Sirène (mythologie grecque)

Sirène
Description de cette image, également commentée ci-après
Ulysse et les sirènes, stamnos attique à figures rouges, v. , British Museum
Créature
Nom grec ancien Σειρήν
Groupe Créature de la mythologie grecque
Origines
Origines Mythologie grecque
Région Méditerranée

Œuvres principales

Dans la mythologie grecque, les sirènes (en grec ancien : Σειρήν (Seirḗn)[1], en latin : Sīrēn) sont des créatures fantastiques marines. Elles sont souvent dépeintes comme des chimères mi-femmes mi-oiseaux, à la différence des sirènes nordiques, créatures mi-femmes mi-poissons.

Étymologie[modifier | modifier le code]

Les dictionnaires étymologiques standards du grec mentionnent deux étymologies possibles pour le mot σειρήν « sirène » : une relation soit avec τεριος « corde », ou avec Σείριος Sirius, « l'étoile du chien ». Pour Eugenio Luján et Juan-Pablo Vita, ni l’une ni l’autre ne sont très convaincantes sur le plan sémantique et morphologique. Le mot mycénien se-re-mo- montre que le lexème était à l'origine un radical m. Or, la rareté des radicaux en m en grec et en indo-européen et la présence d'un s initial qui n'est pas devenu un point d'aspiration semblent indiquer une origine non indo-européenne du mot. Dans le passé, certains érudits ont proposé qu'il devait s'agir d'un emprunt sémitique lié à la racine de l'hébreu šîr « chanter », mais ces explications souffrent de certains défauts de détail. Pendant ce temps, l'ougaritique šrm, un duel ou pluriel du mot šr « chanteur », semble, selon ces chercheurs, être un bon candidat comme source du Gr. σειρήν. Cette hypothèse convient également au contexte culturel et chronologique dans lequel les locuteurs du grec au IIe millénaire av. J.-C. sont censés avoir adopté le mot[2].

Mythes[modifier | modifier le code]

Vase à parfum archaïque en forme de sirène, env.

Musiciennes dotées d’un talent exceptionnel, les sirènes séduisaient les navigateurs qui, attirés par les accents magiques de leur chant, de leurs lyres et flûtes, perdaient le sens de l’orientation, fracassant leurs bateaux sur les récifs où ils étaient dévorés par ces enchanteresses. Elles sont décrites au chant XII de l’Odyssée comme couchées dans l’herbe au bord du rivage entourées par les « amas d’ossements et les chairs desséchées des hommes qu’elles ont fait périr »[3].

Statue funéraire d'une sirène en marbre pentélique. Œuvre de Musée archéologique national, Athènes.

L’origine des sirènes n’est pas claire. Selon la mythologie, elles seraient les filles du fleuve Achéloos et de Calliope ou Melpomène. Les Romains racontent d’ailleurs que les sirènes étaient à l’origine des femmes normales, elles auraient été les compagnes de Coré, devenue par la suite « Perséphone », et auraient laissé Hadès l’emmener aux Enfers. Les sirènes auraient reçu leur forme comme punition pour ce crime et, par la suite, les sirènes, chantaient prophéties et chansons relatives au royaume d’Hadès[4]. Euripide évoque dans Hélène[5] le caractère funéraire des sirènes ce que confirment les représentations de sirènes sur des stèles funéraires[6]. Mais certains mythes disent que les sirènes proviennent de la première Lamia qui, amante de Zeus, reçut la malédiction d'Héra et elle eut un corps de poisson (la conclusion du corps de serpent est fausse)[pas clair].

Une autre explication de leur métamorphose en attribue la cause à la colère d’Aphrodite. La déesse de l’Amour les affubla de pattes et de plumes tout en conservant leur visage de jeunes filles parce qu’elles avaient refusé de donner leur virginité à un dieu ou à un mortel[7].

Ces divinités d’origine fluviale[réf. nécessaire] étaient très fières de leur voix et défièrent les Muses, les neuf filles de Zeus et de Mnémosyne. Les Muses remportèrent le défi et exigèrent une couronne faite des plumes de sirènes, ce qui les priva du don de voler[8]. Vaincues, elles se retirèrent sur les côtes d’Italie méridionale.

Elles interviennent dans l’histoire des Argonautes, rapportée par Apollonios de Rhodes[9]. Alors que l’Argo s’approchait de leurs rochers, Orphée triompha d’elles par la beauté de son chant. Seul l’un des marins, Boutès préféra la mélodie des sirènes à celle du fils de Calliope. Il se jeta dans la mer pour rejoindre les enchanteresses, mais fut sauvé par Aphrodite.

De même, Ulysse et ses compagnons parvinrent à résister à leur pouvoir de séduction. Après avoir été mis en garde par Circé, Ulysse fit en effet couler de la cire dans les oreilles de ses marins pour qu’ils ne puissent pas entendre les sirènes tandis que lui-même se faisait attacher au mât du navire, et quand il demandait à ses marins de le détacher ils devaient serrer les liens encore plus fort. Ainsi Ulysse put écouter leur chant sans se précipiter vers elles malgré la tentation. À la suite de cela, les sirènes se seraient suicidées de dépit en se jetant dans la mer du haut de leur rocher[10].

Nombre et noms des sirènes[modifier | modifier le code]

Sirène sur une stèle funéraire grecque, vers

Les sources divergent au sujet de leur nombre et de leurs noms[11]. Il n’est pas mentionné chez Homère. Toutefois une scholie à l’Odyssée[12] fait remarquer qu’Homère utilise à plusieurs occasions le duel, ce qui sous-entend qu’il y aurait deux sirènes[13]. Il précise qu’il existe quatre sirènes dont il donne les noms, Aglaophème (Ἀγλαοφήμη / Aglaophḗmē, « celle à la réputation brillante »), Thelxiépie (Θελξιέπεια / Thelxiépeia, « celle qui méduse par le chant épique »), Pisinoé (Πεισινόη / Peisinóē, « celle qui persuade ») et Ligie (Λιγεία / Ligeía, « celle au cri perçant »). Pour Apollodore, les sirènes sont trois et s’appellent Pisinoé, Aglaopé, Thelxiépie[14]. D’autres noms sont donnés dans les sources ; ils font toujours référence au pouvoir des sirènes : Aglaophonos (Ἀγλαοφώνος / Aglaophṓnos, « celle qui a une belle voix »), Aglaopé (Ἀγλαόπη / Aglaópē, « celle au beau visage »), Thelxinoé (Θελξινόη / Thelxinóē, « celle qui enchante ») ; Thelxiope (Θελξιόπη / Thelxiópē, « celle qui méduse par la parole »), Molpé (Μόλπη / Mólpē, « la musicienne »)[15], Raidné (« l’amie du progrès »), Télès (« la parfaite »). Une autre tradition suivie par Apollonios de Rhodes, Lycophron ou Strabon considère que les sirènes sont trois et ont pour noms : Leucosie (Λευκωσία / Leukōsía, « la blanche créature »), Ligie et Parthénope (Παρθενόπη / Parthenópē, « celle qui a un visage de jeune fille »). Traditionnellement, elles sont trois : l'une joue de la lyre, une autre de la flûte et la troisième chante[16].

Le grammairien et poète byzantin Jean Tzétzès indique au XIIe siècle indique qu'il existe trois sirènes, filles du dieu fleuve Achéloos et de la muse Terpsichore : soit Leucosie, Ligie et Parthenope, soit Aglaonoe, Aglaophème et Thelxiepeia[17].

Généalogie des sirènes[modifier | modifier le code]

Apollodore classe les sirènes en tant que fille d'Achéloos (ainsi appelées Achéloïdes) qu'il a eu avec Stérope ou Melpomène. D'autres auteurs racontent que leur mère est Calliope (Servius) ou bien Gaïa (Euripide). Enfin, Plutarque les cite en tant que filles de Phorcys et de Kéto.

Localisation géographique[modifier | modifier le code]

Dès l’Antiquité, le débat fut vif concernant la localisation des épisodes homériques. Selon les Grecs, les sirènes vivaient sur une ou plusieurs petites îles vertes situées à l’ouest de la Sicile : Anthemusa (en) et les îles des Sirènes (selon les Siciliens, près du cap Peloro, aujourd’hui Faros, tandis que les Latins les situent à Capri), se montrant particulièrement redoutables à l’heure de la sieste, par temps calme. Strabon rapporte que le tombeau de la sirène Parthénope se trouvait à Néapolis[18]. Leucosie aurait donné selon le même auteur son nom à l’île d’où elle s’était jetée dans la mer[19]. Le sanctuaire de Ligie se trouvait sur la côte tyrrhénienne de la Calabre, dans l’ancienne ville Terina, l’actuelle Lamezia Terme. Un rocher à triple pointe séparant le golfe de Cumes du golfe de Poséidonie s’appelait alors Sirènes. Victor Bérard, un helléniste français, fait des îles Galli le lieu de rencontre entre Ulysse et les sirènes.

Représentations[modifier | modifier le code]

Homère, dans l’Odyssée, ne fait aucune allusion explicite à des femmes-oiseaux ; son texte semble même suggérer des femmes normales se tenant au bord de la mer. Les auteurs plus tardifs parlent de créatures ayant le haut du corps de femmes et le bas du corps d’oiseaux, mais ne s’accordent pas sur la proportion[20]. Ovide dans les Métamorphoses évoque des créatures ailées moitié oiseaux moitié jeunes filles, sans plus de détails[21]. La nature hybride de la sirène, mi-femme, mi-oiseau, est expliquée par la mythologie comme une punition qui les relie au monde infernal. Sur les monuments funéraires, elles figuraient des divinités léthifères chantant au son de la lyre et laissant supposer des intentions érotiques à l’égard du héros décédé[réf. nécessaire].

Il reste quelques vases grecs qui racontent les aventures d’Ulysse : sur ceux qui sont antérieurs au IIIe siècle av. J.-C., les sirènes apparaissent comme des oiseaux à tête de femme. Par la suite, elles acquièrent des bras, puis une poitrine humaine, attributs peut-être seulement esthétiques, même s’ils constituent des éléments supplémentaires de séduction, puisque les sirènes sont désormais représentées jouant d’un instrument, flûte ou cithare. Ainsi, elles s’humanisent au cours de l’Antiquité pour devenir des femmes ailées chez les Romains et les Étrusques, comme en témoigne la mosaïque représentant le bateau d’Ulysse, trouvée à Dougga.

Réinterprétations philosophiques[modifier | modifier le code]

La Sirène, huile sur toile d'Armand Point, 1897

Au Moyen Âge, l'archevêque Eustathe, et à la Renaissance, Rabelais, par exemple, déclaraient qu'il ne fallait pas s'arrêter au sens apparent du chant des Sirènes, mais « à plus haut sens interpréter »[22] : « De quel type serait ce chant savant des Sirènes, capable de charmer le philosophe[23] ? »

Depuis l'Antiquité, on associait ce chant le plus souvent à la sensualité : « Dans ce mythe, on parle des secrets de la philosophie. Par les Sirènes, à mon avis, le poème représente les plaisirs honteux[24]. » Et : « Tous les autres interprètes voient dans les Sirènes les plaisirs subjuguant les hommes[25]. »

C'est aussi ce que pense, plus récemment, le philosophe d'Hooghvorst : « Ce sont des voix de soprano, sans la gravité d'un baryton. […] Le chant des Sirènes est comme ce rêve auquel succombent les âmes en descendant s'incarner dans ce monde de la corruption. C'est comme une tromperie sur la nature du corps[26]. »

Réécritures modernes du mythe[modifier | modifier le code]

Guillaume Apollinaire dans « Lul de Faltenin », un des poèmes les plus obscurs d’Alcools[27], évoque les sirènes : « Sirènes j’ai rampé vers vos / Grottes tiriez aux mers la langue / En dansant devant leurs chevaux / puis battiez de vos ailes d’anges / Et j’écoutais vos chœurs rivaux » ; « Sirènes enfin je descends / Dans une grotte avide J’aime / Vos yeux Les degrés sont glissants / Au loin que vous devenez naines / N’attirez plus aucun passant ». Selon certaines interprétations ce poème serait une allégorie érotique : « le nom "Lul" désigne en wallon le sexe masculin, tandis que "Faltenin" dériverait de phallum tenens ("tenant le phallus") ; les "grottes" des sirènes ont une résonance sexuelle manifeste[27] » ; cependant il est difficile au lecteur de savoir si Lul est vaincu par les sirènes, ou s'il préserve sa chasteté[27].

Franz Kafka a composé une nouvelle en 1917 intitulée Le Silence des Sirènes, dans laquelle il imagine que les sirènes se sont tues au passage d'Ulysse. Selon le psychanalyste Hervé Bentata, dans cette nouvelle, « Ulysse a cru entendre leur chant, il a cru entendre ce qu’il craignait d’entendre, c’est-à-dire l’objet de son désir[28]. »

James Joyce, dans Ulysse, représente au chapitre 11, intitulé « Sirens », deux barmaids qui tentent leurs clients, Miss Douce et Miss Kennedy ; « l’ambiance générale du bar, l’alcool, le nationalisme, participent ensemble à entraîner les gens dans une danse macabre de séduction, de désir et de jouissance[29]. »

Sources antiques[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Sans étymologie sûre d'après Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1999 (édition mise à jour), 1447 p. (ISBN 978-2-25203-277-0).
  2. (en) Eugenio Luján et Juan-Pablo Vita, The etymology of Greek σειρήν revisited, Glotta, Bd. 94, 2018, pp. 234-242
  3. Homère, Odyssée [détail des éditions] [lire en ligne], XII, 50 et suiv.
  4. . Cette tradition est évoquée notamment par Hygin, Fables [détail des éditions] [(la) lire en ligne], CXLI et par Ovide, Métamorphoses [détail des éditions] [lire en ligne], V, v. 552–564.
  5. Euripide, Hélène [détail des éditions] [lire en ligne], 164–179.
  6. On voit par exemple une sirène funéraire portant une âme sur un bas-relief du tombeau de Kybernis venant de l’acropole de Xanthe en Lycie exposé au Brtish Museum de Londres.
  7. . Cette tradition est rapportée par le scholiaste V à l’Odyssée (XII, 39).
  8. Pausanias, Description de la Grèce [détail des éditions] [lire en ligne], IX, 34, 3.
  9. Apollonios de Rhodes, Argonautiques [détail des éditions] [lire en ligne], IV, 885-919 que complète le poème des Argonautiques orphiques.
  10. . Le thème du suicide des sirènes est aussi parfois relié à Orphée. Il est représenté dès le Ve siècle sur des vases et est évoqué dans le poème Alexandra de Lycophron qui date du IIIe siècle, par Hygin, Fables [détail des éditions] [(la) lire en ligne], CXLI et par Strabon, Géographie [détail des éditions] [lire en ligne], VI, 1.
  11. Sur cette question Marcello Carastro, La Cité des mages. Penser la magie en Grèce ancienne, Grenoble, Jérôme Millon, p. 115–118 ;J. Bérard et A.-C. Blanc, « La Plage des sirènes dans l'Odyssée et la “Casa delle Ossa” du cap Palinuro », Mélanges d'archéologie et d'histoire, vol. 66,‎ , p. 7–12 ; (it) L. Breglia Pulci Doria, « Le sirene: il canto, la morte, la polis », Annali dell' Istituto Orientale di Napoli, vol. IX,‎ , p. 65–98
  12. Scholiaste V à l’Odyssée, XII, 39.
  13. Il utilise le duel aux vers 52 et 167 du chant XII. À d’autres moments, par exemple aux vers 39 ou 158, il utilise le pluriel pour les désigner, ce qui ne veut pas forcément dire que leur nombre est supérieur à deux.
  14. Apollodore, Épitome [détail des éditions] [lire en ligne], VII, 18-19.
  15. Pour Molpé voir scholie à Apollonios de Rhodes, Argonautiques [détail des éditions] [lire en ligne] (IV, 892) et Hygin, Fables (Préface XXX) — qui cite Thelxiepe, Molpé et Pisinoé.
  16. Par exemple chez Apollodore (Épitome, VII, 18-19) ou dans les représentations artistiques, comme sur une œnochoé attique à figures noires de la collection privée Callimanopoulos (New York, reproduite sur le site Theoi.com) ou sur une mosaïque d'Ulysse et les sirènes conservée au musée du Bardo de Tunis (voir la reproduction sur Wikimedia Commons).
  17. (en) Jean Tzétzès (trad. du grec ancien par Konstantinos Ramiotis), Chiliades [« Livre d'histoires »] (lire en ligne), livre VI, 40.
  18. Strabon, VI, 7.
  19. Strabon, VI, 1.
  20. Souvent non précisé. Tête de femme sur corps d’oiseau comme chez Apollodore (Épitomé VII, 19) et chez Hygin (Fables, 125) ou corps de femme sur pattes d’oiseau.
  21. Métamorphoses, V, 550.
  22. F. Rabelais, Gargantua, « Prologue »
  23. Eustathe cité dans : H. van Kasteel, Questions homériques, Physique et Métaphysique chez Homère, Grez-Doiceau, , LXXXVIII + 1198 (ISBN 978-2-9600575-6-0), p. XXVIII
  24. Théophylacte, « Lettres », 82, cité dans : H. van Kasteel, Questions homériques, p. 628.
  25. Jean Tzétzès, « Chiliades », I, 14, 344-347, cité dans : H. van Kasteel, Questions homériques, p. 628.
  26. E. d'Hooghvorst, « Le Fil de Pénélope », VII, cité dans : H. van Kasteel, Questions homériques, pp. 1051 et 1052.
  27. a b et c Alexander Dickow (Virginia Tech), « Lul de Faltenin : Guillaume Mallarmé et Stéphane Apollinaire », sur Fabula, colloques en ligne.
  28. Hervé Bentata, « La Voix de Sirène : D'une incarnation mythique de la voix maternelle », dans Essaim, Érès, coll. « 2011/1 » (no 26), 2001–2023 (DOI 10.3917/ess.026.0063, lire en ligne), p. 63–73
  29. Mary McLoughlin, « Joyce et les sirène », dans Essaim, Érès, coll. « 2011/1 » (no 9), 2001–2023 (DOI 10.3917/ess.009.0183, lire en ligne), p. 183–192

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Article connexe[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]