Lucaria

Lucaria
Lieu Rome antique
Type religieux
Date 19 et 21 juillet
Célébrations Fête romaine dédiée à la patronne des bois.

Les Lucaria (latin : Lucaria, -ium est une fête romaine agraire, dédiée à une divinité patronne des bois sacrés (lucus) et célébrée les et . Les auteurs latins sont lacunaires sur les rites directement liés à la fête, l'analyse moderne des traités agricoles romains la rattache aux travaux d'essartage et de désouchage.

Origine[modifier | modifier le code]

Le nom de cette fête est une probable déformation du mot disparu *Lucalia, selon la dénomination avec une terminaison en -lia de la plupart des fêtes religieuses romaines. Ce nom renvoie au mot latin lucus, qui prend deux sens possibles, étymologiquement « clairière » ou usuellement « bois sacré ». Les deux notions ne sont pas incompatibles, puisque le bois sacré pouvait être exploité et donner un revenu nommé lucar, « argent que l'on retire des bois sacrés »[1].

Comme souvent, les auteurs anciens ont un mythe de fondation qui attribue une origine plus ou moins historique à la création de la fête. Verrius Flaccus, retranscrit par Festus Grammaticus, rattache les Lucaria à la défaite désastreuse face aux Gaulois lors de la bataille de l'Allia, le . Les Romains fuyant le champ de bataille se seraient réfugiés dans le bois (en latin lucus) entre la via Salaria et le Tibre[2],[3]. À la suite de cette défaite, Rome est occupée par les Gaulois Sénons de Brennus et mise à sac. Le jour de cette défaite, le , le dies Alliensis, a toujours été considéré comme de mauvais augure par les Romains. Ce récit explicatif est comparable à celui de la Poplifugia qui implique également le sac gaulois de Rome[4]. Georges Dumézil suggère que cette légende est peut-être la mise en forme dramatisée et combinée à des événements historiques d'un processus progressif d'occupation des forêts par des groupes humains[5].

Déroulement[modifier | modifier le code]

Reproduction du calendrier des Fasti Antiates maiores Ier siècle av. J.-C. Fêtes notées sur le mois de Quintilis : deux fois LVCAR (Lucaria) NEPT (Neptunalia) FVR (Furrinalia).

Même s'ils nomment de nombreux et anciens bois sacrés sur les collines et dans les environs de Rome[6], les auteurs latins sont muets sur les Lucaria[7]. Le calendrier des fêtes romaines des Fastes d'Ovide s'arrête en juin. Une lacune dans le texte de Varron fait qu'elle manque de sa liste des fêtes[8]. Macrobe ne mentionne les Lucaria que dans une discussion grammaticale[9]. La date des Lucaria figure sur plusieurs calendriers, dont certains nous sont parvenus, plus ou moins fragmentaires : diverses inscriptions lapidaires, les Fasti Antiates maiores[10], les Fasti Amiternini, un calendrier datant du règne de Tibère[11].

Comme les autres fêtes du calendrier romain, les Lucaria se déroulent les 19 et 21 juillet, jours impairs avec un jour intermédiaire non festif, ce qui dans le calendrier des fêtes romaines, est généralement une marque de complémentarité entre deux fêtes[12].

Approche documentaire[modifier | modifier le code]

Puisque le caractère agraire des Lucaria apparait nettement, il faut chercher dans les traités rustiques des indications sur les travaux relatifs aux bois : Columelle[13] et Palladius[14] considèrent que la Lune décroissante de juillet est le meilleur moment pour extirper les arbres des champs forestiers, période qui débute avec les Lucaria. Columelle distingue deux traitements pour dégager un terrain boisé : arracher complètement les arbres avec leurs racines, ou, s'ils sont clairsemés, les couper au pied[15]. La différenciation de deux techniques, dont une exigeant plus de travail mais non systématique, expliquerait le dédoublement des Lucaria sur deux journées[16].

William Warde Fowler[7] a remarqué dans le traité De agri cultura de Caton l'Ancien la description d'un rituel préliminaire aux actions de coupe d'un bois (conlucare lucum), comportant le sacrifice d'un porc et une formule à réciter : « Qui que tu sois, dieu ou déesse, divinité à qui ce bois a été consacré, accepte l'offrande que je te fais avant de l'élaguer. En mémoire de ce sacrifice pardonne cet élagage que nous ferons, moi ou les miens sous mes ordres. C'est dans ce but qu'en l'offrant ce porc en expiation, je te conjure d'accorder ta protection à moi, à ma maison, à mes gens et à mes enfants. Agrée l'offrande expiatoire de ce porc que je vais te sacrifier[17]. » Caton indique ensuit un second rituel, à suivre si l'on creuse pour extraire les souches, avec le même sacrifice et une formule complétée par « En cas qu'on vienne à y travailler »[18]. Là aussi, Caton distingue deux techniques, la coupe des bois au pied, et l'arrachage des souches, auxquelles correspondent deux rituels. Ses préconisations s'appliquent à des bois privés et non aux bois sacrés publics, mais pour un Romain de son époque (IIe siècle av. J.-C.), tout bois susceptible d'abriter quelque entité divine est sacré[19].

Selon Georges Dumézil, on entrevoit donc la raison du dédoublement des Lucaria, reflétant deux techniques de déboisement[20]. Si ces fêtes permettaient l'occupation et l'exploitation sans sacrilège de zones boisées, on ignore faute d'information leur lieu précis de déroulement, leurs rituels symboliques et leurs célébrants[21].

Postérité[modifier | modifier le code]

En 2011, un des reliefs de l'astéroide Vesta a été nommé Lucaria tholus en évocation des fêtes romaines, l'astéroïde (4) Vesta étant lui-même porteur d'un nom romain[22].

Récemment, en 2018, la fête est symboliquement rétablie par la Surintendance archéologique de Rome, avec des événements et des spectacles se déroulant dans la zone archéologique de Crustumerium, à une quinzaine de kilomètres de Rome, au-delà de Settebagni, qui, selon des sources anciennes, correspond au bassin d'eau de l'Allia. Dans cette ville, une rue a d'ailleurs été nommée Via delle Lucarie[23].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Dumézil 1975, p. 42-43.
  2. Festus Grammaticus, De la signification des mots, I, LUCARIA lire en ligne.
  3. Dumézil 1975, p. 43.
  4. Warde Fowler 1899, p. 182–183.
  5. Dumézil 1975, p. 50-51.
  6. Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio, p. 477 lire en ligne
  7. a et b Warde Fowler 1899, p. 183.
  8. Varron, De lingua Latina, VI, 3 en ligne.
  9. Macrobe, Saturnales I, 4.15, lire en ligne
  10. Inscriptions trouvées à Rome pour les jeux CIL VI, 00877 et fragment de calendrier CIL VI, 02297.
  11. Réf. épigraphique : CIL IX, 4192. Jörg Rüpke, Religion of the Romans (Polity Press, 2007, initialement publié en allemand 2001), p. 189
  12. Dumézil 1975, p. 21-22 et 42.
  13. Columelle, De re rustica, XI, 2, 52.
  14. Rutilius Taurus Aemilianus Palladius, De l'économie rurale, VIII, 1.
  15. Columelle, De re rustica, II, 2, 8 et 11.
  16. Dumézil 1975, p. 45-46.
  17. Caton l'Ancien, De agri cultura, 139 lire en ligne.
  18. Caton l'Ancien, De agri cultura, 140
  19. Dumézil 1975, p. 48.
  20. Turcan 1977, p. 95.
  21. Dumézil 1975, p. 50.
  22. (en) « Gazetteer of Planetary Nomenclature Advanced Nomenclature Search (Target=Vesta) », sur usgs.gov (consulté le )
  23. (it) « Le Lucarie e le divinità dei boschi che salvarono Roma », sur Roma.com, (consulté le ).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Robert Turcan, « Compte-rendu de lecture de l'ouvrage ci-dessus », Revue de l'histoire des religions, t. 191, no 1,‎ , p. 94-97 (lire en ligne).
  • (en) William Warde Fowler, The Roman festivals of the period of the Republic; an introduction to the study of the religion of the Romans, (lire en ligne).
  • (it) Gioacchino Mancini, « Lucarie », sur Treccani, (consulté le ).