Physique statistique hors d'équilibre

Physique statistique hors d'équilibre

La physique statistique hors d'équilibre étudie les phénomènes de relaxation et de transport au voisinage de l'équilibre thermodynamique. Il s'agit là de phénomènes dissipatifs donc irréversibles, liés à une augmentation de l'entropie.

À la différence de la thermodynamique hors équilibre les méthodes utilisées relèvent du domaine de la physique statistique et permettent de donner les lois caractérisant un phénomène ainsi que les coefficients présents dans ces lois par l'étude des fluctuations dans le milieu au voisinage de l'équilibre thermodynamique.

Dans cet article on adopte la convention de sommation d'Einstein.

Histoire[modifier | modifier le code]

À la fin du XIXe siècle la thermodynamique va voir un extraordinaire développement avec les travaux de Rudolf Clausius qui établit la seconde loi de la thermodynamique et introduit la notion d'entropie en 1862[1]. Cette théorie trouvera son pendant en théorie cinétique des gaz avec les travaux de Ludwig Boltzmann en 1872 (théorème H) et 1877 (formule de Boltzmann)[2].

En 1866 James Clerk Maxwell publie la loi de diffusion dans un milieu à plusieurs espèces[3].

Albert Einstein[4] en 1905 et Paul Langevin[5] en 1908 donnent la description du mouvement brownien conduisant au premier calcul d'un coefficient de transport. À la même époque Marian Smoluchowski développe les méthodes associées aux processus aléatoires[6].

Willard Gibbs (1902)[7] et Albert Einstein (1910)[8] établissent la théorie des fluctuations autour de l'équilibre.

Les progrès ultérieurs seront liés à la connaissance des processus aléatoires avec Norbert Wiener[9] (1930) et Alexandre Khintchine[10] (1934) qui démontrent le théorème qui porte leur nom, Herbert Callen et Theodore Welton pour le théorème de fluctuation-dissipation (1951)[11], Melville Green (1954)[12] et Ryogo Kubo (1957)[13] pour leurs travaux sur le lien entre coefficients de transport et propriétés temporelles du système (relation de Green-Kubo).

Ensemble de Gibbs, variables conservatives, fluctuations[modifier | modifier le code]

Les systèmes auxquels on s'intéresse, qu'ils soient solides, liquides ou gazeux, sont constitués d'un très grand nombre de particules. À l'équilibre il est décrit par un nombre faible de variables extensives (conservatives) décrivant une collection d'états du système appelé ensemble de Gibbs. L'ensemble des états microscopiques contenus dans cet ensemble est décrit à chaque instant par une fonction de distribution (densité de probabilité conjointe) dans l'espace des phases que l'on supposera normalisée à 1. Si l'on se limite à des particules sans degré de liberté interne, celles-ci sont décrites par leurs positions et leur quantité de mouvement . Les valeurs macroscopiques temporelles de chaque variable conservative sont définies par les moments :

  • d'ordre 0 (valeur moyenne) :
étant le volume élémentaire définissant l'ensemble de Gibbs.
  • d'ordre 2, caractérisant les corrélations des écarts aux valeurs moyennes :
    • la variance :  ;
    • la covariance : .

La distribution gaussienne[modifier | modifier le code]

Outre la généralité de cette distribution telle que l'établit le théorème central limite, celle-ci peut être obtenue à partir d'arguments thermodynamiques.

Obtention de la distribution[modifier | modifier le code]

À l'équilibre thermodynamique, la loi de Boltzmann permet de lier la fonction de distribution à l'entropie par :

est une fonction positive, concave, continûment différentiable[14] et l'équilibre est défini par

On peut donc écrire un développement en série de Taylor conduisant à une distribution gaussienne des fluctuations des valeurs à l'équilibre  :

la matrice est symétrique semi-définie positive et la normalisation de f permet d'obtenir la constante[15] :

Si les fluctuations sont indépendantes alors est diagonale et est la matrice des covariances.

Propriétés[modifier | modifier le code]

On définit les quantités thermodynamiques conjuguées par :

On peut montrer[15] une relation importante de ces quantités avec les fluctuations :

Cette propriété constitue un résultat important pour l'établissement des relations de réciprocité d'Onsager.

En utilisant l'équation de définition de on obtient :

On définit une approximation linéaire des fluctuations de la variable thermodynamique g par :

On peut calculer la moyenne quadratique :

On peut ainsi exprimer les fluctuations des quantités thermodynamiques fondamentales[15],[16], par exemple la vitesse ou la température :

est la constante universelle des gaz, la masse molaire et est la chaleur spécifique à volume constant. L'expression pour la vitesse peut être trouvée directement par le calcul à partir de la distribution maxwellienne des vitesses.

La fluctuation relative de la température peut être calculée ():

Processus temporel[modifier | modifier le code]

Processus aléatoires gaussiens[modifier | modifier le code]

L'évolution de l'ensemble de Gibbs en obéit à un processus aléatoire (ou stochastique) caractérisé par l'évolution . Dans nombre de cas ce processus peut être supposé :

  • gaussien : les densités conjointes sont des distributions maxwelliennes (gaussiennes) ;
  • stationnaire : les densités sont indépendantes de l'échantillonage en temps ;
  • ergodique en moyenne : toute réalisation du processus (échantillon) caractérise complètement celui-ci. Ceci s'exprime en disant que la moyenne
est indépendante de .

De plus l'analyse harmonique[17] montre que les descriptions temporelle et en moyenne d'ensemble sont équivalentes :

Fonction de corrélation, densité spectrale[modifier | modifier le code]

On peut décomposer la distribution composée par une réalisation dans l'intervalle et 0 au dehors en série de Fourier[17] :

On peut alors définir la transformation du processus dont est une réalisation par :

Les coefficients sont des combinaisons linéaires des . Ce sont des variables aléatoires indépendantes.

La fonction de corrélation pour les fluctuations des processus est définie par :

On s'intéresse plus particulièrement aux fonctions d'autocorrélation qui permet de mesurer l'étendue temporelle des corrélations. Dans le cas d'un processus gaussien :

est le temps de corrélation. La densité spectrale de puissance du processus est dès lors connue par le théorème de Wiener–Khintchine :

On a de façon évidente :

Un processus qui obéit à cette relation est markovien d'après le théorème d'arrêt de Doob.

Réponse linéaire d'un système au voisinage de l'équilibre thermodynamique[modifier | modifier le code]

Susceptibilité[modifier | modifier le code]

On suppose un système à l'équilibre perturbé par un champ externe. La perturbation est décrite par l'hamiltonien perturbatif[16],[17] :

est la grandeur conjuguée associée à .

On cherche à connaître la réponse de à une telle fluctuation, dans le domaine linéaire. Celle-ci est le produit de convolution :

est la fonction de réponse invariante en temps et causale : elle ne dépend que de et est nulle pour . En supposant une perturbation impulsionnelle, on peut intégrer l'équation :

est donc la réponse impulsionnelle ou fonction de Green retardée, qui ne dépend que des propriétés du système non perturbé.

On prendra à présent la perturbation sous forme d'une fonction harmonique  :

où l'on a introduit la transformée de Fourier au sens des distributions :

Les parties réelle et imaginaire de obéissent aux relations de Kramers-Kronig.

Dissipation[modifier | modifier le code]

La puissance instantanée reçue par le système soumis au champ harmonique est :

dont la valeur moyenne vaut :

La dissipation est donc liée à la partie imaginaire de la fonction d'autocorrélation de la fluctuation : c'est le théorème de fluctuation-dissipation.

Un exemple classique : le mouvement brownien[modifier | modifier le code]

Le mouvement brownien se définit par le mouvement stochastique d'une particule de faible dimension dans un fluide. Il est représenté par l'équation de Langevin :

  • vitesse ;
  • masse ;
  • coefficient lié à la traînée (donnée par exemple par la loi de Stokes) ;
  • force aléatoire résultant des chocs avec les molécules.

On suppose que :

  • est de moyenne nulle :
,
  • obéit à un processus gaussien de temps caractéristique . On assimilera donc la fonction d'autocorrélation à une fonction de Dirac :

La résolution de l'équation de Langevin pour une vitesse initiale est la suivante[18] :

Soit en moyenne :

La vitesse moyenne relaxe vers 0 avec un temps caractéristique .

On peut également calculer la variance :

Aux temps grands :

On peut également écrire la variance sous la forme :

L'énergie moyenne est :

La limite de cette quantité aux temps longs est :

L'équipartition de l'énergie avec les particules environnantes permet d'écrire :

D'où l'expression de  :

Cette relation qui lie le coefficient de frottement à la fonction d'autocorrélation illustre la relation de Green-Kubo.

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Rudolf Clausius, « On the Application of the Theorem of the Equivalence of Transformations to Interior Work to a Mass of Matter », Philosophical Magazine and Journal of Sciences,‎ .
  2. (en) Ludwig Boltzmann (trad. de l'allemand), Lectures on Gas Theory, New York, Dover, , 490 p. (ISBN 0-486-68455-5, lire en ligne).
  3. (en) James Clerk Maxwell, The Scientific Papers of J. C. Maxwell : On the dynamical theory of gases, vol. 2, Dover, , 26–78 p. (lire en ligne).
  4. (de) Albert Einstein, « Über die von der molekularkinetischen Theorie der Wärme geforderte Bewegung von in ruhenden Flüssigkeiten suspendierten Teilchen », Annalen der Physik, vol. 322, no 8,‎ , p. 549–560 (ISSN 0003-3804, DOI 10.1002/andp.19053220806, lire en ligne).
  5. Paul Langevin, « Sur la théorie du mouvement brownien », Comptes-rendus de l'Académie des Sciences, vol. 146,‎ , p. 530-532 (lire en ligne).
  6. Marian Smoluchowski, « Sur le chemin moyen parcouru par les molécules d'un gaz et sur son rapport avec la théorie de la diffusion », Bulletin International de L'Académie de Cracovie, vol. 1,‎ , p. 202-213 (lire en ligne).
  7. (en) Josiah Willard Gibbs, Elementary principles in statistical mechanics, [détail de l’édition] (lire en ligne).
  8. (de) Albert Einstein, « Theorie der Opaleszenz von homogenen Flüssigkeiten und Flüssigkeitsgemischen in der Nähe des kritischen Zustandes », Annalen der Physik, 4e série, vol. 33,‎ , p. 1275–1298 (lire en ligne).
  9. (en) Norbert Wiener, « Generalized Harmonic Analysis », Acta Mathematica, vol. 55,‎ , p. 117–258.
  10. (de) Alexandre Khintchine, « Korrelationstheorie der stationären stochastischen Prozesse », Mathematische Annalen, vol. 109, no 1,‎ , p. 604–615 (DOI 10.1007/BF01449156).
  11. (en) Herbert B. Callen et Theodore A. Welton, « Irreversibility and Generalized Noise », Physical Review, vol. 83, no 1,‎ , p. 34-40.
  12. (en) Melville S. Green, « Markoff Random Processes and the Statistical Mechanics of Time-Dependent Phenomena. II. Irreversible Processes in Fluids », Journal of Chemical Physics, vol. 22,‎ , p. 398–413 (DOI 10.1063/1.1740082).
  13. (en) Ryogo Kubo, « Statistical-Mechanical Theory of Irreversible Processes. I. General Theory and Simple Applications to Magnetic and Conduction Problems », Journal of the Physical Society of Japan, vol. 12,‎ , p. 570–586.
  14. (en) Herbert B. Callen, Thermodynamics and an Introduction to Thermostatistics, Wiley, , 512 p. (ISBN 0-471-86256-8, lire en ligne).
  15. a b et c (en) Lev Landau et Evgueni Lifchits, Course of Theoretical Physics Volume 5 : Statistical Physics, Pergamon Press, (lire en ligne).
  16. a et b (en) Sybren Ruurds de Groot et Peter Mazur, Nonequilibrium Thermodynamics, New York, Dover, , 510 p. (ISBN 978-0-486-64741-8 et 0-486-64741-2, lire en ligne).
  17. a b et c Noëlle Pottier, Physique statistique hors d'équilibre : processus irréversibles linéaires, Les Ulis/Paris, EDP Sciences/CNRS Éditions, , 524 p. (ISBN 978-2-86883-934-3, lire en ligne).
  18. Bertrand Duplantier, « Séminaire Poincaré Einstein, 1905-2005 : Le mouvement brownien », .

Ouvrages de référence[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]