Rentrée atmosphérique des météorites

La rentrée[a] atmosphérique des météorites est l'ensemble des phénomènes physiques et pétrologiques se déroulant depuis les premiers contacts d'un météoroïde avec l'atmosphère terrestre jusqu'à son impact avec le sol, où ce qu'il en reste est un objet d'origine extraterrestre appelé météorite. Les météoroïdes entrent dans l'atmosphère à vitesse élevée (de plusieurs km/s à plusieurs dizaines), sous des angles d'incidence (relatifs à la verticale locale) variant de 0 à 90 degrés et avec des vitesses de rotation très variables.

Les objets et leur cinétique à la rentrée[modifier | modifier le code]

Dimensions[modifier | modifier le code]

Il s'agit d'objets de taille très variable, du micromètre à quelques centaines de mètres. Pour les plus gros objets la forme, qui intervient dans la rentrée, est généralement régulière mais très variable.

Nature[modifier | modifier le code]

Ils sont constitués de matériaux ferreux (~8 000 kg/m3), rocheux (3 0004 000 kg/m3) ou mixtes pour les objets issus d'astéroïdes ou d'impacts sur une surface planétaire, et de 200 à 1 500 kg/m3 pour les comètes[1].

Vitesses cinématiques, angles d'entrée et vitesses de rotation[modifier | modifier le code]

Vitesses de météores (European Fireball Network)[2]
Distribution angulaire des météores (mesures MSSWG sur le site International Meteor Organization[3]

Les vitesses pour des corps issus du système solaire sont comprises entre 11[b] et 72 km/s. Cette valeur maximale correspond à un hypothétique choc entre la Terre sur son orbite (environ 30 km s−1) et un objet sur une orbite rétrograde (environ 42 km s−1, vitesse de libération du système solaire). Les corps les plus importants (énergie supérieure à 0.4 MJ), issus de la ceinture d'astéroïdes ou d'impacts sur la Lune ou Mars, ont une vitesse excédant rarement 30 km s−1 avec un maximum de probabilité vers 16 km s−1[4].

La vitesse relative des objets en provenance d'autres systèmes n'est pas limitée a priori. Toutefois on ne connaît pas d'exemple de la rentrée de tels corps[5].

Les angles sont approximativement décrits par une distribution en cosinus carré calculable en considérant que la Terre intercepte un flux d'objets distribués aléatoirement. Les mesures valident approximativement cette hypothèse.

La vitesse de rotation des grands corps, les seuls pour lesquels ce paramètre a de l'intérêt, peut varier de zéro à une fraction de tour par minute.

La forme et la vitesse de rotation, a priori inconnus, sont laissés de côté et les objets supposés sphériques pour la modélisation. Il faut noter que pour les plus gros ces paramètres jouent sur la vitesse au cours de la rentrée par la variation de traînée et pour les phénomènes thermomécaniques qui peuvent entraîner la dislocation de l'objet[6].

La possibilité d'une modification de la trajectoire due à une portance d'équilibre est improbable mais pas impossible. Il semble que de telles trajectoires aient été observées[7].

Leur devenir à la rentrée[modifier | modifier le code]

Ces objets sont freinés de manière très variable :

  • les plus petits sont très vite freinés mais leur vitesse généralement élevée permet leur disparition rapide par ablation ;
  • les plus gros sont à peine affectés par l'atmosphère ;
  • entre les deux les objets de taille métrique sont freinés, ils arrivent jusqu'au sol entiers ou sous forme de débris pouvant atteindre une grande taille.

Les mécanismes de dégradation décrits ci-dessous excluent toute explosion, terme employé de façon récurrente, sans doute lié au fait qu'un observateur au sol voit un (ou plusieurs) phénomènes d'augmentation de la luminosité suivi d'une onde de choc (ou de plusieurs ondes très rapprochées). Cette onde existe même en l'absence de fragmentation.

L'écoulement autour du corps[modifier | modifier le code]

Parts relatives de la convection et du rayonnement pour un choc radiatif.
Écoulement radiatif : choc libre[8].

Aux vitesses supérieures à 10 km/s le rayonnement joue un rôle important dans l'écoulement, ceci étant fonction de la taille de l'objet : plus celui-ci est petit, plus le rayonnement est important. Typiquement pour une sphère de 1 m de rayon le rayonnement est prépondérant dès 9,8 km/s à une altitude de 40 km et 11,4 km/s à 60 km.

L'écoulement est complexe. Si on considère l'avant de l'objet il comporte :

  • une zone de préchauffage (précurseur radiatif) lié à l'absorption par l'oxygène du rayonnement ultraviolet émis en aval ;
  • un choc plus ou moins épais (quelques libres parcours moyens, ce qui peut représenter une valeur non négligeable aux hautes altitudes) mais correspondant à des sauts des diverses quantités donnés par les relations de Rankine-Hugoniot, sauf pour les électrons, et à condition de prendre en compte les quantités dans le précurseur ;
  • une zone de thermalisation due à la décroissance des effets radiatifs dans laquelle les diverses températures (translation et rotation, vibration des molécules, électronique et radiative) s'équilibrent, pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers de degrés, voire dépasser 100 000 K ;
  • une région d'écoulement « classique » descriptible par une température unique, fortement ionisé.
  • une couche limite épaissie par les espèces injectées par ablation, lesquelles jouent un rôle dans le rayonnement en émettant et absorbant. Le bilan énergétique radiatif de ces espèces peut être variable d'un cas à l'autre.

Le descriptif ci-dessus ne s'applique pas aux plus petits objets dont la taille est du même ordre de grandeur que le libre parcours moyen du gaz. L'aérodynamique de ce cas relève des gaz raréfiés[9],[10] ainsi que l'ablation[1].

Effets sur l'objet[modifier | modifier le code]

Effets aérodynamiques[modifier | modifier le code]

L'objet Itokawa dans une hypothétique rentrée : pressions (bar) et flux de chaleur (unités SI)[11].

L'objet peut être stable ou non, avoir une portance d'équilibre ou non, sa rotation empêche la possibilité d'une déviation continue dans un plan donné. Il ne peut donc y avoir « rebond » sur l'atmosphère. On parle parfois de rebond apparent pour un bolide rasant dont l'altitude décroît puis réaugmente, ceci étant lié à la rotondité de la Terre. En réalité les lois de la mécanique céleste montrent que la courbure de trajectoire est toujours dirigée vers le centre de la Terre et augmente avec le freinage.

Effets mécaniques, fragmentation[modifier | modifier le code]

Les premiers effets liés au chauffage de la surface avant que ne commence l'ablation est l'apparition de contraintes mécaniques superficielles, en particulier les contraintes en cisaillement qui peuvent conduire à la fissuration puis la fragmentation. Leur prévision est extrêmement difficile car elles dépendent de la géométrie et de l'attitude, de l'existence ou non d'hétérogénéités en plus de la composition. De plus il est difficile de connaître les caractéristiques des matériaux aux températures atteintes : quelques milliers de degrés.

La fragmentation provoque l'apparition d'objets de tailles différentes et donc plus ou moins freinés par l'atmosphère. Un freinage plus important entraîne une courbure vers le sol de la trajectoire plus importante. Ce phénomène et les perturbations liées à la fragmentation elle-même ainsi qu'aux aléas de trajectoire crée une zone de retombée d'allure elliptique, les plus gros fragments ayant la portée la plus grande.

Ablation[modifier | modifier le code]

Flux d'ablation ramené aux échanges dans la couche limite pour une chondrite.

L'ablation recouvre l'ensemble des phénomènes physico-chimiques en surface ou à faible profondeur, et les échanges convectifs ou diffusifs dans la couche limite, entraînant la disparition de matière superficielle. Des espèces sont formées par réaction chimique avec l'oxygène et l'azote atmosphériques ou par changement de phase.

Passé le début de rentrée le phénomène d'ablation est quasi-stationnaire : le profil de température interne se déplace avec la paroi, identique à lui-même. Ceci permet de définir un caractère fondamental du phénomène : il est régi par le seul bilan énergétique et c'est ce bilan qui fixe la température de paroi. Les réactions ayant tendance à s'emballer en température, la température de « fonctionnement » est, pour une pression donnée, caractéristique du matériau et peu des conditions externes. Cette température atteint 3 000 à plus de 4 000 K et l'épaisseur chauffée ne dépasse pas quelques dizaines de centimètres. Ceci est à l'origine de la fragmentation de la plupart des météorites, les pressions exercées - quelques centaines de bars tout de même - ne jouant pas de rôle. Une autre conséquence de cette phénoménologie est que le débit massique d'ablation est approximativement proportionnel au flux de chaleur incident.

La part du flux de chaleur entrant dans le matériau représente environ 10 à 20 % du flux de convection calculé sur une hypothétique paroi froide et inerte[12], l'essentiel de l'énergie étant réémise sous forme radiative et absorbée par les réactions physico-chimiques, endothermiques aux températures de fonctionnement. L'énergie transférée sous forme convective n'est elle-même qu'une petite partie de la perte d'énergie cinétique de l'objet sur sa trajectoire, de l'ordre de 10 %[13], l'essentiel servant à chauffer l'atmosphère environnante.

À titre indicatif des calculs détaillés effectués pour des objets de taille supérieure au centimètre et des vitesses inférieures à 20 km/s les flux de chaleur maximaux sont atteints vers 30–40 km d'altitude et peuvent atteindre plusieurs centaines de MW/m2, induisant des flux de perte de masse de plusieurs centaines de kg/m2/s[14].

Cette phénoménologie a pour conséquence le fait que l'intérieur d'un objet de taille importante conserve sa température initiale, inférieure à 180 K (valeur d'équilibre pour un objet situé à la même distance du soleil que la Terre). Pour un objet de taille décamétrique, la partie chauffée ne représente que quelques pour-cents du volume.

Présence d'une phase liquide[modifier | modifier le code]

La météorite de Peekskill et sa surface de silice et magnésie figée.

On peut voir apparaître une phase liquide sur la surface. Par exemple dans le cas d'un silicate de type forstérite présent dans les chondrites on a un mélange de et liquides formés de la façon suivante[15] :

Ces derniers produits pourront eux-mêmes être partiellement vaporisés et former de nouvelles espèces comme .

Le liquideformé migre vers l'arrière le long de la surface sous l'effet du cisaillement aérodynamique, et s'accumule dans les zones froides à l'arrière quand elles existent (quand le corps possède une incidence d'équilibre stable)[12],[16]. Le liquide est partie prenante du phénomène d'ablation, qui dans ce cas est un phénomène non local[12].

Morphogenèse[modifier | modifier le code]

Gouges.

Il peut apparaître des motifs surfaciques tels que regmaglyptes, cannelures ou gouges. Ils peuvent résulter d'hétérogénéités mais également avoir pour origine un mécanisme de réaction-diffusion. C'est le cas des gouges, caractéristiques d'un écoulement turbulent, qui dérivent à la surface en même temps que celle-ci s'ablate[17]. Ce liquide est partie prenante du phénomène d'ablation qui dans ce cas est un phénomène non local[12].

Observations, effets[modifier | modifier le code]

Le rayonnement du météore[modifier | modifier le code]

Traînée verte (Mg) et rouge (Ca) d'une perséide.

Le rayonnement du météorite provient de trois régions[18] :

  • la surface de l'objet : son émission constitue la partie continue du spectre mais ne représente qu'un faible pourcentage de l'énergie totale émise ;
  • la partie située autour de l'objet où l'air est chauffé à plusieurs milliers ou dizaines de milliers de kelvins : le spectre du rayonnement transmis s'étend du proche ultraviolet jusqu'au visible (les raies UV plus énergétiques étant absorbés par l'air froid) ;
  • le sillage : bien que beaucoup plus froid (température inférieure à 2 000 K) sa partie active s'étend sur une longueur d'une centaine de fois la taille de l'objet. De plus les produits d'ablation injectés s'ionisent facilement et émettent un très important rayonnement de recombinaison identifiable par leur spectre. Leur contribution à l'énergie totale émise est du même ordre de grandeur que celle de l'air, voire supérieure. Il est probable que le flash lumineux accompagnant la fracturation (improprement baptisée explosion) d'une météorite soit le résultat d'une injection importante de matière sous forme divisée dans le sillage.

Détection depuis le sol[modifier | modifier le code]

Un réseau international (FRIPON, Fireball Recovery and InterPlanetary Observation Network) a été créé pour détecter les traces de rentrée de bolides à l'aide de caméras optiques dotées d'un calculateur permettant l'identification du signal[5]. La triangulation permet de situer la zone d'impact des météorites et, dans certains cas, la récupération de fragments.

Ce système est associé à une détection par le système radar GRAVES (Grand Réseau Adapté à la VEille Spatiale) ainsi qu'à des récepteurs spécifiques permettant la détection du signal émis par GRAVES et diffusé par le bolide.

Pour des raisons d'opportunité, les mesures spectroscopiques d'un objet rentrant concernent généralement les sondes spatiales et sont embarquées sur avion[19]. L'observation de météores est rare et faite depuis le sol[20].

Diffusion des ondes radio[modifier | modifier le code]

L'ionisation du sillage du bolide permet d'augmenter brièvement et localement les propriétés de transmission de l'ionosphère (« meteor scatter ») dans la couche de Kennelly–Heaviside[21] et d'effectuer une liaison par météore (en) trans-horizon dans la bande VHF[22].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. On devrait dire entrée parce qu'il s'agit du premier contact de ces objets avec l'atmosphère, mais rentrée est plus usuel dans ce contexte.
  2. Il s'agit de la vitesse de libération d'un corps à partir de la terre, hors atmosphère. La trajectoire de ce corps peut être inversée, conduisant au même chiffre pour la vitesse de rentrée.

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b (en) Gianpiero Colonna, Mario Capitelli, Annarita Laricchiuta, Eds., Hypersonic Meteorid Entry Physics, IOP Series in Plasma Physics,
  2. (en) J. Borovicka and al., « Data on 824 fireballs observed by the digital cameras of the European Fireball Network in 2017–2018 I- Description of the network, data reduction procedures, and the catalog », Astronomy and Astrophysics, vol. 667,‎
  3. (en) « IMO Online Database », sur International Meteor Organization
  4. (en) E. Drolshagen, D. Koschny, A. K. Schmidt et B. Poppe, « Velocity distribution of larger meteorids and small astertoids impacting Earth », Planetary and Space Science, vol. 184,‎
  5. a et b (en) Collectif, « FRIPON: a worldwide network to track incoming meteoroids », Astronomy & Astrophysics, no 644,‎ (lire en ligne)
  6. (en) Georges Duffa, Meteors entry phenomenology and modeling, Hypersonic Meteoroid Entry Physics (HyMEP) Course Ettore Majorana Centre, Erice (lire en ligne)
  7. « L'observation visuelle des météorites », sur Luxorion
  8. (en) Ya. B. Zel'dovich et Yu. P. Raizer, Physics of Shock Waves and High-Temperature Hydrodynamic Phenomena, Academic Press,
  9. (en) C. Baranger, Y. Dauvois, G. Marois, J. Mathé et L. Mieussens, « A BGK model for high temperature rarefied gas flows », European Journal of Mechanics - B/Fluids, no 80,‎ , p. 1-12 (lire en ligne)
  10. (en) Y. Dauvois, J. Mathiaud et L. Mieussens, « An ES-BGK model for polyatomic gases in rotational and vibrational nonequilibrium », European Journal of Mechanics - B/Fluids, no 88,‎ , p. 1-16 (lire en ligne)
  11. (en) D. K. Prabhu and alii, Physics-based Modeling of Meteor Entry and Breakup, Rome, IAA Planetary Defense Conference,
  12. a b c et d (en) Duffa G., Ablative Thermal Protection Systems Modeling, Reston, VA, AIAA Educational Series, , 431 p. (ISBN 978-1-62410-171-7).
  13. (en) B. Laub, M. J. Wright et E. Venkatapahty, Thermal Protection Systems Technology (TPS) Design and the Relationship to Atmospheric Entry Environments, Atlanta, Short Course on Extreme Environments Technologies, (lire en ligne)
  14. (en) Chul Park, Inviscid-ow Approximation of Radiative Ablation of Asteroidal Meteoroids by Line-by-line Method, AIAA SciTech,
  15. (en) Y. K. Chen, Thermal Ablation Modeling for Silicate Materials, AIAA, , chap. AIAA Paper 2016-1414
  16. (en) Bruno Dias, Alessandro Turchi, Eric C. Stein et Thierry E. Magin, « A model for meteoroid ablation including melting and vaporization », Icarus, vol. 345,‎ , p. 113710
  17. (en) O. Hammer, S. E. Lauritzen et B. Jamtveit, « Stability of Dissolution Flutes under Turbulent Flow », Journal of Cave and Karst Sudies, vol. 73, no 3,‎ , p. 181-186
  18. (en) Christopher O. Johnston, Eric C. Stern et Jiří Borovička, « Simulating the Benešov bolide flowfield and spectrum at altitudes of 47 and 57 km », Icarus, no 354,‎ , p. 114037
  19. (en) Thomas J. Horvath, Melinda F. Cagle, Jay H.Grinstead et David M. Gibson, Remote Observations of Reentering Spacecraft Including the Space Shuttle Orbiter, NASA NTRS (lire en ligne [PDF]).
  20. (en) J. Borovička et P. Spurný, « Radiation Study of Two Very Bright Terrestrial Bolides and an Application to the Comet S–L 9 Collision with Jupiter », Icarus, vol. 121, no 2,‎ , p. 484-510.
  21. (en) Alexander Russell, « The “Kennelly-Heaviside” Layer », Nature, vol. 116,‎ , p. 609.
  22. « Vers une approche rationnelle du Meteor Scatter », sur F6CRP, .

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

  • (en) V. A. Bronshten, Physics of Meteoric Phenomena (lire en ligne)