Le Bain turc
Artiste | |
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Date | |
Type | Huile sur bois |
Technique | |
Dimensions (Diam × H × L) | 108 × 108 × 108 cm |
Format | |
Mouvements | |
Propriétaire | |
No d’inventaire | RF 1934 |
Localisation |
Le Bain turc est un tableau de Jean-Auguste-Dominique Ingres conservé au musée du Louvre à Paris. Cette œuvre présente un groupe de femmes nues dans un harem.
Historique du tableau
[modifier | modifier le code]Réalisation
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Ébauchée vers 1852, l'œuvre est terminée à la fin de 1859[2], avant d'être remaniée sous forme de cercle en 1860 (tondo), puis retravaillée une dernière fois en 1863[3]. C'est un homme de 82 ans qui signe ce tableau érotique en 1862 non sans une certaine malice, puisqu'il inscrit avec fierté AETATIS LXXXII (« à l'âge de quatre-vingt-deux ans »). Quelques années plus tard — en 1867 — il déclare d'ailleurs qu'il ressent toujours « tout le feu d'un homme de trente ans »[4].
Pour réaliser ce tableau, Ingres n'a recours à aucun modèle, mais s'inspire des nombreux croquis et tableaux qu'il a réalisés au cours de sa carrière. À l’origine le tableau était de format rectangulaire avant d'être modifié. On y retrouve des figures de baigneuses et d'odalisques qu'il dessinait ou peignait le plus souvent seules, sur un lit ou au bord d'un bassin. La figure la plus connue recopiée dans le tableau est La Baigneuse Valpinçon, qui est reprise presque à l'identique et constitue l'élément central de la composition. Deux photographies prises en 1859, une par un photographe anonyme, et l'autre par Charles Marville, montrent un état antérieur de l'œuvre avant sa transformation en tondo. On y constate plusieurs modifications, dont l'odalisque aux bras levés qui s'étire du premier plan, dont le modèle est la deuxième femme de l'artiste, Delphine Ramel — la ressemblance avec son portrait de 1859 est immédiate — voit la position de ses bras changée [5]. Les autres corps sont juxtaposés dans différents plans, aucun regard ne se croise.
Postérité
[modifier | modifier le code]Le premier acheteur du tableau — un parent de Napoléon III — le rendit au bout de quelques jours, sa femme le trouvant « peu convenable »[6]. Il fut finalement acheté en 1865 par Khalil Bey, un ancien diplomate turc. Ce dernier l’ajouta à sa collection de peintures érotiques, qui contenait notamment L’Origine du monde de Courbet. Au début du XXe siècle, des mécènes voulurent offrir Le Bain turc au musée du Louvre, mais le conseil du musée refusa à deux occasions. C’est après une offre d’achat des collections nationales des musées de Munich que le Louvre l’accepta dans ses collections en 1911, grâce à un don de la société des amis du Louvre, à qui le mécène Maurice Fenaille prêta pour trois ans, sans intérêts, la somme de 150 000 francs.
Edgar Degas demanda que ce tableau soit présenté à l’exposition universelle. Il suscita par la suite des réactions contrastées : Paul Claudel alla jusqu’à le comparer à une « galette d’asticots »[6].
Le tableau fait partie des « 105 œuvres décisives de la peinture occidentale » constituant le musée imaginaire de Michel Butor[7].
L'inspiration orientale
[modifier | modifier le code]En 1806, quand il part pour l'Italie, il recopie dans ses carnets un texte vantant les « bains du sérail de Mohammed ». On peut y lire une description du harem où l'on « passait dans une chambre entourée de sophas [...] et c'était là que plusieurs femmes destinées à cet emploi attendait la sultane au sortir du bain pour essuyer son beau corps et le frotter des plus douces essences ; c'est là qu'elle devait ensuite prendre un repos voluptueux »[8].
En 1825, il recopie un passage des Lettres d'Orient de Lady Mary Montagu intitulé Description du bain des femmes d'Andrinople. Cette femme de diplomate britannique avait accompagné son mari en 1716 dans l'Empire ottoman. Entre 1763 et 1857, les lettres de Lady Montagu furent rééditées huit fois en France et alimentèrent la fièvre orientaliste. « Je crois qu'il y avait en tout deux cents filles », indique Lady Montagu dans le passage recopié par Ingres. « De belles femmes nues dans des poses diverses... les unes conversant, les autres à leur ouvrage, d'autres encore buvant du café ou dégustant un sorbet, et beaucoup étendues nonchalamment, tandis que leurs esclaves (en général de ravissantes filles de dix-sept ou dix-huit ans) s'occupaient à natter leur chevelure avec fantaisie »[9].
Expositions
[modifier | modifier le code]Influence et hommages modernes
[modifier | modifier le code]Le Bain turc a inspiré de nombreux artistes modernes. On le voit chez Félix Vallotton avec son tableau Le Bain turc de 1907, chez Pablo Picasso dans Les demoiselles d'Avignon ou encore chez Tamara de Lempicka et son tableau Femmes au bain (1922)[10]. Son influence devient encore plus évidente à partir des années 1960 à travers de nombreuses appropriations. Parmi les références les plus évidentes au Bain turc d'Ingres, on peut citer Made in Japan, tableau turc et invraisemblable (1965) de Martial Raysse , Revolver I (1967) de Robert Rauschenberg, Le Bain turc (1968) d'Harry Nadler et, dans le style pop, The turkish bath after Ingres (1970) de Robert Ballagh[10]. C'est précisément parce que tant d'artistes y ont fait référence que Le bain turc a attiré l'attention du peintre Herman Braun-Vega qui considère Ingres comme une figure charnière entre la peinture classique et les modernes [11]. Le bain turc à New York est une série de 15 variations autour du Bain turc d'Ingres réalisée en 1972 par Braun-Vega pour être exposée à la galerie Lerner-Heller de New York[12]. Braun-Vega déplace le tableau d'Ingres dans des contextes modernes, en représentant les baigneuses d'Ingres dans des scènes de la vie quotidienne à New York, dans les rues, sur la plage, ou en les entourant d'éléments contemporains tels que des cartons de lait et des journaux, créant ainsi un dialogue entre le passé et le présent qui s'inscrit dans son exploration de l'héritage des grands classiques de la peinture dans l'art moderne[13]. La notion d'héritage est aussi au centre du tableau Caramba! dans lequel Braun-Vega se revendique l'héritier de Vélasquez, Goya, Rembrandt, Ingres, Cézanne, Matisse et Picasso, Ingres étant représenté par Le bain turc[14]. Lorsque Braun-Vega n'utilise pas le tondo d'Ingres pour exprimer sa filiation artistique, il peut l'utiliser, par exemple pour exprimer une critique sociale. Ainsi, Dans Le Bain à Barranco (Ingres), les figures classiques du Bain turc se retrouvent confrontées avec des autochtones péruviens, soulignant les disparités culturelles et économiques[15]. D'autres tableaux de Braun-Vega font encore référence au bain turc parmi lesquels on peut citer La papaye au bain (Picasso, Ingres, El Greco)[16], Le Bain à Cantolao ou 8,7 = rideau (Ingres)[16], État critique (Ingres, Picasso)[17], L'artiste et ses modèles (Ingres)[18], Matisse maîtrise couleurs et lumières avec ses ciseaux[19].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- ↑ Notice no 06070007977, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Joconde, ministère français de la Culture
- ↑ Cf. Vincent Pomarède, Stéphane Guégan, Louis-Antoine Prat et Eric Bertin (dir.), Ingres (catalogue d'exposition), Gallimard - Musée du Louvre Editions, Paris, 2006, Notice cat. 178, p.378.
- ↑ « Le Bain turc », dans Le Petit Robert des noms propres, dictionnaires Le Robert, (ISBN 2-84902-162-8)
- ↑ D'après Rose-Marie et Rainer Hagen, Les Dessous des chefs-d'œuvre TASCHEN 2000, Cologne, pages 410 à 415. : Ingres cité dans Walter PACH, Ingres, New York 1973. p. 158.
- ↑ Cf. Vincent Pomarède, Stéphane Guégan, Louis-Antoine Prat et Éric Bertin (dir.), Ingres (catalogue d'exposition), Gallimard - Musée du Louvre éditions, Paris, 2006, p.48.
- Anecdotes citées par Rose-Marie et Rainer Hagen, Les Dessous des chefs-d'œuvre TASCHEN 2000, Cologne, pages 410 à 415. p. 415.
- ↑ Michel Butor, Le Musée imaginaire de Michel Butor : 105 œuvres décisives de la peinture occidentale, Paris, Flammarion, , 368 p. (ISBN 978-2-08-145075-2), p. 222-225.
- ↑ D'après Rose-Marie et Rainer Hagen, Les Dessous des chefs-d'œuvre TASCHEN 2000, Cologne, pages 410 à 415. : extrait des carnets de voyage de Ingres cité dans Catalogue de l'exposition du Louvre : Le Bain turc d'Ingres, Paris 1971 pp. 4,5
- ↑ D'après Rose-Marie et Rainer Hagen, Les Dessous des chefs-d'œuvre TASCHEN 2000, Cologne, pages 410 à 415. : Lady Mary Montagu : L'Islam au péril des femmes, une Anglaise en Turquie au XVIIe siècle, Paris 1981, pages 133 et suivantes
- Jean-Pierre Cuzin et Dimitri Salmon, INGRES, regards croisés, Mengès/Réunion des Musées Nationaux, , 288 p. (ISBN 978-2-844-59129-6), p. 148, 151, 170, 187, 193, 199, 208
- ↑ (en) William D. Case, « Herman Braun », Arts Magazine, , p. 76 (lire en ligne) :
« Braun has concluded that Ingres is, in a sense, the principal figure behind contemporary art, a pivotal figure who marks the break with the old, established language of art and heralds the period of invention that has continued to our own day. Le Bain Turc first attracted his attention precisely because so many other artists has made reference to it »
- ↑ (es) « Braun en el "Baño Turco" », El Comercio, (lire en ligne)
- ↑ (en) « Herman Braun », Art News, , p. 73 (lire en ligne) :
« At Lerner-Heller, painter Herman Braun showed a series of works exploring the art historical idea that "modern art is a direct and lineal descendant of all so-called classic art that preceded it." Braun explored this concept with a group of paintings, painted constructions and sketches all based, to varying degrees, on Ingres' famous Turkish Bath. In Braun's 15 incarnations of the latter the viewer saw Ingres' voluptuous female bathers at the beach, on the streets of New York [...], and in some Surreally updated versions of their natural Turkish bath habitat, complete with pop/style cartons of milk and yesterday's newspaper. »
- ↑ Jean-Luc Chalumeau, La Nouvelle Figuration : Une histoire, de 1953 à nos jours, Figuration narrative - Jeune Peinture - Figuration critique, Paris, Cercle d’Art, , 222 p. (ISBN 978-2702206980, lire en ligne), p. 169 :
« Caramba!, tableau de groupe, réunion de famille. Dans le fond à droite, expliqua-t-il, à côté de la porte, un pan de mur recouvert d'un papier peint de Matisse, sur lequel on peut voir accroché Le Bain Turc d'Ingres. »
- ↑ Jean-Luc Chalumeau, Coca-Cola dans l’art, Paris, éd. Du Chêne, , 224 p. (ISBN 978-2-842-77916-0, lire en ligne), p. 180-185 :
« Ingres et Coca-Cola représentent tous deux, pour Braun-Vega, des « colonisations culturelles » : il laisse entendre quelle est celle, à tout prendre, qui aurait ses préférences. Mais les choses sont ainsi (es así) et il n'y a pas à y revenir. En tant qu'artiste, il « métisse » les deux colonisations culturelles pour en donner une version synthétique personnelle : une nouvelle culture en somme. »
- Dimitri Salmon, Jean-Pierre Cuzin et Florence Viguier-Dutheil, Musée Ingres, Musée national des beaux-arts du Québec, Ville de Montauban, avec la collaboration exceptionnelle du musée du Louvre, Ingres et les modernes, Montauban, Somogy, , 336 p. (ISBN 978-2-7572-0242-5, lire en ligne), p. 264-265
- ↑ Herman Braun-Vega, « Etat critique (Ingres, Picasso) », Acrylique sur toile, 162 x 130 cm, sur braunvega.com, (consulté le )
- ↑ « Entretien avec le critique Lauro Capdevila », Espaces Latinos, no 273, , p. 18 (lire en ligne)
- ↑ Christian Noorbergen (préf. Manuel Rodríguez Cuadros), Herman Braun-Vega : Fenêtres d’art, d’âme et de vie (catalogue de l'exposition de 2018 à la maison de l'UNESCO à Paris), Ministère des Relations extérieures du Pérou – Représentation du Pérou auprès de l’UNESCO, , 84 p. (lire en ligne), p. 78
Annexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code] : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- Sous la direction de Vincent Pomarède, Stéphane Guégan, Louis-Antoine Prat et Éric Bertin, Ingres, Gallimard - Musée du Louvre éditions, Paris, 2006 (catalogue de l'exposition « Ingres » présentée au musée du Louvre du au )
- Rose-Marie et Rainer Hagen, Les Dessous des chefs-d'œuvre, Taschen, 2000, Cologne, pages 410 à 415
- Lady Mary Montagu, L'Islam au péril des femmes. Une Anglaise en Turquie au XVIIe siècle, Paris, 1981
- Walter Pach, Ingres, New York, 1973
- Catalogue de l'exposition du Louvre, « Le Bain turc d'Ingres », Paris, 1971
Liens externes
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- Ressources relatives aux beaux-arts :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :