Nul n'est méchant volontairement

Nul n'est méchant volontairement (en grec ancien : οὐδένα ἀνθρώπων ἑκόντα ἐξαμαρτάνειν οὐδὲ αἰσχρά) est une citation de Socrate, transcrite par Platon dans plusieurs de ses œuvres. Il s'agit d'une des phrases les plus célèbres du corpus platonicien.

Thèse[modifier | modifier le code]

La phrase « Nul n'est méchant volontairement » apparaît à plusieurs reprises dans les écrits de Platon. Elle récapitule, en effet, une partie de la philosophie morale de l'auteur et de son maître[1]. Sous la plume de Platon, Socrate défend un moralisme intellectualiste, c'est-à-dire qu'il ramène les questions morales à des questions intellectuelles. La morale serait affaire de savoir, et non de sentiment[2]. Ceux qui agissent mal (sont méchants) sont ceux qui se trompent sur la nature du bien[3].

Cette thèse s'inscrit dans la réflexion morale socratique, qui elle-même est une réponse à beaucoup de thèses répandues au temps de Socrate et de Platon. Eschyle, dans Prométhée enchaîné, écrit par exemple : « Volontairement, volontairement j'ai erré ; je ne le nie pas »[4].

Occurrences[modifier | modifier le code]

Socrate déclare en premier, dans le Protagoras : « je suis à peu près persuadé que, parmi les philosophes, il n’y en a pas un qui pense qu’un homme pèche volontairement et fasse volontairement des actions honteuses et mauvaises ; ils savent tous au contraire que tous ceux qui font des actions honteuses et mauvaises les font involontairement »[5].

Dans le Gorgias, dans sa discussion avec Polos, Socrate soutient cette thèse, sans utiliser la phrase, en 467b[4]. La phrase apparaît ensuite à diverses reprises sous la plume de Platon. On la retrouve dans Les Lois[6].

Postérité[modifier | modifier le code]

Critique aristotélicienne[modifier | modifier le code]

Aristote critique la position de Socrate dans la Grande Morale. Il écrit, dans le premier livre (chapitre VII), que si « le vieux Socrate allait jusqu'à supprimer entièrement et à nier l'intempérance, en soutenant que personne ne fait le mal en connaissance de cause », c'était une erreur : « l'intempérant, qui ne sait pas se maîtriser, semble bien faire le mal tout en sachant que c'est du mal, emporté comme il l'est par la passion qui le domine ». Ainsi, Socrate aurait négligé le rôle de l'intempérance : « Par suite de ce système, Socrate était amené à croire qu'il n'y a pas d'intempérance. Mais c'était une erreur »[7].

Approbation cartésienne[modifier | modifier le code]

René Descartes, ayant lui-même adopté une forme d'intellectualisme à cet égard, écrit dans le Discours de la méthode que « le pécheur est un ignorant ». Le mal ne peut être voulu pour lui-même, mais se produit car la raison a failli[8]. Dans la quatrième méditation des Méditations métaphysiques, il se demande : « D'où est-ce que naissent mes erreurs ? ». Il écrit que la raison « s’égare fort aisément, et choisit le mal pour le bien, le faux pour le vrai. Ce qui fait que je me trompe est que je pèche »[9]. Par conséquent, « il suffit de bien juger pour bien faire »[10].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. C. J. Rowe et Malcolm Schofield, The Cambridge history of Greek and Roman political thought, Cambridge University Press, (ISBN 0-521-48136-8, 978-0-521-48136-6 et 978-0-521-61669-0, OCLC 41108538, lire en ligne)
  2. Alexander Nehamas, Virtues of authenticity : essays on Plato and Socrates, Princeton University Press, (ISBN 0-691-00177-4, 978-0-691-00177-7 et 0-691-00178-2, OCLC 38936584, lire en ligne)
  3. Norman Gulley, « The Interpretation of 'No One Does Wrong Willingly' in Plato's Dialogues », Phronesis, vol. 10, no 1,‎ , p. 82–96 (ISSN 0031-8868, lire en ligne, consulté le )
  4. a et b Heda Segvic, « No One Errs Willingly: The Meaning of Socratic Intellectualism », dans A Companion to Socrates, Blackwell Publishing Ltd (lire en ligne), p. 171–185
  5. Platon, Protagoras - Euthydème - Gorgias - Ménexène - Ménon - Cratyle, Flammarion, (ISBN 978-2-08-138892-5, lire en ligne)
  6. Monique Dixsaut, Etudes sur la République de Platon: De la science, du bien et des mythes, Vrin, (ISBN 978-2-7116-1816-3, lire en ligne)
  7. Aristote et Pierre Pellegrin, Les grands livres d'éthique : La grande morale, Arléa, (ISBN 2-86959-126-8 et 978-2-86959-126-4, OCLC 406855570, lire en ligne)
  8. Josiane Schifres, Discours de la méthode, 1637, Descartes, Hatier (réédition numérique FeniXX), (ISBN 978-2-7062-7242-4, lire en ligne)
  9. Pascal Frouart, Pascal. Cœur, corps, esprit, Domuni-Press, (ISBN 978-2-36648-064-1, lire en ligne)
  10. Nicolas Grimaldi, Le désir et le temps, J. Vrin, (ISBN 978-2-7116-1104-1, lire en ligne)