Intore

Rwandan Culture /Intore

L'Intore est un danseur-guerrier de l'Afrique des Grands Lacs, principalement du Rwanda et du Burundi. Devenu danseur professionnel, c'était, avant l'ère coloniale, un jeune combattant d'élite éduqué à la cour du mwami ou auprès de chefs, pour qui les danses guerrières faisaient partie de sa formation militaire[1]. Malgré l'évolution du contexte, l'Intore reste un symbole puissant, convoqué par les stratégies commerciales, touristiques ou idéologiques.

Étymologie[modifier | modifier le code]

Intore est dérivé de gutora (« prendre ») ou gutorana (« prélever, choisir »), en kinyarwanda. Ce sont donc « les meilleurs ».

Histoire[modifier | modifier le code]

Danseurs du Rwanda
(1929-1937)

Dans le Rwanda précolonial, les Intore constituent des corps de jeunes guerriers, sélectionnés, formés et éduqués pour servir le mwami ou les chefs locaux. Cette pratique aurait été instaurée au début du XVIe siècle lorsque le mwami Mukobanya (Kigeli Ier) demanda aux principaux chefs d'envoyer leurs fils à la cour[2]. L'Itorero est l'institution qui les prend en charge pendant plusieurs années. Les Intore y reçoivent une formation intensive et très complète : poésie, art de la louange, danse, autodéfense, maîtrise de soi, lutte, lancer du javelot, course à pied, gusimbuka (une forme de saut en hauteur très spectaculaire)[2]. Dès l'âge de douze ans, les jeunes garçons rêvent d'accéder au statut très envié de l'Intore qui est un « élu »[2].

Les écrits des voyageurs européens laissent entendre que les Intore étaient nécessairement des Tutsis. Or les Hutus et les Twa n'en étaient pas exclus[2].

Avec l'arrivée des Allemands et des Belges, les tensions entre les royaumes s'apaisent, les milices sont démantelées[3] et, dans les années cinquante, selon le père blanc Marcel Pauwels[4], la vogue des Intore semble passée. La plupart des chefs et des missions ont fini par y renoncer et seuls subsistent ceux du mwami à Nyanza et celui de la reine-mère à Shyogwe. Les danses deviennent des simulacres.

Le Ballet national du Rwanda (Urukerereza) est créé en 1974 à Nyanza, la capitale royale, qui en reste le siège jusqu'en 1994[3].

Costume et attributs[modifier | modifier le code]

L'Intore porte une parure de tête en forme de longue crinière, confectionnée à partir de fibres végétales, de bananier ou de sisal (umugana), un baudrier brodé de perles, un pagne en peau de serval ou de léopard (inkindi), avec des franges sur les côtés[5].

Dans la main droite il tient une lance (icumu[6]) et, dans la gauche, un petit bouclier de bois peint de motifs géométriques (ingabo)[3]

Les danseurs sont accompagnés par des tambourinaires et parfois de petits instruments à vent[7].

La mise en scène n'a pas tellement changé[7], mais dès 1959 le père Pauwels constate néanmoins une évolution : l'habit des Intore est devenu beaucoup plus attrayant, grâce aux étoffes qui ont remplacé le cuir et aux perles de couleurs vives et variées. Dans le passé les Intore n'en portaient probablement pas, car elles étaient rares et coûteuses, mais plutôt des amulettes, des coquillages ou quelques bracelets[8].

Représentations[modifier | modifier le code]

Fernand Allard l'Olivier, Les Lévriers de Musinga (1924).

Les danseurs, comme les guerriers, ont notamment inspiré les peintres africanistes belges[10], tels que Fernand Allard l'Olivier (1883-1933), André Hallet (1890-1959) ou Marthe Molitor (1904-1994)[11].

Au début des années 1950, la compagnie d'aviation Sabena, qui souhaite promouvoir le Congo belge en tant que destination touristique, choisit un danseur intore pour illustrer une affiche[12]. De fait, l'emblématique crinière tombante du danseur rwandais est parfois utilisée sans discernement par les supports publicitaires[13].

Outre l'exploitation commerciale, la figure de l'Intore est également au cœur d'enjeux idéologiques. Dans les années 2000, la tradition de l'Itorero est reprise – voire instrumentalisée[14] – par le régime du président Kagame qui cherche à raviver un dispositif de formation guerrière de l’époque précoloniale pour asseoir sa légitimité. La réactivation forcée de ce culte militaire, au nom de la reconstruction et de la réconciliation, inquiète les opposants au Rwanda et au sein de la diaspora.
De son côté, le réalisateur rwandais Eric Kabera a sorti en 2014 un long métrage documentaire, Intore[15], primé l'année suivante comme « meilleur film humanitaire »[16], dans lequel il montre comment l'art, la musique et la danse, associés à la résilience de la nouvelle génération, ont permis au pays de recouvrer son identité, anéantie par le génocide.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Thomas Riot, « Pratiques du corps, ethnicité et métissages culturels dans le Rwanda colonial (1945-1952) », in Cahiers d'études africaines, 4/2008, no 192, p. 815-834, [lire en ligne]
  2. a b c et d (en) John Bale, Imagined Olympians: Body Culture and Colonial Representation in Rwanda, University of Minnesota Press, 2002, p. 34-37
  3. a b et c Jean-Claude Klotchkoff (et al.), Le Rwanda aujourd'hui, Éditions du Jaguar, Paris, 2008 (2e éd.), p. 128-129
  4. Biographie de Marcel Pauwels [1]
  5. « Le pagne d'intore, inkindi », in Jan-B. Cuypers, L'Habillement du Rwanda ancien : typologie et technologie des vêtements, perspectives historique et sociale et catalogue du Musée national du Rwanda, Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren, 2004, p. 73-75 ; 195
  6. Jos Gansemans, Les instruments de musique du Rwanda : étude ethnomusicologique, Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren, 1988, p. 45}
  7. a et b (en) Aimable Twagilimana, « Intore », in Historical dictionary of Rwanda, Scarecrow Press, Lanham, Md., 2007 (nouvelle édition révisée), p. 89
  8. Marcel Pauwels, « Jeux et divertissements au Rwanda », in Annali Lateranensi, XXIV, 1960, p. 344-345
  9. a b c et d Musée royal de l'Afrique centrale
  10. Lynne Thornton, Les Africanistes, peintres voyageurs : 1860-1960 (trad. de l'anglais par Florence Austin et Marie-France Arlon), ACR, Courbevoie, 1990, p. 256-257 (ISBN 2-86770-045-0)
  11. Danseurs du Ruanda. Dix planches en couleurs par Marthe Molitor, l'auteur, Bruxelles, coll. des Arts eurafricains, 1952, 20 p., sur MuKanda [2]
  12. (en) John Bale, Imagined Olympians: Body Culture and Colonial Representation in Rwanda, University of Minnesota Press, 2002, p. 45
  13. « Arrêt sur image : un danseur Intore sous le régime Habyarimana sur du café burundais », Iwacu, 18 septembre 2014, [lire en ligne]
  14. Thomas Riot, « Au Rwanda, la tradition instrumentalisée : L’« itorero », un levier de pouvoir pour le président Paul Kagamé », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne)
  15. Affiche du film [3]
  16. (en) « Kabera's 'Intore' wins prestigious Humanitarian Award », The New Times, 5 novembre 2015 [4]

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Julius O. Adekunle, Culture and customs of Rwanda, Greenwood Press, Westport, Conn., 2007, XIX-164 p. (ISBN 978-0-313-33177-0)
  • (en) John Bale, Imagined Olympians: Body Culture and Colonial Representation in Rwanda, University of Minnesota Press, 2002, 277 p. (ISBN 9780816633869)
  • Jan-B. Cuypers, L'Habillement du Rwanda ancien : typologie et technologie des vêtements, perspectives historique et sociale et catalogue du Musée national du Rwanda, Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren, 2004, 206 p. (ISBN 90-75894-53-8)
  • Jos Gansemans, Les instruments de musique du Rwanda : étude ethnomusicologique, Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren, 1988, 361 p. (ISBN 90-6186-276-0)
  • Jean-Noël Maquet, « Changwe yetu ! », in Revue congolaise illustrée, no 8, , p. 24-26, [lire en ligne]
  • (en) Karim Ndayizeye et Clément Nzisabira, Problems encountered when translating Kirundi cultural expressions: the case of Intŏre performing related terms into English, Université de Ngozi (mémoire)
  • Jean-Baptiste Nkulikiyinka, « Introduction à la danse rwandaise traditionnelle », in Annales des sciences humaines (Tervuren), 166, 2002, 336 p., compte-rendu d'Hélène Dumas in Cahiers d'études africaines, 2006, no 181, p. 234-238, [lire en ligne]
  • Marcel Pauwels, « Jeux et divertissements au Rwanda », in Annali Lateranensi, XXIV, 1960, p. 219-363.
  • Marthe Molitor, Gaston-Denis Périer (1879-1962), Albert Gille, Danseurs du Ruanda : dix planches en couleurs, Edition des artistes, Bruxelles, 1952, 19 p.
  • Thomas Riot, « Pratiques du corps, ethnicité et métissages culturels dans le Rwanda colonial (1945-1952) », in Cahiers d'études africaines, 4/2008, no 192, p. 815-834, [lire en ligne]
  • (rw) Beata Maria Shyaka, Danses rwandaises traditionnelles des Intore, 1925-1959, Éditions de l'Université nationale du Rwanda, Kigali, 2013, 466 p.
  • (nl) Albert Van Hoeck, « De Ntore van Ruanda », in Band, no 5, , p. 199-203

Filmographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

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