandonnées. La culture se déplace vers d'autres zones de l'archipel indonésien, sous contrôle des Hollandais, qui s'aperçoivent que les jeunes plants de café installés sur des terres caféicoles anciennes sont particulièrement fragiles à la maladie[115]. En 1903, un scientifique de Porto Rico la combat avec succès, en exigeant la destruction d'une cargaison arrivée de Java[166].

La baisse des cours mondiaux du café aggrave les dégâts pour les plantations[166]. La récolte de La Réunion diminue de 75 % dans les années 1880 et 1890. Celle des Philippines, alors quatrième exportateur mondial (16 millions de livres, environ 32 000 tonnes) est entièrement rayée de la carte entre 1889 et 1892[166]. Dans les parties basses de Java et Sumatra, une saison a suffi à réduire la production de 30 à 50 %[166]. La maladie touche les arbres surtout en dessous de 1 400 mètres d'altitude et les Javanais abandonnent tous ceux situés à moins de 1 000 mètres[166]. L’arabica y est remplacé par le libérica[168].

Les tentatives de cultiver l'arabica en Ouganda et dans les régions basses du Kenya et du lac Tanganyika sont compromises, on décide de s'attaquer plutôt aux flancs du Kilimandjaro et aux régions du nord et de l'ouest de Nairobi[166]. Dans de nombreuses régions, les plantations abandonnées par les grands propriétaires sont cependant reprises par des autochtones, avec des modes de cultures plus modestes, en particulier à Madagascar ou en Indonésie, même si ailleurs, comme à Ceylan, ce sont d'autres cultures, thé ou sucre, qui prennent le relais[169].

Vers 1900, la variété Robusta, résistant à la maladie, a été importée du Congo, un peu avant que l’Institut national pour l'étude agronomique du Congo belge ne développe un processus de sélection des robusta africains[170].

En 1880, le "corner" des New-yorkais échoue[modifier | modifier le code]

Inspirée par la maladie du caféier, la spéculation sur la hausse des cours de l'arabica des années 1870 est menée aux États-Unis par la «