Manteau primitif

Illustration illustrant trois processus proposés entraînant la différenciation noyau-manteau (dyke, percolation et diapirisme de fer), séparant ainsi le noyau du manteau primitif[1].

En géochimie, le manteau primitif, également nommé Terre silicatée ((en) Bulk silicate Earth ou BSE) est la composition chimique du manteau terrestre au cours de la phase de développement entre la différenciation noyau-manteau et la formation de la croûte continentale précoce. La composition chimique du manteau primitif témoigne des caractéristiques à la fois de la croûte et du manteau[2].

Développement[modifier | modifier le code]

Selon l'hypothèse scientifique standard, la Terre s'est formée par accrétion de matière chondritique venant des impacts avec des planétésimaux différenciés. Au cours de cette phase d'accrétion, la différenciation planétaire a distingué le noyau terrestre, où s'accumulaient les éléments sidérophiles métalliques lourds, du manteau primitif indifférencié environnant[3]. Une différenciation plus poussée aura lieu plus tard, générant les différents réservoirs chimiques de la croûte et du manteau, avec des éléments incompatibles s'accumulant dans la croûte[4].

À l'époque actuelle, la différenciation se poursuit encore dans le manteau supérieur, aboutissant à deux types de réservoirs mantelliques : pauvres en éléments lithophiles (réservoirs appauvris) d'une part, et composés de matériau mantellique "frais" indifférencié (réservoirs enrichis ou primitifs) d'autre part[5]. Les roches volcaniques des zones de points chauds ont souvent une composition primitive, et parce que le magma de ces zones est censé avoir été amené à la surface depuis les régions les plus profondes du manteau au travers des panaches du manteau, les géochimistes supposent qu'il doit y avoir un réservoir primitif relativement fermé et très indifférencié quelque part dans le manteau inférieur[6]. Cette hypothèse permet d'expliquer l'existence de la discontinuité de Gutenberg à la limite noyau-manteau[7].

Composition chimique[modifier | modifier le code]

Bien que la composition chimique du manteau primitif ne soit mesurable in situ, les chercheurs ont pu estimer les caractéristiques du manteau primitif par le biais de plusieurs méthodes. L'une implique l'analyse de météorites chondritiques, portant la composition chimique de la Terre primitive et la création de modèles utilisant les caractéristiques chimiques analysées et les hypothèses décrivant les phénomènes dynamiques de la Terre intérieure. Cette approche est basée sur l'hypothèse que les premiers corps planétaires du système solaire se sont formés dans des conditions similaires et possèdent conséquemment des compositions chimiques comparables[8]. L'autre méthode, plus directe, consiste à observer les tendances de la composition chimique des péridotites du manteau supérieur et à en déduire la composition du manteau primitif, en comparant la composition de la péridotite à la distribution des éléments lithophiles réfractaires (qui ne sont pas affectés par la différenciation noyau-manteau) dans les météorites chondritiques. Les limites des deux méthodes sont relatives aux hypothèses faites à propos de la Terre intérieure, ainsi que sur des incertitudes statistiques dans les modèles utilisés pour quantifier les données[2].

Les deux approches détaillées ci-dessus aboutissent à des pourcentages en poids qui suivent les mêmes tendances générales par rapport au manteau appauvri (ou homogène) : le manteau primitif a des concentrations significativement plus élevées de SiO2, de Al2O3, de Na2O et de CaO, et significativement faibles concentrations de MgO. Plus important encore, les deux approches montrent que le manteau primitif a des concentrations beaucoup plus élevées d'éléments lithophiles réfractaires (par exemple : Al, Ba, Be, Ca, Hf, Nb, Sc, Sr, Ta, Th, Ti, U, Y, Zr, et les terres rares)[9]. Le bilan des concentrations exactes de ces composés et de ces éléments dépend de la méthode utilisée. Les méthodes basées l'analyse de la péridotite donnent un pourcentage de poids du manteau primitif beaucoup plus faible pour le SiO2 et des pourcentages de poids du manteau primitif significativement plus élevés pour le MgO et Al2O3 que ceux estimés à l'aide de l'analyse directe des météorites chondritiques. L'évaluation des concentrations d'éléments lithophiles réfractaires obtenus à partir des deux méthodes varient également, généralement de 0,1 à 5 ppm[10].

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) D. C. Rubie, F. Nimmo et H. J. Melosh, « 9.03 - Formation of the Earth's Core », dans Treatise on Geophysics (Second Edition), Elsevier, (ISBN 978-0-444-53803-1, lire en ligne), p. 43–79
  2. a et b (en) Lyubetskaya et Korenaga, « Chemical composition of Earth's primitive mantle and its variance: 1. Method and results », Journal of Geophysical Research: Solid Earth, vol. 112, no B3,‎ (ISSN 2156-2202, DOI 10.1029/2005JB004223, Bibcode 2007JGRB..112.3211L)
  3. (en) Wood, Walter et Wade, « Accretion of the Earth and segregation of its core », Nature, vol. 441, no 7095,‎ , p. 825–833 (ISSN 1476-4687, PMID 16778882, DOI 10.1038/nature04763, Bibcode 2006Natur.441..825W, S2CID 8942975, lire en ligne)
  4. (en) Hofmann, « Chemical differentiation of the Earth: the relationship between mantle, continental crust, and oceanic crust », Earth and Planetary Science Letters, vol. 90, no 3,‎ , p. 297–314 (ISSN 0012-821X, DOI 10.1016/0012-821X(88)90132-X, Bibcode 1988E&PSL..90..297H, S2CID 3211879, lire en ligne)
  5. (en) Solomatov et Reese, « Grain size variations in the Earth's mantle and the evolution of primordial chemical heterogeneities », Journal of Geophysical Research: Solid Earth, vol. 113, no B7,‎ (ISSN 2156-2202, DOI 10.1029/2007JB005319, Bibcode 2008JGRB..113.7408S, lire en ligne)
  6. (en) Lyubetskaya et Korenaga, « Chemical composition of Earth's primitive mantle and its variance: 2. Implications for global geodynamics », Journal of Geophysical Research: Solid Earth, vol. 112, no B3,‎ (ISSN 2156-2202, DOI 10.1029/2005JB004224, Bibcode 2007JGRB..112.3212L)
  7. (en) Ammann, Brodholt, Wookey et Dobson, « First-principles constraints on diffusion in lower-mantle minerals and a weak D′′ layer », Nature, vol. 465, no 7297,‎ , p. 462–465 (ISSN 1476-4687, PMID 20505725, DOI 10.1038/nature09052, Bibcode 2010Natur.465..462A, S2CID 4414617, lire en ligne)
  8. (en) Morgan et Anders, « Chemical composition of Earth, Venus, and Mercury », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 77, no 12,‎ , p. 6973–6977 (ISSN 0027-8424, PMID 16592930, PMCID 350422, DOI 10.1073/pnas.77.12.6973, Bibcode 1980PNAS...77.6973M)
  9. (en) Yoshizaki, Ash, Lipella et Yokoyama, « Variable refractory lithophile element compositions of planetary building blocks: Insights from components of enstatite chondrites », Geochimica et Cosmochimica Acta, vol. 308,‎ , p. 173–187 (ISSN 0016-7037, DOI 10.1016/j.gca.2021.05.057, Bibcode 2021GeCoA.308..173Y, arXiv 2011.13134, S2CID 227209726, lire en ligne)
  10. (en) Takeru Yanagi, « Chemical Composition of Continental Crust and the Primitive Mantle », dans Arc Volcano of Japan: Generation of Continental Crust from the Mantle, Springer, coll. « Lecture Notes in Earth Sciences », (ISBN 978-4-431-53996-4, DOI 10.1007/978-4-431-53996-4_2, lire en ligne), p. 9–17