Misère sexuelle

La misère sexuelle est la situation de toute personne qui ne peut pour des raisons essentiellement sociales et culturelles satisfaire ses besoins sexuels, et qui en souffre plus ou moins intensément[1]. On parle aussi de « misères sexuelle et affective », qui peut concerner par exemple des personnes emprisonnées, des personnes âgées ou des personnes isolées, etc. Il peut aussi s'agir de handicapés physiques et/ou mentaux[2],[3],[4].

Éléments de définition[modifier | modifier le code]

Pour le chercheur en sciences sociales Alain Giami, « la misère sexuelle consiste principalement dans l'absence ou la faiblesse de vie sexuelle non reproductive ». Il ajoute que la misère sexuelle est « prise dans un strict et complexe réseau d’interdits et de contraintes, elle subit une telle limitation, un tel amoindrissement qu’elle devient pour beaucoup un objet de souffrance – morale ou physique[5] ».

Histoire[modifier | modifier le code]

On associe souvent l'existence de la prostitution à la misère sexuelle qui prévalait en raison de l'organisation socioreligieuse (importance sociale de la natalité, mariages forcés et plaisir sexuel rendu honteux par l'église - pour Thomas d'Aquin les actes et les relations sexuels non procréatifs étaient des « vices contre nature » - corps fatigués par la dureté de la vie et du travail...)[6], y compris parfois quand elle est utilisée par des personnes handicapées qui ne trouvent pas d'autres moyens de satisfaire leur besoin de sexualité[7].

Dans la seconde moitié du XXe siècle, à partir des années 1960, la misère sexuelle devient un sujet de préoccupation, dont une des solutions pourrait être l’émancipation par une révolution sexuelle.

En 1966 deux ans avant Mai 1968, la revue Partisans publie un numéro « Sexualité et répression »[8] évoquant les principaux théoriciens de la révolution sexuelle, ainsi que des enquêtes sur la situation chez les jeunes et les femmes, visant selon Alain Giami à illustrer la misère sexuelle et la répression sexuelle, y compris en termes politiques[5].

En 1972 la même revue Partisans publie à nouveau un numéro sur ce sujet, sur les aspects théoriques de la révolution sexuelle en cours, en réaction à la forte répression de l’homosexualité[5], peu après la publication en 1971 d'un manifeste par le Front homosexuel d’action révolutionnaire critiquant vivement la normalité et le conformisme sexuel ainsi que la phallocratie[9] ». Cette même année, l’ouvrage de l’historien belge Jos van Ussel, Histoire de la répression sexuelle est traduit en français[10],

En 1974, Roger-Pol Droit et Antoine Gallien publient une analyse de témoignages illustrant la misère sexuelle de nombreux français, qui se manifeste notamment par des troubles cliniques pathologiques tels que : dyspareunie (douleur au cours des rapports sexuels), vaginisme, éjaculation précoce, impuissance, frigidité… selon eux plus répandus qu’on ne saurait le croire. La misère sexuelle c'est aussi l’insatisfaction, l’ennui, la lassitude, les désirs inavoués qui souvent rendent la vie sexuelle quotidienne “misérable” (« Nous disons qu’elle est la situation de toute personne qui ne peut pour des raisons essentiellement sociales et culturelles exercer sa sexualité, et qui consciemment en souffre plus ou moins intensément »)[11]. Selon Roger-Pol Droit et Antoine Gallien (1974) « parler de misère sexuelle semble supposer, implicitement, la conception d’une certaine forme de “bonheur” (de prospérité ?) sexuel, et, l’adhésion à un certain nombre de thèses, théoriques aussi bien qu’idéologiques. Question que nous laissons volontairement en suspens, la description du caractère négatif de la misère sexuelle se suffisant à elle-même »[12]. Alain Giami, en 2002 note que ces auteurs n'évoquent que la situation des adultes hétérosexuels, et uniquement sous un angle essentiellement psychologique et clinique, préfigurant la médicalisation de la sexualité qu'il a selon lui décrit en 2000 dans « Médicalisation de la société et médicalisation de la société »[13].

Controverse et féminisme[modifier | modifier le code]

Des chercheurs avancent que la notion de misère sexuelle sous-tend l'idée que les femmes "doivent" des relations sexuelles aux hommes, qui auraient une libido plus forte. Le concept serait même utilisé pour justifier certaines violences sexuelles, participant ainsi à la culture du viol[14].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Robert Laffont, La réalité sexuelle : une enquête en France. Des femmes et des hommes disent les difficultés quotidiennes de leur vie sexuelle, , p.18
  2. Marcel Nuss, « Enjeux politiques et juridiques de l'accompagnement sexuel », Reliance, vol. 29, no 3,‎ , p. 26 (ISSN 1774-9743 et 1951-6282, DOI 10.3917/reli.029.0026, lire en ligne, consulté le )
  3. E. Di Nucci (Dr Ezio Di Nucci, Institut de Philosophie, Université de Duisburg-Essen en Allemagne), « Sexual rights and disability », Journal of Medical Ethics, vol. 37, no 3,‎ , p. 158–161 (ISSN 0306-6800, DOI 10.1136/jme.2010.036723, lire en ligne, consulté le )
  4. « La sexualité des handicapés sort difficilement de la clandestinité », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. a b et c Alain Giami, « Misère, répression et libération sexuelles », Mouvements, vol. no20, no 2,‎ , p. 23–29 (ISSN 1291-6412, DOI 10.3917/mouv.020.0023, lire en ligne, consulté le )
  6. J. Hd. et Alain Corbin, Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (XIXe et XXe siècles), vol. 34, (ISSN 0032-4663, DOI 10.2307/1531454, lire en ligne), p. 1176
  7. André Dupras, « Handicap et sexualité : quelles solutions à la misère sexuelle ? », Alter, vol. 6, no 1,‎ , p. 13–23 (ISSN 1875-0672, DOI 10.1016/j.alter.2011.11.003, lire en ligne, consulté le )
  8. Partisans, « Sexualité et répression », no 32-33, octobre 1966
  9. FHAR, Rapport contre la normalité, Éditions Champ libre, 1971
  10. J. van Ussel, Histoire de la répression sexuelle, Robert
  11. R.-P. Droit et A. Gallien (1974), La réalité sexuelle : une enquête en France. Des femmes et des hommes disent les difficultés quotidiennes de leur vie sexuelle, Robert Laffont, p. 18. (voir notamment p. 17)
  12. R.-P. Droit et A. Gallien, La réalité sexuelle : une enquête en France. Des femmes et des hommes disent les difficultés quotidiennes de leur vie sexuelle, Robert Laffont, 1974, p. 18. (voir notamment p. 17)
  13. A. Giami (2000) « Médicalisation de la société et médicalisation de la société », in A. Jardin, P. Queneau et F. Giuliano (eds), Progrès thérapeutiques : la médicalisation de la sexualité en question, John Libbey Eurotext, p. 121-130.
  14. Lina Fourneau, « Sexisme : Le terme « misère sexuelle » ne veut rien dire (et devrait même disparaître) », sur www.20minutes.fr, (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Alain Giami, « Misère, répression et libération sexuelles », Mouvements, vol. 20, no 2,‎ , p. 23–29 (ISSN 1291-6412, DOI 10.3917/mouv.020.0023, lire en ligne, consulté le )
  • Nicolas Oppenchaim, Dolorès Pourette, Erwan Le Méner et Anne Laporte, « Sexualité et relations affectives des personnes sans domicile fixe. Entre contraintes sociales et parcours biographiques », Sociologie, vol. 1, no 3,‎ , p. 375–391 (ISSN 2108-8845, DOI 10.3917/socio.003.0375, lire en ligne, consulté le )
  • Camille Laviron, « Les nouveaux enjeux de la misère sexuelle: », Chimères, vol. N° 98, no 1,‎ , p. 203–212 (ISSN 0986-6035, DOI 10.3917/chime.098.0203, lire en ligne, consulté le )