Nucléomoduline

Attaque par Agrobacterium tumefaciens (A) contre le noyau d'une cellule végétale (D).

Les nucléomodulines constituent une famille de protéines bactériennes pénétrant dans le noyau des cellules eucaryotes [1].

Ce terme vient de la contraction entre « nucleus » et « modulines », qui sont des molécules microbiennes qui modulent le comportement des cellules eucaryotes. Les nucléomodulines sont produites par des bactéries pathogènes ou symbiotiques. Elles agissent sur divers processus dans le noyau: le remodelage de la structure de la chromatine [2],[3],[4],[5],[6],[7],[8],[9],[10],[11],[12], la transcription [13],[14], l'épissage de l'ARN pré-messager [15],[16], la division cellulaire [17]. En agissant sur l'expression de gènes dans les cellules hôtes ou sur la division cellulaire, les nucléomodulines contribuent à la virulence ou à la symbiose bactérienne.

L'identification des nucléomodulines dans plusieurs espèces de bactéries pathogènes de l’homme et des animaux et des plantes, a conduit à l'émergence du concept selon lequel un contrôle direct du noyau est l'une des stratégies les plus sophistiquées utilisées par les microbes pour contourner les défenses de l'hôte.


Les nucléomodulines peuvent être directement sécrétées dans le milieu intracellulaire après pénétration des bactéries dans le cytoplasme, comme c'est le cas pour Listeria monocytogenes, ou bien elles peuvent être injectées depuis le milieu extracellulaire ou depuis des organites intracellulaires (e.g. des vacuoles) à l'aide d'un système de sécrétion bactérien de type III ou IV, aussi appelée "seringue moléculaire".

Plus récemment, il a été montré que certaines d'entre elles, telles que YopM de Yersinia pestis et IpaH9.8 de Shigella flexneri, présentent un domaine de transduction membranaire leur conférant la capacité de pénétrer de façon autonome les cellules eucaryotes [18].

La diversité des mécanismes moléculaires mis en jeu par les nucléomodulines[1],[19],[20] en font une source d'inspiration pour de nouvelles biotechnologies. Elles sont de véritables nano-machines capables de détourner une multitude de processus nucléaire. En recherche, les nucléomodulines font l'objet d'études approfondies qui ont également permises la découverte de nouveaux régulateurs nucléaires humains, comme celle du régulateur épigénétique BAHD1 [8].


Quelques exemples[modifier | modifier le code]

Agrobacterium tumefaciens, responsable de la galle du collet, produit un arsenal de protéines Vir, dont VirD2 et VirE2, permettant l'intégration précise d'un morceau de son ADN, nommé ADN-T, dans celui de la plante hôte [21](voir image).

Listeria monocytogenes, responsable de la listériose, peut moduler l'expression de gènes de l'immunité. Un des mécanismes en jeu fait intervenir la protéine bactérienne LntA qui inhibe la fonction du régulateur épigénétique BAHD1. L'action de cette nucléomoduline est associé à la décompaction de la chromatine et l'activation de gènes de réponse aux interférons [8],[22].

Shigella flexneri, responsable de la shigellose, sécrète la protéine IpaH9.8 capable de cibler une protéine de l'épissage des ARNm interférant ainsi la production d'isoformes protéiques et la réponse inflammatoire chez l'Homme [16].

Legionella pneumophila, responsable de la légionellose sécrète une enzyme à activité histone méthyltransferase capable de méthyler les histones à divers loci des chromosomes [23] ou au niveau de l’ADN ribosomique (ADNr) dans le nucléole [24].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Hélène Bierne et Pascale Cossart, « When bacteria target the nucleus: the emerging family of nucleomodulins », Cellular Microbiology, vol. 14, no 5,‎ , p. 622–633 (ISSN 1462-5822, PMID 22289128, DOI 10.1111/j.1462-5822.2012.01758.x, lire en ligne, consulté le )
  2. E. Skrzypek et al., « Targeting of the Yersinia pestis YopM protein into HeLa cells and intracellular trafficking to the nucleus », Molecular Microbiology, vol. 30, no 5,‎ , p. 1051–1065 (ISSN 0950-382X, PMID 9988481, DOI 10.1046/j.1365-2958.1998.01135.x, lire en ligne, consulté le )
  3. Hongtao Li et al., « The phosphothreonine lyase activity of a bacterial type III effector family », Science (New York, N.Y.), vol. 315, no 5814,‎ , p. 1000–1003 (ISSN 1095-9203, PMID 17303758, DOI 10.1126/science.1138960, lire en ligne, consulté le )
  4. Laurence Arbibe et al., « An injected bacterial effector targets chromatin access for transcription factor NF-kappaB to alter transcription of host genes involved in immune responses », Nature Immunology, vol. 8, no 1,‎ , p. 47–56 (ISSN 1529-2908, PMID 17159983, DOI 10.1038/ni1423, lire en ligne, consulté le )
  5. Meghan E. Pennini et al., « Histone methylation by NUE, a novel nuclear effector of the intracellular pathogen Chlamydia trachomatis », PLoS pathogens, vol. 6, no 7,‎ , e1000995 (ISSN 1553-7374, PMID 20657819, PMCID 2904774, DOI 10.1371/journal.ppat.1000995, lire en ligne, consulté le )
  6. (en) Monica Rolando et al., « Legionella pneumophila Effector RomA Uniquely Modifies Host Chromatin to Repress Gene Expression and Promote Intracellular Bacterial Replication », Cell Host & Microbe, vol. 13, no 4,‎ , p. 395–405 (DOI 10.1016/j.chom.2013.03.004, lire en ligne, consulté le )
  7. (en) Ting Li et al., « SET‐domain bacterial effectors target heterochromatin protein 1 to activate host rDNA transcription », EMBO reports, vol. 14, no 8,‎ , p. 733–740 (ISSN 1469-221X et 1469-3178, PMID 23797873, PMCID PMC3736128, DOI 10.1038/embor.2013.86, lire en ligne, consulté le )
  8. a b et c Alice Lebreton et al., « A bacterial protein targets the BAHD1 chromatin complex to stimulate type III interferon response », Science (New York, N.Y.), vol. 331, no 6022,‎ , p. 1319–1321 (ISSN 1095-9203, PMID 21252314, DOI 10.1126/science.1200120, lire en ligne, consulté le )
  9. (en) Kristen E. Rennoll-Bankert et al., « Chromatin-bound bacterial effector ankyrin A recruits histone deacetylase 1 and modifies host gene expression: AnkA recruits HDAC1 to modify CYBB expression », Cellular Microbiology, vol. 17, no 11,‎ , p. 1640–1652 (PMID 25996657, PMCID PMC5845759, DOI 10.1111/cmi.12461, lire en ligne, consulté le )
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