Sogdiens

La Sogdiane vers 300.
Lions, soie polychrome sogdienne.

Les Sogdiens étaient un peuple de langue indo-européenne de la branche des langues iraniennes qui vivait autrefois dans une région recouvrant une partie des actuels Turkménistan oriental, Ouzbékistan, Tadjikistan occidental et Afghanistan septentrional, englobant Samarcande et Boukhara, région à laquelle ils ont donné leur nom : la Sogdiane. Important peuple de commerçants, ayant joué un rôle fondamental dans le développement de la route de la soie et des routes commerciales de l’Asie centrale, les Sogdiens ont connu un apogée entre le début de l’ère chrétienne et le VIIe siècle. Héritiers des civilisations précédentes, ces « Phéniciens » de l’Asie centrale en ont accumulé et transmis les richesses et complexités jusqu’au VIIIe siècle[1].

Leur langue était très proche, voire identique à celle de la Bactriane, qui se trouvait au sud de la Sogdiane. Elle a été supplantée par le tadjik, une autre langue iranienne beaucoup plus proche de l’actuel persan, mais elle n’a pas totalement disparu puisqu’une langue sogdienne était encore récemment parlée dans un groupe de villages de la vallée du Yaghnob, affluent du Zeravchan, rivière qui arrose Samarcande. Outre cette langue appelée yaghnobi, le sogdien a donné des mots au tadjik et au persan moderne.

Origines et histoire[modifier | modifier le code]

Un négociant sogdien sur un chameau de Bactriane, figurine chinoise, période Tang, VIIe siècle.

L’Avesta, texte sacré des zoroastriens, cite Sughda « les Sogdiens », « la Sogdiane », mais ne précise pas à quelle époque. Cela remonte en tout cas à une haute Antiquité. L’histoire des Sogdiens et de leurs rapports avec leurs voisins, iraniens comme eux pour la plupart, les Scythes, les Sakas, les Tokhariens, les Parthes, les Chorasmiens et les Bactriens, ainsi que leur extension maximale vers l’Est et le Nord, font débat. On discute ainsi des liens entre le sogdien et la langue, également iranienne, du royaume de Khotan du IIe siècle av. J.-C., parlée au sud-ouest du bassin du Tarim, autre étape de la route de la soie. En effet de nombreux documents écrits bouddhiques du VIIe siècle de l’ère chrétienne, retrouvés entre autres en Sogdiane, comprennent des mots qui semblent être empruntés au khotanais, peut-être via l’oasis de Kachgar. Les habitants de cette région étaient appelés Sakaraukai par les Grecs et Sai-wang par les Chinois : on a rapproché ces dénominations des Saces et des Scythes, mais en fait wang signifie « roi » et raukai, l’iranien rūkya-, prononcé *raukya-, signifie « commandant, chef ». S’il en est bien ainsi, ces habitants étaient les « Rois-commandants » et on a rapproché ce nom des « Scythes royaux » dont parle Hérodote.

Quoi qu’il en soit, les Sogdiens ont des liens avec ces cultures qui les ont précédés, ont joué un rôle important dans le commerce transcontinental, notamment la route de la soie qui deviendra un atout majeur pour l’Empire parthe, et ont exercé une importante influence culturelle jusque dans la Chine des Tang[2]. Il semble qu’ils vécurent dans cette région depuis le début du Ier millénaire av. J.-C. Les Sogdiens semblent avoir été des Scytho-Saces sédentarisés dans les régions méridionales de l’Asie centrale, dont les vallées alluviales et les oasis sont favorables à l’agriculture tandis que le reste du territoire, plus aride (du moins à certaines époques, dont l’actuelle) ne permet que l’élevage extensif nomade, traditionnellement pratiqué par les peuples cavaliers des steppes. À la différence des empires de l’Antiquité, celui des Sogdiens n’est pas un territoire limité par des frontières précisément bornées, mais un réseau de comptoirs qui, d’une oasis à l’autre, court le long des routes qui relient la Sogdiane à Constantinople vers l’Ouest, à l’Inde et l’Indochine vers le Sud, et à la Chine vers l’Est[1].

Sur la route de la Soie, la cité de Samarcande, fondation sogdienne sous le nom de Marakanda, était une étape de premier ordre. C’était un grand marché, le point le plus oriental de la plupart des caravanes arméniennes, syriennes, égyptiennes, arabes et romaines d'orient et le point le plus occidental de la plupart des caravanes chinoises ; elle existait déjà au IVe siècle av. J.-C., puisqu’Alexandre le Grand la prit aux dépens des Achéménides. Après la mort d'Alexandre, en 323, l’un de ses Diadoques, Séleucos, fonda l’empire des Séleucides qui allait de la Syrie aux frontières de l’Inde. Il prit le contrôle de la Sogdiane lors d’une campagne dans les « Hautes satrapies » d’Asie centrale entre 310 et 308 av. J.-C. À la mort de son descendant Antiochos II, en 246 av. J.-C., le satrape grec de Bactriane et de Sogdiane, Diodore Ier, se proclama indépendant. Le royaume ainsi créé est qualifié de gréco-bactrien et fait partie de la sphère culturelle hellénistique, mais, religieusement, est dominé par le bouddhisme[3],[4].

Sous le règne d’Euthydème Ier, le deuxième successeur de Diodote, le roi séleucide Antiochos III tenta de reprendre possession de la Bactriane, mais il échoua et dut reconnaître l’indépendance de ce royaume. Un important développement urbain caractérisa cette période. À Samarcande, un rempart grec fut superposé aux anciennes fortifications. Le dernier souverain gréco-bactrien, Hélioclès, régna environ de 145 à 130 av. J.-C. Son royaume fut victime de l’arrivée des Yuezhi, un confédération de peuples probablement tokhariens signalé par les sources chinoises à l’ouest du Gansu, qui avait été vaincu par les Xiongnu de Mongolie entre 174 et 161 av. J.-C. et contraint à l’éparpillement. Les Yuezhi arrivèrent en Bactriane peu avant 128 et y reconstituèrent un puissant État : les Sogdiens leur furent très probablement soumis. Les Chinois envoyèrent chez les Yuezhi un ambassadeur, Zhang Qian, qui arriva à destination vers 128. Il effectua une description de ce qui est aujourd’hui l’Ouzbékistan, mais n’y mentionne pas nommément les Sogdiens ; en revanche, il parle d’un pays appelé Kangju. Certains auteurs ont voulu y voir la Sogdiane, mais selon Zhang Qian, « les gens du Kangju étaient nomades et semblables aux Yuezhi par leurs coutumes », alors que les Sogdiens étaient sédentaires pratiquant une agriculture irriguée. Le territoire du Kangju se serait plutôt trouvé dans la région de Tachkent.

Au cours du Ier siècle av. J.-C., la domination des Yuezhi passa aux Kouchans, une tribu des Yuezhi ayant pris le dessus sur les autres. Les Kouchans fondèrent un empire également centré sur la Bactriane. Bien que les Sogdiens aient été leurs voisins septentrionaux, ils n’y furent pas intégrés. Les oasis de Samarcande et de Boukhara connurent un important développement, amplifié par le commerce avec les autres parties de l’Asie par la route de la soie. Les pièces de monnaie frappées à Samarcande portaient alors des légendes en sogdien et en grec, mais les secondes eurent tendance à se raréfier ou même à disparaître au profit des premières. Le remplacement du grec par le sogdien est aussi observé à Boukhara. Pour la première fois, des documents appelés « Lettres Anciennes » permettent de connaître la société sogdienne, composée de trois classes, les aristocrates (āzāt, āzātkār), les marchands (xvākar) et les paysans et artisans libres (kārikār). Outre ces trois classes libres, beaucoup d’esclaves y vivaient, qui n’étaient pas considérés comme des membres de la cité (le nāf). Les āzāt étaient propriétaires des terres et des villages et les āzātkār étaient des personnes libres associées aux āzāt en un système clientéliste. Les « Lettres Anciennes » n’ont pas été trouvées en Sogdiane, mais dans une tour de la frontière chinoise de cette époque, à Dunhuang. Elles témoignent de l’activité marchande et de la société des Sogdiens, qui ont aussi laissé quelques centaines de courtes inscriptions sur roche au nord de l’actuel Pakistan, sur une autre voie commerciale. Un exemple de ces graffitis est « Bōxsāk, fils de Vanxarak, citoyen de Paykand » (la ville de Paykand se trouvait au Sud-Ouest de Boukhara).

Histoire du début de l'ère chrétienne à l'apogée commercial des Sogdiens[modifier | modifier le code]

Palefreniers sogdiens, art chinois (dynastie Tang), musée Cernuschi (Paris).

En 230, le roi perse Ardachir Ier, fondateur de la dynastie des Sassanides, annexa la partie occidentale de l'empire des Kouchans. Les Sogdiens furent également attaqués, mais leur territoire ne fut pas occupé. Les événements qui se produisirent ensuite ne sont pas bien connus. On sait qu'entre 350 et 400, un peuple désigné par le nom de Hun (xwn en sogdien) tua le souverain de la Sogdiane. Mais qui étaient exactement ces Huns ? Ce terme a désigné plusieurs peuples nomades en Asie centrale. Il s'agit peut-être d'un peuple appelé Kidarite par les Grecs, Chionites par les auteurs latins et Huna par les Indiens. Ils sont mentionnés pour la première fois vers 350, comme alliés des Sassanides, et leur nom grec provient apparemment d'un roi qui s'appelait Kidara. Il est certain que les Kidarites s'emparèrent de la Bactriane, qui avait alors pris le nom de Tokharistan. Leur présence en Sogdiane n'est qu'hypothétique. On y a trouvé sept pièces de monnaie portant l'inscription kydr (Kidara).

Les Sassanides, s'étant brouillés avec les Kidarites, les attaquèrent à partir de 442. Cette campagne s'acheva en 467 avec la prise par les Perses de la capitale des Kidarites (la ville de Balkh?), au Tokharistan. Les Perses avaient un nouvel allié, les Hephthalites, qui étaient de redoutables guerriers et qui s'illustrèrent plus tard par de terribles massacres, notamment en Inde du Nord. Eux aussi, étaient qualifiés de Huns. Partis du nord de Tourfan, dans l'actuelle province chinoise du Xinjiang, ils se constituèrent un empire et s'emparèrent de la Sogdiane vers 509. Les Chinois reçurent alors une « ambassade » envoyée par les Hephthalites, qui étaient en fait surtout constituée de marchands sogdiens. Ce fut à partir de la Sogdiane que les Hephthalites lancèrent leurs attaques contre leurs anciens alliés, les Sassanides.

Les Hephthalites furent balayés entre 557 et 561 par un nouvel empire nomade, fondé à partir de la Mongolie par les Turcs Bleus (Göktürks, Tujue en chinois). À cette époque, un tyran appelé Abrui régnait sur l'oasis de Boukhara. Il était originaire de la ville de Paykand, citée plus haut. Fuyant sa brutalité, des nobles et des marchands s'installèrent au sud-est de l'actuel Kazakhstan, sur le cours du fleuve Ili (dans une région que l'on appelle le Semiretchie). Les citoyens restants rèclamèrent l'aide des Turcs, qui renversèrent Abrui. Les émigrés avaient dû passer par la région de Tachkent, d'où les gens du Kangju étaient partis (vaincus par les Kidarites?) et qui était devenue sogdienne. Cette expansion aida les Sogdiens à contrôler les routes commerciales. Elle servait aussi les intérêts des Turcs, qui purent compter sur les diplomates sogdiens pour rendre les routes aussi sûres que possible. Ces derniers étaient alors alliés des Sassanides. Ils se partagèrent les territoires laissés par les Hephthalites. La Sogdiane revint aux Turcs, mais les Sogdiens eurent avec les Turcs une relation beaucoup plus d'amitié que de soumission. Le sogdien devint la langue officielle de l'administration turque. Au début du VIIe siècle on signale un mariage entre le roi de Samarcande et la fille d'un empereur turc.

Scène de chasse, Varakhcha.

Les Turcs avaient créé leur empire en 552. Il fut partagé en une aile orientale, en Mongolie, et une aile occidentale, au nord de l'actuelle région autonome chinoise du Xinjiang. Les Chinois détruisirent la première en 630 et la seconde en 657. Ils prirent, en théorie, possession de tous les territoires turcs, ce qui fit tomber la Sogdiane dans leur giron, mais elle se trouvait trop loin pour qu'ils pussent y exercer un contrôle effectif. L'empire turc fut reconstitué à partir des années 680, grâce notamment à un ministre exceptionnel, Tonyuquq. En 711, il vainquit un autre peuple turc, les Türgesh, et poursuivit les fuyards jusqu'en Sogdiane. Mais dans la région de Samarcande, il se heurta à des nouveaux venus: les Arabes.

Malgré ces troubles et ces occupations passagères, les Sogdiens se consacraient plus que jamais au commerce. En effet à cette époque la Sogdiane, dont Samarcande est la principale ville, devient un des plus importants centres du commerce mondial, idéalement situé à la croisé des routes entre la Chine, l'Inde, la Perse et l'Empire Byzantin. Les marchands sogdiens connaissent leur apogée à cette époque et étendent alors un vaste empire commercial qui domine les échanges dans toute l'Asie centrale et pénètre jusque dans les empires[5], en particulier la Chine des Tang où les marchands sogdiens dominent longtemps le commerce chinois du fait de circonstances réglementaires qui les favorisent, des sogdiens sont même parfois promus à des postes administratifs importants. La majorité des caravansérails sur la Route de la soie sont des établissements sogdiens.

Cependant il faut relativiser le rôle de la soie, et même des masses transportées. La soie, pour les producteurs chinois[6], était, non un objet de profit, mais, tout simplement, une monnaie qui servait à payer les fonctionnaires et à gratifier les souverains étrangers, dont les menaçants nomades. Ce furent les marchands sogdiens qui la captèrent en route et en firent un objet économique. Même de leur point de vue, il ne semble pas qu'elle ait toujours été perçue comme formant l'essentiel de leur activité. Les marchandises qu'ils transportaient, de toute façon en très faibles quantités, étaient plutôt le musc et le santal. Selon Franz Grenet la richesse du pays dépendait plutôt du labeur acharné et intelligent des creuseurs de canaux, qui ont su, en amenant l'eau et en acclimatant des plantes et des arbres fruitiers comme le pêcher, obtenir des produits de grande qualité recherchés jusqu'en Chine.

La Sogdiane confrontée aux Arabes[modifier | modifier le code]

En Perse, les Arabes avaient mis fin au règne des Sassanides, en 651. La Sogdiane se trouvait de l'autre côté du fleuve Amou-Daria, que les Grecs appelaient Oxus. Elle était donc la Transoxiane, nom que les Arabes ont traduit par Mavarannahr (Mā warā 'l-nahr) « ce qui est au-delà du fleuve ». Ils traversèrent ce fleuve une première fois en 673 pour attaquer Boukhara, qui était alors gouvernée par une femme, la khatun, mère d'un roi enfant nommé Tughshada. Elle obtint le retrait des envahisseurs contre le paiement d'une rançon. Ils revinrent à Boukhara en 676, puis se tournèrent vers Samarcande, mais ils échouèrent à prendre la ville. D'autres raids se produisirent, mais les Sogdiens ne prirent pas cette menace au sérieux. Bien plus, certains de leurs rois demandèrent aux Arabes leur soutien contre d'autres souverains sogdiens.

En 705, Qutaiba ibn Muslim devint le gouverneur du Khorassan, province du nord-est de la Perse. Il profita des querelles intestines des souverains de l'Asie centrale pour s'y introduire, mais il se heurta à une vive résistance à Paykand. La ville fut finalement détruite et ses défenseurs massacrés. Des Sogdiens coalisés et des Turcs lui barrèrent la route de Boukhara en 707 et 708, mais il put conquérir la cité en 709 grâce au soutien du roi sogdien Tarkhun. Ce dernier fut détrôné par ses sujets en 710. La cité de Samarcande dut se rendre en 712, après un mois de siège, et un an plus tard, ce fut au tour de la région de Tachkent de se soumettre. Ayant réussi à conquérir toute la Sogdiane, Qutaiba commença à y installer des Arabes et à y propager l'islam, mais il fut tué en 715 par une révolte de ses troupes.

Khorassan et Transoxiane, vers 750.

Les Sogdiens qui acceptaient de se convertir à l'islam étaient exemptés d'impôts. Face à l'ampleur des conversions et la baisse consécutive des recettes fiscales, les Omeyyades décrétèrent que les nouveaux convertis devraient être circoncis et avoir une bonne connaissance du Coran. Cette mesure entraîna une vaste révolte. En 720 et 721, les Sogdiens détruisirent la garnison arabe de Samarcande avec l'aide des Turcs. Un nouveau gouverneur fut alors nommé au Khorassan, Said ibn Amr al-Harashi. Les rebelles sogdiens choisirent cette fois une stratégie de retraite. Sous la conduite de Divashtich, roi de la cité orientale de Panjikand, une partie d'entre eux se réfugièrent dans la forteresse d'Abargar, située sur le mont Mug. À cet endroit, sur la rive gauche du Zeravshan, les archéologues ont trouvé de nombreux documents riches en enseignements sur la société sogdienne. Les Omeyyades ayant assiégé la forteresse, Divashtich dut se rendre. Il fut exécuté à l'automne 722 par al-Harashi.

En 728, le gouverneur du Khorassan Ashras ibn Abdallah al-Sulami offrit une exemption d'impôts pour les nouveaux convertis, ce qui produisit exactement les mêmes effets que la première fois. Avec l'aide des Turcs, Boukhara devint le centre de la révolte sogdienne. Elle fut soumise durant l'été 729, après plusieurs mois de durs combats. Samarcande, dirigée par le roi Ghurak (successeur de Tarkhun), ne s'était pas soulevée. En dépit de la répression menée par les Omeyyades, la résistance des Sogdiens ne s'arrêta pas. Elle fut particulièrement vive en 733 et 734. Le gouverneur Nasr ibn Sayyar (738-748) décida de mener une politique plus conciliante avec les élites locales.

Vers la fin de la civilisation sogdienne[modifier | modifier le code]

Les Arabes étaient alors gouvernés par la dynastie des Omeyyades. Elle avait des ennemis, parmi lesquels figuraient une autre dynastie arabe, celle des Abbassides. Leur leader au Khorasan et en Transoxiane fut Abû Muslim, un aristocrate iranien dont la famille s'était fraichement convertie à l'Islam, né en 718 ou 719. Il commença à rassembler des troupes en juin 747 et les mit en mouvement au début de l'année 748. Il entra dans Merv (actuel Turkménistan) en février. Nasr ben Sayyar dut fuir cette cité pour se réfugier en Perse, à Nishapur. Abû Muslim envoya contre lui l'un de ses officiers, Qahtaba ben Humayd, ce qui l'obligea à continuer sa fuite plus à l'ouest. Les Omeyyades réagirent alors en lui envoyant des renforts, mais ils furent défaits par Qahtaba et Nasr fut tué. Qahtaba garda le contrôle de la Perse, permettant aux Abbassides d'atteindre la ville de Koufa, en Irak, le 29 août 749. Un an plus tard, les Omeyyades furent renversés. Abû Muslim fut alors nommé gouverneur du Khorassan. Au printemps 751, il dut affronter une révolte d'un chiite, Sharik al-Mahri, à Boukhara. L'officier qu'il envoya, Ziyad ibn Salih, ne put venir à bout des insurgés qu'avec l'aide de l'aristocratie sogdienne.

La Sogdiane était toujours sous suzeraineté théorique de la Chine, mais les Chinois n'étaient pas intervenus. L'initiative vint d'un général chinois, Gao Xianzhi, qui était le gouverneur des «Pays d'Occident». Le souverain du Ferghana (à l'est de l'Ouzbékistan), demanda son aide contre le roi de Tachkent. Gao Xianzhi se rendit dans cette oasis, captura le roi en question et le fit exécuter, mais le fils du défunt souverain appela les Arabes à l'aide. En juillet 751, Ziyad ibn Salih affronta une armée chinoise de 30 000 hommes et l'écrasa avec le soutien d'un peuple turc, les Karluk, sur la rivière Talas, au nord-est de Tachkent. La Chine était définitivement éliminée de la Sogdiane.

Les Omeyyades s'inquiétèrent de la toute-puissance d'Abû Muslim. Ils nommèrent son général Ziyad ibn Salih gouverneur de la Sogdiane. Celui-ci fut vaincu par Abû Muslim et fut tué par un chevalier sogdien chez lequel il s'était réfugié. Un calife des Abbassides arrivé au pouvoir en 754, Abu Jafar al-Mansur, convoqua perfidement Abû Muslim à la cour et le fit exécuter. Cela entraîna des révoltes de proches d'Abû Muslim, qui n'étaient pourtant pas des musulmans. Le zoroastrien Sunbādh souleva le Khorassan contre les Abbassides. Ceux-ci effectuèrent une répression très féroce, allant jusqu'à massacrer des femmes et des enfants. D'autres révoltes zoroastriennes se produisirent, la dernière et la plus importante ayant lieu entre 776 et 783. Elle fut menée par Hashim ben Hakim. Bien que ce personnage ait eu un nom arabe, son mouvement était plutôt antimusulman et ancré dans la paysannerie sogdienne. Il avait aussi un soutien dans la ville de Samarcande. La répression de cette révolte et le suicide de Hashim ben Hakim marqua la victoire définitive de l'islam sur les religions locales.

Au cours du IXe siècle, la Transoxiane tomba progressivement, de manière pacifique, entre les mains d'une famille originaire du village (bactrien?) de Saman, les Samanides. En 874, le calife Al-Mu'tamid nomma l'un de ses membres, Nasr ben Ahmad, gouverneur de la Transoxiane, avec Samarcande pour résidence. La même année, Nasr installa son petit frère Ismail ben Ahmad à Boukhara, mais en 888, les deux hommes s'affrontèrent et Nasr fut vaincu. À la mort de ce dernier en 892, Ismail devint le seul maître d'un État de facto indépendant. En 900, il annexa le Khorassan. Les Samanides étaient de bons musulmans, mais ils entreprirent la désarabisation de la Transoxiane et du Khorassan. À partir de cette époque, le persan commença à supplanter le sogdien et le bactrien. Le terme Tāzīk (en moyen persan) était utilisé à l'ouest de la Perse pour désigner les Arabes. Il s'appliqua ensuite aux musulmans du Khorasan et de la Transoxiane. Aujourd'hui, prononcé tadjik, il désigne les populations de langue persane de l'Asie centrale, au Tadjikistan, au nord de l'Afghanistan, mais aussi en Ouzbékistan, où cette langue demeure très utilisée, notamment dans les grandes villes comme Samarcande ou Boukhara.

Avec l'arrivée de l'islam et du persan, c'était une nouvelle civilisation, persane et islamique, qui s'installait en Sogdiane.

Civilisation[modifier | modifier le code]

Un marchand sogdien en Chine, reconnaissable à son chapeau pointu. Figurine chinoise en céramique du VIIe siècle, dynastie Tang.

Société[modifier | modifier le code]

Selon les documents du mont Mug, elle ne semble pas avoir connu de grands changements depuis l'époque des Lettres Anciennes : on y distingue toujours trois classes. Le titre le plus élevé de l'aristocratie était celui du roi, le afshīn ou le ikhshid. Le souverain de Boukhara portait un titre spécial, Bukhār khudāt. Durant les VIIe et VIIIe siècles, les rois étaient de plus en plus élus par les nobles, ce qui limitait leur pouvoir. C'est de cette manière que le ikhshid Ghurak est monté sur le trône de Samarcande, après la chute de Tarkhan. Parmi les nobles (āzād), il y avait les dihqān. Cette classe était beaucoup plus ouverte qu'en Europe : dans la ville de Panjikand, elle ne représentait pas moins de quinze pour cent de la population. Elle comprenait les propriétaires fonciers, qui jouissaient parfois d'un pouvoir considérable et avaient des guerriers professionnels à leur disposition, les chakir. Ces derniers constituaient le noyau des armées sogdiennes. L'historien perse Narshakhi a donné cette description de la cour de Tughshada, la reine de Boukhara.[réf. nécessaire] Sa coutume était chaque jour de :

«s'asseoir sur un trône, tandis que devant elle, se tenaient des esclaves, des maîtres du sérail, c'est-à-dire des eunuques, et des nobles. Elle avait fait une obligation pour la population que chaque jour, des dihqān aux princes, deux mille jeunes, ceints de ceintures d'or et portant des épées [à l'épaule], devraient apparaître pour le service et se tenir à distance. Quand la Khatun sortait, tout le monde lui faisait obéissance pendant qu'elle effectuait des recherches sur les affaires de l'État. Elle donnait des ordres et des interdictions; elle offrait un vêtement pour honorer qui elle voulait et punissait qui elle voulait... Au soir, elle sortait de la même manière et s'asseyait sur le trône. Quelques dihqān et princes se tenaient devant elle en deux rangs, à son service jusqu'au coucher du soleil ».

Les peintures sogdiennes montrent des dihqān en train de festoyer. Les hommes portaient des ceintures d'or, où étaient accrochés de superbes épées ou poignards. Des femmes leur tenaient compagnie. Tous étaient assis ou étendus sur des tapis, avec leurs serviteurs en arrière-plan.

Par ailleurs, les Turcs exercèrent une influence sur les Sogdiens. Le plus haut titre administratif, le tudun (peut-être le chef du service civil), était d'origine turque. Il restait cependant des hauts dignitaires purement sogdiens, comme le farmandār, chargé de toutes les affaires financières et économiques, le commandant des forces armées et l'archiviste en chef, ainsi que des collecteurs de taxes. Cette administration fonctionnait de manière bureaucratique, mais efficacement et sans inégalité. Aux yeux des étrangers, les Sogdiens étaient surtout des marchands. Leur activité commerciale était indéniable et ils dominaient une grande part du commerce asiatique aux alentours du VIIe siècle, en particulier sur la route de la soie et jusque dans la Chine même. La majorité des caravansérails d'Asie centrale, notamment sur la Route de la soie, sont des établissements tenus par des Sogdiens. Aussi développé soit-il, le commerce à cette époque ne pouvait pas encore faire vivre tout un peuple, leur économie reposait donc en grande partie sur la pratique de l'agriculture. Les conditions météorologiques les contraignaient à développer des réseaux d'irrigation. Le village sogdien paraît avoir coïncidé avec le groupe agnatique.

La fabrication de soie a débuté en Sogdiane aux alentours de l'an 700. Au cours de la bataille du Talas, des artisans chinois qui savaient fabriquer du papier ont été capturés. Cela valut à Samarcande de devenir un important centre de production de papier. Les artisans et les petits commerçants vivaient dans des maisons à un étage et plusieurs pièces. Certains devaient louer des ateliers ou des boutiques.

Les esclaves étaient nombreux. Il s'agissait de personnes capturées lors des guerres, prises comme otages, vendues par leur famille ou qui s'étaient elles-mêmes placées sous la protection d'un maître.

Témoignages chinois[modifier | modifier le code]

Les annales de la dynastie chinoise des Tang donne la description suivante des coutumes sogdiennes :

« Les habitants de ces principautés aiment le vin. Ils se plaisent à danser et à chanter dans les rues. Le roi a un chapeau de feutre qu'il orne d'or et de divers joyaux. Les femmes se font un chignon: elles portent un bonnet noir auquel elles cousent des fleurs d'or. Quand elles ont accouché d'un enfant, elles lui font manger du sucre et elles lui mettent de la colle sur la main, dans le désir que lorsqu'il sera grand, il ait des paroles douces et tienne les objets précieux comme s'ils étaient adhérents à ses mains. Ces gens sont habitués à écrire en lignes horizontales. Ils excellent au commerce et aiment le gain. Dès qu'un homme a vingt ans, il s'en va dans les royaumes voisins. Partout où on peut gagner, ils sont allés. »

À la même époque, le pèlerin chinois Xuanzang a laissé ce témoignage sur Samarcande :

« Sa capitale a plus de 20 li de tour (environ 10 km), excessivement forte avec une importante population. Le pays a un grand entrepôt commercial, est très fertile, abondant en fleurs et en arbres et fournit beaucoup de beaux chevaux. Ses habitants sont des artisans habiles et énergiques. Tous les pays Hu (iraniens) considèrent ce royaume comme leur centre et se font un modèle de ses institutions. Le roi est un homme d'esprit et de courage auquel les États voisins obéissent. Il a une superbe armée où la plupart des soldats sont des chakir. Ce sont des hommes de grande valeur, qui voient en la mort un retour vers leurs parents, et contre lesquels aucun ennemi ne peut tenir au combat. »

Religion[modifier | modifier le code]

« Daênâs sogdiennes », selon le professeur Jiang Boqin, la dame à droite est la déesse Nanā, ou Nanai.

D'une manière générale, en ce qui concerne la religion, les Sogdiens ont été assez perméables aux influences extérieures. Dans leurs textes, on trouve les noms de vieilles divinités iraniennes. Leurs noms sont donnés en transcription gréco-latine de l'écriture sogdienne, qui ignorait les voyelles:

  • Verethragna (wsγn), dieu guerrier semblable à Indra. L'un des principaux dieux iraniens ; il est appelé "Orlagno" par les Bactriens, "Varlagn" par les Saces, "Arlagn" par les Chorasmiens (au Khwarezm).
  • Druvāspa (δrw'sp), la « Maîtresse des chevaux bien portants », présente dans l'Avesta, elle est appelée "Lrooaspo" par les Bactriens.
  • Haoma (γwm), la plante d'immortalité des Iraniens, qui est divinisée.
  • Khvarnah (en) (prn), entité multiforme, lumineuse, assimilée à un feu, que tout roi iranien doit posséder.

La plus importante divinité féminine était Nanai, qui possédait quatre bras et s'asseyait sur un lion. Ahura Mazdā (Xwrmzt'βγ), le dieu théoriquement unique du zoroastrisme, était très rarement mentionné, mais les Sogdiens connaissaient son fondateur, Zoroastre (Zrwsc). Ils adhéraient à un courant de cette religion qui plaçait Zervan (zrw), le Temps, en tête du panthéon. Il était considéré comme le père d'Ahura Mazdā (ou Ohrmazd) et de son ennemi Angra Mainyu (ou Ahriman) : l'Esprit du Mal. Les noms des six Amesha Spenta, divinités auxiliaires d'Ahura Mazdā selon la philosophie de Zoroastre, étaient utilisés comme noms personnels.

De même que les Sogdiens n'ont jamais créé d'État unifié, ils n'ont jamais donné d'autorité centrale à leur religion. C'est une différence essentielle avec le zoroastrisme tel qu'il était pratiqué dans la Perse des Sassanides. La religion sogdienne était une affaire individuelle. Chaque famille et chaque communauté avait ses propres patrons. Des autels étaient aménagés dans chaque maison. Les Arabes ont mentionné des « temples du feu » très richement décorés et des idoles en or et en argent, parfois de grande taille. La pratique zoroastrienne de décharnement des cadavres est attestée au moins jusqu'au Ve siècle. En contact avec tous les pays de l'Asie, les Sogdiens connaissaient bien sûr les divinités indiennes. Ils s'inspiraient de l'iconographie indienne pour représenter leurs propres dieux. Zurvan était ainsi représenté sous la forme de Brahma.

Le bouddhisme est arrivé en Chine en passant par la Sogdiane. Mais s'il est resté présent sur ce territoire, il y a toujours occupé une place marginale. On connaît un Sogdien qui s'est converti au bouddhisme au Viêt Nam, alors appelé le Giao-Chi, au IIIe siècle. Il était le fils de négociants qui s'étaient installés dans ce pays. Il arriva à Nankin en 247 afin de convertir le roi Sun Quan et il y mourut en 280 après avoir traduit de nombreux livres sanskrits en chinois. Son nom, prononcé à la manière chinoise, est Kang Senghui (康僧會 / 康僧会, Kāng Sēnghuì ; vietnamien : Khương Tăng Hội).

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Svetlana Gorshenina et Claude Rapin, De Kaboul à Samarcande : Les archéologues en Asie centrale, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard / Archéologie » (no 411), , 160 p. (ISBN 978-2-070-76166-1), p. 104.
  2. E. de la Vaissière, Histoire des marchands sogdiens, Paris, 2004
  3. « La Bactriane de l'hellénisme au bouddhisme » in : Dossiers d'archéologie n° 211, Dijon, octobre 1996.
  4. Paul Bernard, (en) « The Seleucids in Central Asia », in : János Harmatta (dir.), History of civilizations of Central Asia, vol. 2 : The development of sedentary and nomadic civilizations: 700 B.C. to A.D. 250, éditions de l'UNESCO, 1996, pp. 88-97.
  5. E. de la Vaissière, Histoire des marchands sogdiens, Paris, 2016
  6. Frantz Grenet, « Recentrer l'Asie centrale (Discours inaugural au Collège de France) », 40 leçons inaugurales, sur France Culture, (consulté le ), durée 58 min, moment: 53:50. Idem sur le site du Collège

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Etienne de La Vaissière, Histoire des marchands sogdiens, Paris, Paris, Institut des hautes études chinoises, (1re éd. 2002), 377 p., 25 cm (ISBN 978-2-85757-075-2), éd. revue et augmentée.
  • Cécile Beurdeley, Sur les routes de la Soie : le grand voyage des objets d'art, Paris, Seuil, , 223 p. (ISBN 2-02-008663-8)
  • Mario Bussagli (trad. Isabelle Robinet), La peinture de l'Asie centrale : de l'Afghanistan au Sinkiang, Genève : Skira ; Paris : Flammarion, (1re éd. 1963), 135 p., 28 cm, « Pajandzikent et le rayonnement de la Sogdiane », p. 43-51
  • Richard Foltz, Les Religions de la Route de la soie, Montréal, 2020 (ISBN 9781988111018)
  • Louis Hambis, Monique Maillard, Krishna Riboud, Simone Gaulier, Robert Jera-Bezard et Laure Feugère, L'Asie centrale, histoire et civilisation, Paris, Imprimerie nationale, , 271 p., 33 cm, avec ill. et cartes dépl. en coul.
  • Susan Whitfield (dir.), La Route de la soie : Un voyage à travers la vie et la mort, Bruxelles, Bruxelles : Fonds Mercator : Europalia international, , 206 p., 28 cm (ISBN 978-90-6153-892-9)

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Liens externes[modifier | modifier le code]