Guibert de Nogent

Guibert de Nogent
Naissance v. 1055
Clermont (Oise)
Décès
Abbaye de Nogent-sous-Coucy
Activité principale
Chroniqueur
Historien
Auteur
Langue d’écriture Latin
Genres
Chronique
Historique
Traité théologique

Guibert de Nogent (1053, près du village de Catenoy dans le Beauvaisis - † vers 1125, à l'abbaye de Nogent-sous-Coucy, près de Soissons) est un écrivain, théologien et historien français d'époque médiévale. Divers historiens positivistes le considérèrent comme un précurseur de la méthode historique, parce qu'il recourait aux sources écrites, orales et matérielles, parce qu'il opérait leur recoupement mutuel et parce qu'il se livrait à une approche critique de leur contenu en fonction de leur degré de fiabilité. Ainsi ses Gesta Dei per Francos, et principalement son De Pignoribus sanctorum, furent-ils longtemps considérés dans cette optique comme des ouvrages rationalisants, annonciateurs de Calvin et de Voltaire[1]. Mais ces titres de gloire sont remis en question par des auteurs plus récents qui soulignent l'omniprésence du surnaturel dans les écrits de Guibert[2].

Biographie[modifier | modifier le code]

Il est né un Samedi saint, veille de Pâques, près du village de Catenoy dans le Beauvaisis. Les historiens contemporains peinent à fixer l'année de naissance de Guibert. Comme le fait remarquer Labande : « N'eût été de son autobiographie, nous ne saurions que peu de choses de l'homme »[3].

D'après l'analyse quelque peu datée faite par François Guizot[4], historien positiviste du XIXe siècle, ce serait le . Pour Benton, il serait né en 1064[5], pour d'autres vers 1053 ; Rubenstein de son côté plaide pour un compromis et pointe vers 1060[6].

Cette naissance au château de sa famille, voisin de Catenoy, dans le diocèse de Beauvais, si elle est assez longuement décrite par l’auteur, est cependant assez peu documentée quant à sa date. Guibert resta ainsi relativement « insouciant » en matière de chronologie dans son œuvre en général, remarqua Jacques Chaurand[7]. Guibert s’est ainsi contenté d’indiquer qu’il était né le Samedi saint, à l’époque où en avril les joncs sortaient de terre dans la région[8].

Il dit plus loin qu’il n’était pas encore né au moment de la bataille de Mortemer, au cours de laquelle son père avait été fait prisonnier ; cette bataille avait opposé, en , les troupes du roi de France Henri Ier à celles du duc Guillaume de Normandie[9]. Un désaccord existe donc chez les historiens pour situer cette date, Mabillon la fixant en 1053, Edmond-René Labande estimant plus simple de suggérer la date du [10], ce en quoi il est rejoint par Monique Cécile Garand[11].

Il est issu de la noblesse baroniale picarde, et est probablement né à Clermont de l'Oise[12], où son père était vassal du seigneur de cette ville[13].

Sa naissance fut difficile. Guibert écrit à ce propos : « Déjà père, amis et parents se sentaient accablés par de funestes angoisses pour l'un et pour l'autre, car, outre que l'enfant, estimaient-ils, allaient hâter la mort de sa mère, tous s'apitoyaient encore sur la perte d'un enfant à qui serait refusée la porte de la vie »[14]. C'est pourquoi ses parents convinrent d'offrir l'enfant à la Vierge, s'il venait au monde vivant[15]. Il n'était pas né que sa voie était tracée. On avait décidé qu'il serait oblat.

Guibert était le dernier-né de ses parents. Son père mourut quand il avait six mois, circonstance dont le moine, plus tard, n’a pas hésité à rendre grâce à Dieu, affirmant que son père, s’il avait vécu, aurait brisé le vœu de le faire oblat[16]. Sa mère au contraire se chargea de lui faire donner l’éducation cléricale qu’appelait sa consécration. Cette première éducation se fit sous la supervision d’un pédagogue, dont le portrait réalisé par Guibert flatte ses mérites spirituels, mais s’attarde également sur son ignorance et sa violence[17].

Il devient moine à l'abbaye bénédictine Saint-Germer-de-Fly jusqu'en 1104, date au cours de laquelle il est élu abbé de l'abbaye de Nogent-sous-Coucy. Il est un des principaux chroniqueurs de la première croisade qu'il raconte dans ses Gesta Dei per Francos. Il est mort vers 1125[18].

Son Autobiographie (De vita sua, sive monodiarum[19],[20]) a été annotée et traduite par Edmond-René Labande, en 1981.

Liste de ses œuvres[modifier | modifier le code]

Liste des œuvres de Guibert de Nogent[21]
Lieu et date Commentaires scripturaires et textes spirituels Œuvres historiques Destinataires
Abbaye bénédictine Saint-Germer-de-Fly, entre 1075 et 1080 De Virginitate, première version Salomon, ami de l'auteur et demandeur
Abbaye Saint-Germer-de-Fly, entre 1083 et 1086 Quo Ordine sermo fieri debeat et Moralia Geneseos dans sa première version
Abbaye Saint-Germer-de-Fly, avant 1104 Tropologiæ, première version, perdue
Abbaye de Nogent-sous-Coucy, entre 1106 et 1111 Gesta Dei per francos Lisiard, évêque de Soissons, dédicataire
Abbaye de Nogent-sous-Coucy, entre 1109 et 1110 Contra iudaizantem et Iudæos Bernard, doyen de Soissons, demandeur
Abbaye de Nogent-sous-Coucy, vers 1113 Moralia Geneseos, deuxième version Barthélemy de Jur, évêque de Laon, dédicataire
Abbaye de Nogent-sous-Coucy, entre 1114 et 1115 De vita sua sive Monodiæ
Abbaye de Nogent-sous-Coucy, entre 1113 et 1119 De laude sanctæ Mariæ et De virginitate, deuxième version
Abbaye de Nogent-sous-Coucy, entre 1116 et 1119 De Pignoribus sanctorum Odon, abbé de Saint-Symphorien de Beauvais, dédicataire
Abbaye de Nogent-sous-Coucy, entre 1119 et 1120 Epistola de bucella Iudæ data et de veritate dominici corporis Siffroy, prieur de Saint-Nicolas-aux-Bois, puis abbé de l'abbaye Saint-Vincent de Laon, demandeur
Abbaye de Nogent-sous-Coucy, entre 1121 et 1122 Tropologiæ in prophetis, livre premier Norbert de Xanten, abbé de l'abbaye de Prémontré, dédicataire
Abbaye de Nogent-sous-Coucy, entre 1123 et 1124 Tropologiæ in prophetis, livre second Geoffroy Coucerf, abbé de Saint-Médard de Soissons et Alard, abbé de Florennes, tous deux dédicataires
  • Venerabilis Guiberti, abbatis B. Mariae de Novigento, Opera omnia, prodeunt nunc primum in lucem, una cum appendice ad librum tertium de vita ipsius, nimirum Hermanni Monachi libri tres de miraculis S. Mariae, sive de reparatione Laudunensis ecclesiae, de gestis Bartholomaei episcopi ac de origine et incremento Praemonstratensis ordinis. Item notae et observationes (vetustis monumentis refertæ) ad quosdam V. Guiberti libros. His accedunt additamenta in quibus vitae S. Geremari, B. Simonis comitis Crespeiensis et S. Salabergae abbatissae nec non Hugonis Rothomagensis Archiepisc. libri tres dogmatum christianae fidei contra haereticos sui temporis et Roberti de Monte accessiones atque appendix germana ad Sigibertum. Omnia studio et opera D. Lucae d'Achery, Paris, Sumptibus Ioannis Billaine, (lire en ligne)

Œuvres traduites[modifier | modifier le code]

  • Histoire de sa vie (1053-1124) (De vita sua, vers 1115), édi. par G. Bourgin, 1907 ; Autobiographie, trad. Edmond-René Labande, Les Belles Lettres, coll. « Classiques de l'histoire du Moyen Âge », 1981, 496 p. ; Histoire de ma vie (1053-1125), trad. Éric Roux, Éditions Paléo, 2011, 200 p.
  • Suite de la vie de Guibert, par lui-même. Vie de saint Bernard, par Guillaume de saint-Thierri, Arnaud de Bonneval, Geoffroy de Clairvaux, Collection de mémoires relatifs à l'histoire de France, 1825 ; Hachette Livre BNF, 2012, 482 p.
  • Histoire des croisades (Gesta Dei per Francos, vers 1111), trad. F. Guizot, Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, 1825 ; Hachette Livre BNF, 2012, 523 p. ; Geste de Dieu par les Francs. Histoire de la première croisade, trad. M.-C. Garand, Turnhout, 1998.
  • Histoire des croisades, par Guibert de Nogent. Vie de Guibert de Nogent par lui-même, 1825 ; LEN POD, 2017.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Gabriel Thériault, Intervention divine et violence sacrée dans les « Gesta Dei per Francos » de Guibert de Nogent et la « Vita Ludovici Grossi regis » de Suger, Mémoire de Maitrise en histoire à L’Université de Montréal, 2008, p. 203. Laurence Terrier, La doctrine de l'eucharistie de Guibert de Nogent. De pigneribus, livre II. Texte et traduction, Paris, Vrin, 2013.
  2. (en) Jay Rubenstein, Guibert of Nogent - Portrait of a Medieval Mind, op. cit., p. 5-9.
  3. Guibert de Nogent, Autobiographie, introduction, édition et traduction par Edmond-René Labande, Paris, Les Belles Lettres, dans Les classiques de l'histoire de France au Moyen Âge, 1981, 496 p. IX.
  4. Le samedi saint veille de Pâques, page 351 dans Vie de Guibert de Nogent dans Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France (numérisé par Gallica) de François Guizot.
  5. (en) John F. Benton, Thomas N. Bisson, « The Personality of Guibert de Nogent », dans, Culture, Power and Personality in Medieval France, London, Hambledon Press, 1991, p. 297.
  6. (en) Jay Rubenstein, Guibert of Nogent - Portrait of a Medieval Mind, New York, Routledge, 2002, p. 17.
  7. Jacques Chaurand, « La conception de l’histoire de Guibert de Nogent (1053-1124) », dans Cahiers de civilisation médiévale, Poitiers, 1965, VIII, p. 389.
  8. (la) « solenne sabbatum, vigilia scilicet paschalis » et « iduato ferme aprili junci », Guibert de Nogent, Autobiographie, op. cit., p. 18.
  9. (la) « necdum enim natus eram, nec longo post tempore fui, et ideo matris supersedeo nomini », Guibert de Nogent, Autobiographie, p. 88.
  10. Guibert de Nogent, Autobiographie, op. cit., p. IX.
  11. Monique Cécile Garand, Guibert de Nogent et ses secrétaires, Brepols, Turnhout, 1995, p. 12.
  12. Georges Grente (dir.), Dictionnaire des lettres françaises, tome 1, Le Moyen Âge, Paris, Fayard, 1958, p. 588.
  13. Monique Cécile Garand, op. cit., p. 11.
  14. Guibert de Nogent, Autobiographie, […], op. cit., p. 19 : « Jam patrem, amicos ac parentes funestus utroque meoror obtriverat, quia dum matri mortem proles accelerat, prolis similiter exitium, dum ei negatur exitus, compassionis omnibus materias afferebat. »
  15. Élisabeth Nortier, « Guibert de Nogent face à la société chrétienne de son temps (v. 1055-1125) », dans Christianisation et déchristianisation : actes de la IXe rencontre d'histoire religieuse, Fontevraud, Angers, Presse de l'université d'Angers, 1986, p. 64.
  16. (la) « nulli dubium erat quin, cum literis ediscendis habile tempus adesset, ea quæ de me fecerat votaresolveret », Guibert de Nogent, Autobiographie, p. 24.
  17. (la) « Is itaque / cui mei operam mater mandare decreverat, addiscere grammaticam grandævus incœperat, tantoque circa eandem artem magis rudis extitit, quanto eam a tenero minus ebiberat. » ; « Interea sæva ferequotidie alaparum ac verberum grandine lapidabar, dum ipse me cogeret discere, quæ docere nequiverat. » Guibert de Nogent, Autobiographie, pp. 26-32.
  18. Jacques Chaurand, Cahiers de Civilisation médiévale - La conception de l'histoire de Guibert de Nogent (1053-1124), tome 8, 1965, p. 381-395. À propos de l'omniprésence du surnaturel dans les œuvres historiques, Duby écrit : « Ils sont envahis de revenants, de démons, d'anges. » Georges Duby, Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978, p. 266.
  19. Traduction de l'histoire de sa vie de Guibert de Nogent.
  20. Guibert de Nogent, Autobiographie, introduction, édition et traduction par Edmond-René Labande, Paris, Les belles lettres, Les classiques de l'Histoire de France au Moyen Âge, 1981, 496 p.
  21. Monique Cécile Garand, op. cit., p. 25.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • François Guizot, « Vie de Guibert de Nogent », dans Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France depuis la fondation de la monarchie jusqu'au 13e siècle avec une introduction, des supplémens, des notices et des notes, Paris, Chez J.-L.-J. Brière libraire, (lire en ligne), p. 4-131
  • Charles Thurot, « Études critiques sur les historiens de la première croisade Guibert de Nogent », Revue historique, t. 2,‎ , p. 104-111 (lire en ligne)
  • Auguste Molinier, « 1856. Guibert de Nogent, abbé de Nogent-sous-Coucy », dans Les sources de l'histoire de France des origines aux guerres d'Italie, t. 2- Époque féodale, les Capétiens jusqu'en 1180, Paris, Alphonse Picard et fils éditeurs, (lire en ligne), p. 186-187
  • Auguste Molinier, « 2121. Guibert de Nogent, Gesta Dei per Francos », dans Les sources de l'histoire de France des origines aux guerres d'Italie, t. 2- Époque féodale, les Capétiens jusqu'en 1180, Paris, Alphonse Picard et fils éditeurs, (lire en ligne), p. 283
  • Bernard Monod, « Juifs, sorciers et hérétiques au moyen âge, d'après les mémoires d'un moine du XIe siècle (Guibert de Nogent) », Revue des études juives, t. 46, no 92,‎ , p. 237-245 (lire en ligne)
  • Jacques Chaurand, « La conception de l'histoire de Guibert de Nogent (1053-1124) », Cahiers de civilisation médiévale, vol. 8, nos 31-32,‎ , p. 381-395 (lire en ligne).
  • Monique-Cécile Garand, « Le scriptorium de Guibert de Nogent », Scriptorium, t. 31, no 1,‎ , p. 3-29 (lire en ligne)
  • Eitan Burstein, « Quelques remarques sur le vocabulaire de Guibert de Nogent », Cahiers de Civilisation Médiévale, vol. 21, no 83,‎ , p. 253-263 (lire en ligne)
  • Louis Carolus-Barré, « Georges de Y, antiquaire ( 1640), et le manuscrit de Guibert de Nogent, De vita sua », Bibliothèque de l'École des chartes, t. 142, no 2,‎ , p. 317-324 (lire en ligne)
  • Dominique Barthélemy, « Lectures de Guibert de Nogent (Autobiographie, III, 1-11) », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, no 16,‎ , p. 175-192 (lire en ligne)
  • Jacques Chaurand, « Le sentiment régional chez Guibert de Nogent (moine picard - 1055-1124 ?) », Nouvelle revue d'onomastique, nos 5-6,‎ , p. 3-7 (lire en ligne)
  • Georges Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, , p. 151-172.
  • Laurence Terrier, La doctrine de l'eucharistie de Guibert de Nogent, Paris, .

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]