Machine à gouverner

Une machine à gouverner est une machine à calculer les commandements, les prescriptions.

Apparition de l'expression[modifier | modifier le code]

La première apparition de l'expression « machine à gouverner » semble remonter à 1893[1]. Elle est plus clairement identifiée avec la diffusion de l'informatique[2].

Fonctionnement[modifier | modifier le code]

La machine à gouverner peut elle-même proférer des commandements (p. ex. procédure légale, chatbot) ou encore énoncer le résultat de commandements (p. ex. syllogisme juridique, fonction informatique). Elle fonctionne donc selon un modèle de traitement mathématique de commandes de langage formel.

Emplois du concept[modifier | modifier le code]

La machine à gouverner désigne aussi bien des phénomènes technologiques que politiques.

Cybernétique[modifier | modifier le code]

Le sens courant apparaît lors de la controverse entre Norbert Wiener, fondateur de la cybernétique, et le père Dominique Dubarle, théologien et scientifique, l'un des premiers critique de la cybernétique en France. Dubarle emploie le terme « Machine à gouverner » dans un article du Monde en 1948[3] et Norbert Wiener le reprend dans la deuxième édition de son ouvrage Cybernetics & Society[4]. Dans ce sens purement technique, la machine à gouverner n'est pas autre chose qu'une commande, ou une série de commandes logicielles, par extension un ordinateur, voire toute l'informatique.

Politique[modifier | modifier le code]

Le concept est également employé pour désigner un mode de gouvernance par les nombres[5]. Il est en particulier utilisé en Australie (Machinery of government (en)) pour désigner l'allocation des fonctions gouvernementales au sein de l'administration. Il est aussi utilisé pour caractériser la gouvernance définie comme "l'art de gouverner sans gouvernement", en particulier l’ordre juridique supranational de l'Union européenne qui aurait désarrimé l’État de la nation non pour le faire disparaître, mais pour l’apparier au système de gouvernance globale en gestation[6]. Le sociologue Max Weber n'emploie pas le terme, mais la place qu'il donne aux règles calculables dans la mécanique bureaucratique née du mouvement de rationalisation s'y accorde[7]. Dans la lignée des dystopies sciences-fictionnelles d'une société régie par l'intelligence artificielle, la machine à gouverner est une forme d'incarnation du Léviathan[8], c'est-à-dire de l'État moderne[9]. Par exemple, Jean Roux croit à la possible mise en place d'un "système informatique de gestion intégrée à l'échelon des sociétés humaines[10]". Cet emploi du terme est peut-être le plus ancien, puisqu'il apparaît dans une satire politique en 1893[1].

Techno-politique[modifier | modifier le code]

Un sens plus récent étend la notion à toute procédure, toute loi, tout logiciel[11]. En effet, ces trois types de prescriptions relèvent du langage formel animé par la logique. En particulier, la loi moderne veut s'élaborer en imitation de la méthode scientifique, dès le XVIIe siècle[12]. La modernisation du devoir-être prend un tour systémique et formel[13], in fine calculable. Il y aurait alors moins à distinguer les disciplines juridique et informatique.

Artistique[modifier | modifier le code]

En matière artistique, le concept est appliqué à la naissance du cyber-art[14].

Déploiement[modifier | modifier le code]

Si l'on porte du crédit à la pertinence du concept, deux hypothèses principales émergent.

Dystopie[modifier | modifier le code]

Les machines à gouverner pourraient être une menace, une ombre montante depuis l'Antiquité mais pas vraiment réalisée[2]. En effet, l'intelligence artificielle forte (générale) n'étant pas déployée, la gouvernance par les nombres ne serait qu'une tendance émergente, jamais advenue.

Réalité moderne[modifier | modifier le code]

Il est aussi possible de penser que toute formalisation du commandement en vue de son exécution logique (donc prévisible) rend effectif le gouvernement par les machines. La société serait alors déjà saturée de règles formelles, procédures, lois et logiciels, plus ou moins bien respectées, mais élaborées de manière à inter-opérer. Il ne resterait plus alors aux humains qu'à obéir, ou bâtir d'autres machines à gouverner. Le projet Cybersyn, dispositif de gouvernement économique du Chili lancé en 1970, est exemplaire de la mise en œuvre de l'informatique aux fins d'une gestion sociale globale intégrée.

De même, la monarchie des Habsbourg était très bureaucratique et informationnelle selon le spécialiste de l'absolutisme Joël Cornette, jusqu'à devenir ingouvernable[15].

Exemples cinématographiques et littéraires[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Henry Gauthier-Villars, « La machine à gouverner », La Revue bleue,‎
  2. a et b Mathieu Triclot, « La machine à gouverner. Une dystopie à la naissance de l’informatique », R. Belot et L. Heyberger (ed.), Prométhée et son double, Neuchâtel, Alphil,‎ (lire en ligne)
  3. Dominique Dubarle, « Vers la machine à gouverner... La manipulation mécanique des réactions humaines créera-t-elle un jour "le meilleur des mondes" ? », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  4. Norbert Wiener, The human use of human beings : cybernetics and society, Free Association, (ISBN 1-85343-075-7 et 978-1-85343-075-6, OCLC 19124159, lire en ligne)
  5. Alain Supiot, La gouvernance par les nombres : cours au Collège de France (2012-2014), (ISBN 978-2-8185-0627-1 et 2-8185-0627-1, OCLC 1196906964, lire en ligne)
  6. Christophe Beaudouin, « "Le temps de la machine à gouverner", Revue Catholica n°157, 2023 », sur Revue Catholica,
  7. Max Weber et Jean-Pierre Grossein, Concepts fondamentaux de sociologie, Gallimard, coll. « Collection Tel », (ISBN 978-2-07-078528-5)
  8. Thomas Hobbes, Leviathan, Collins/Fontana, (ISBN 0-00-633066-5 et 978-0-00-633066-0, OCLC 8796401, lire en ligne)
  9. Taillefer, Hélène, « L’avènement de la société-machine », Postures, Dossier « Utopie/Dystopie: entre imaginaire et réalité », Hors série n°2,,‎ (lire en ligne)
  10. Jean Roux, Et demain... la machine à gouverner ? (Le pouvoir et l'ordinateur), Paris, Eyrolles,
  11. Arnaud Billion, Sous le règne des machines à gouverner - le droit entre intelligence artificielle et raison naturelle, Larcier,
  12. Alfred Dufour, « Dufour Alfred, « L'influence de la méthodologie des sciences physiques et mathématiques sur les fondateurs de l'école du droit naturel moderne (Grotius, Hobbes, Pufendorf) » », Grotiana,‎
  13. Stéphane, ... Rials et Eric, ... Desmons, La formation de la pensée juridique moderne, PUF, (ISBN 2-13-055685-X et 978-2-13-055685-5, OCLC 421403889, lire en ligne)
  14. Arnauld Pierre, « La machine à gouverner », Les Cahiers du Musée national d'art moderne,‎
  15. Cornette, Joël, « La machine à gouverner », L'histoire, les collections n°79,‎ (lire en ligne).