Guerre des prix du pétrole entre l'Arabie saoudite et la Russie

Drapeaux de la Russie (gauche) et de l'Arabie saoudite (droite)

La guerre des prix du pétrole entre l'Arabie saoudite et la Russie commence au début mars 2020 à la suite de l'échec des négociations sur les quotas de production de l'OPEP et de la Russie, alors que la pandémie de Covid-19 ralentit de façon notable la production des pays industrialisés depuis le début de 2020. Le , l'Arabie saoudite réduit le prix de son pétrole brut et annonce vouloir augmenter sa production pétrolière en avril, ce qui provoque une baisse mondiale du prix du baril de pétrole[1],[2], mais la Russie refuse encore de collaborer. Le 12 avril, l'OPEP, la Russie, les États-Unis et d'autres pays s'accordent pour réduire significativement la production mondiale, ce qui met fin de facto à ce conflit commercial. Cette guerre économique est l'une des causes majeures du krach boursier de 2020.

Contexte[modifier | modifier le code]

En 2014, la production d'huile de schiste augmente alors que la production des pétroles conventionnels reste au même niveau. Dans la foulée, l'Arabie saoudite décide de lancer une guerre des prix pour forcer les États-Unis, principal producteur d'huile de schiste, à adhérer à une politique commune de l'offre du pétrole. Après un an, l'Arabie saoudite renonce à cette guerre de prix parce que les producteurs américains poursuivent leur production[3]. De 2014 à 2016, le prix du baril de pétrole passe de 114 US$ à environ 27 US$.

En septembre 2016, l'Arabie saoudite et la Russie décident de planifier conjointement leur production pétrolière. D'autres pays suivent leur consignes, qu'ils soient membres de l'OPEP ou non ; ce regroupement est appelé « OPEP+ »[4].

De 2016 à janvier 2020, l'OPEP+ réduit son offre de 2,1 millions de barils par jour (ou 2,1 Mbpj), l'Arabie saoudite réduisant le plus son volume de production[5].

Au début 2020, à cause de la pandémie de Covid-19, la production industrielle mondiale est réduite, ce qui provoque également une consommation moindre du pétrole ; le prix du baril diminue en conséquence[6]. Par exemple, de janvier à avril 2020, la consommation mondiale de pétrole diminue de 30 %[7].

Histoire[modifier | modifier le code]

Le , l'Agence internationale de l'énergie annonce que la demande mondiale de pétrole pourrait diminuer de 0,425 Mbpj[6].

Une diminution marquée de la consommation chinoise, la plus importante depuis 2008 (à la suite de la crise bancaire et financière de l'automne 2008), déclenche une réunion des membres de l'OPEP à Vienne le , où ils s'entendent pour réduire leur production de 1,5 Mbpj pendant le second quart de l'année (pour atteindre ainsi une réduction de 3,6 Mbpj comparativement à l'entente de 2016)[8]. L'OPEP interpelle la Russie et d'autres pays producteurs qui ne sont pas membres de l'OPEP mais qui font partie de l'OPEP+ de participer à cet effort[5]. Le , la Russie refuse de collaborer, ce qui met fin à l'entente informelle de 2016. Le prix du pétrole diminue de 10 % dans les jours qui suivent l'annonce[9],[10].

Évolution du prix quotidien du WTI du au . Le 20 avril 2020, son prix est négatif pour la première fois de son histoire[11].

En réponse au refus russe, l'Arabie saoudite réduit le prix de son pétrole et décide d'augmenter sa production, peut-être pour forcer la Russie à retourner à la table de négociations. Toutefois, puisque la demande mondiale de pétrole est en fort recul comparativement à 2019 — la Chine, qui consomme environ 14 % de la production mondiale du pétrole, a beaucoup réduit ses activités à cause de la pandémie de Covid-19, et les transporteurs aériens, qui consomment 8 % de la demande mondiale, ont aussi considérablement réduit leurs activités pour la même raison[12] —, la tactique retenue par l'Arabie saoudite pourrait nuire à ses intérêts[13]. Pour sa part, la Russie, en refusant de réduire ses quotas de production, semble poursuivre trois objectifs : mettre à mal l'extraction d'huile de schiste aux États-Unis (industrie bénéficiaire à cause des prix élevés du pétrole), forcer les États-Unis à réduire leur production pétrolière (pour faire remonter le prix du pétrole) et répliquer à la décision de « Donald Trump de sanctionner la construction du gazoduc Nord Stream 2 » (un second gazoduc qui vise à alimenter l'Europe en gaz naturel russe)[14]. Selon Rosneft, si la Russie avait accepté une baisse de production de pétrole pour maintenir le prix au niveau de février 2020 par exemple, l'huile de schiste américain aurait trouvé preneur sur le marché mondial de l'énergie, ce qui n'aurait pas été favorable à l'écoulement du pétrole russe[15]. En février 2020, l'administration Trump a également imposé des sanctions contre Rosneft, la plus importante société de la Russie par le chiffre d'affaires[16],[17].

Même si le prix du baril de pétrole remonte à partir de la semaine du 9 mars, le président des États-Unis, Donald Trump, déclare le vouloir « agir en tant que médiateur pour faciliter la guerre de l’offre en pétrole entre l’Arabie saoudite et la Russie ». Le pays est en effet un grand consommateur de pétrole et le plus grand producteur de pétrole en 2020 ; la viabilité économique de son industrie d'extraction d'huile de schiste est menacée par la diminution des prix du pétrole[18],[12]. À la mi-mars 2020, la Banque centrale du Nigeria dévalue la monnaie du pays, le naira, face au dollar américain, pour tenter de réduire les impacts économiques consécutifs à la dévaluation de son marché des actions et à la valeur de ses obligations[19]. Vers la fin mars 2020, la Norvège, plus grand exportateur de pétrole de l'Europe, voit une diminution de sa devise relativement à l'euro ; la Banque centrale de la Norvège envisage alors d'intervenir pour soutenir le cours de la devise, pour la première fois en deux décennies[20].

Pendant les négociations du à Vienne, les responsables russes arguent qu'il est trop tôt pour appliquer des réductions (mais ils ignorent alors l'impact à venir de la pandémie de Covid-19) sur la production et que la deuxième guerre civile libyenne (en cours depuis 2014) a réduit la production mondiale d'environ 1 Mbpj, ce qui compense la baisse de la demande à ce moment[21].

Le , les ministres de l'énergie et des affaires étrangères de l'Arabie saoudite publient un communiqué dans lequel ils critiquent le refus du président russe Vladimir Poutine de collaborer[22].

Plus tard, l'OPEP et la Russie annoncent vouloir réduire leur production de 10 Mbpj dès le mois de mai. Ensuite, leur production devrait augmenter en l'espace de quelques mois pour atteindre une réduction de 6 Mbpj en janvier 2020. Toutefois, la réalisation de ce projet est conditionnée au soutien des États-Unis, premier producteur mondial de pétrole[7]. Même avec cette réduction, Fatih Birol, directeur de l'Agence internationale de l'énergie, estime que les réserves de pétrole augmenteront de 15 Mbpj dès le second trimestre et que 50 millions d'emplois, liés au raffinage et à la vente, sont en jeu[23].

Le , l'OPEP, la Russie, les États-Unis et d'autres pays, au terme d'une rencontre de négociations, annoncent vouloir réduire la production mondiale de 9,7 Mbpj à partir du dans le but de faire remonter le prix du baril de pétrole[24].

Le Canada, 4e plus important producteur de pétrole brut mondial, n'a pas officiellement décidé de souscrire à l'entente. Le gouvernement fédéral des États-Unis, même s'il adhère à l'entente, n'a aucun pouvoir de coercition envers les producteurs de pétrole ; cette industrie est en effet régie par chaque État américain, et les autorités du Texas, principal producteur pétrolier des États-Unis, sont divisées sur la question.

Des experts affirment que la réduction de 10 Mbpj est insuffisante pour faire remonter le prix du baril de pétrole puisque la demande mondiale est nettement plus faible que la production en cours. Des propositions de réduire encore plus l'offre, de 15 à 20 Mbpj supplémentaires, ont été émises lors des négociations, mais les participants ont refusé[25].

Suites[modifier | modifier le code]

Le 9 avril, l'agence de presse Reuters rapporte que « si l'Arabie saoudite échouait à réduire le débit, les sénateurs américains demanderaient à la Maison blanche d'imposer des sanctions envers Riyadh, de retirer les troupes américaines du royaume et d'imposer des tarifs sur le pétrole saoudien »[trad 1],[26].

Vers la fin avril, des experts prédisent que la production mondiale devrait être réduite de 30 Mbpj pour faire remonter le prix du baril[27]. Aux États-Unis, « marché enclavé », les réserves auraient atteint de 70 % à 80 % des capacités de stockage nationales, ce qui explique que le prix du baril US se vend en moyenne sous les 13 US$ au 20 avril 2020[27].

Au début juin 2020, l'OPEP et d'autres pays producteurs de pétrole décident de prolonger d'un mois leur accord de réduction, qui aurait permis de faire doubler le prix du baril en l'espace de deux mois. La Russie et l'Arabie saoudite souhaitent que le prix du baril de pétrole soit plus élevé, tout en ne permettant pas aux producteurs américains de pétrole de schiste d'atteindre un bénéfice. Toujours au début juin 2020, « il reste encore à l'OPEP un milliard de barils de stocks de pétrole excédentaires accumulés depuis mars »[28].

Notes et références[modifier | modifier le code]

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de la page de Wikipédia en anglais intitulée « 2020 Russia–Saudi Arabia oil price war » (voir la liste des auteurs).

Citations originales[modifier | modifier le code]

  1. (en) « If Saudi Arabia failed to rein in output, US senators called on the White House to impose sanctions on Riyadh, pull out US troops from the kingdom and impose import tariffs on Saudi oil. »

Références[modifier | modifier le code]

  1. « Pétrole : l’alliance avec l’Opep pour stabiliser les prix n’est pas morte, pour la Russie », Capital,‎ (lire en ligne)
  2. « Pétrole : la guerre des prix se poursuit, le baril sous les 30 dollars », La Voix du Nord,‎ (lire en ligne)
  3. « Coronavirus : pourquoi l'Arabie saoudite a déclenché une nouvelle guerre des prix du pétrole », France 24,‎ (lire en ligne)
  4. Armin Arefi, « Guerre du pétrole : « Moscou perd à tous les coups » », Le Point international,‎ (lire en ligne)
  5. a et b (en) « OPEC and how it has dealt with oil price crashes », sur Reuters, (consulté le )
  6. a et b (en) « IEA: Oil Demand To Fall For First Time In A Decade », sur OilPrice.com (consulté le )
  7. a et b « L'OPEP réduira fortement sa production quotidienne », Radio-Canada.ca,‎ (lire en ligne)
  8. (en) Sam Meredith,Holly Ellyatt, « Oil drops as OPEC agrees on massive oil supply cut to offset virus impact; awaits Russia's approval », sur CNBC, (consulté le )
  9. (en-GB) « Oil plunges 10% after Opec deal collapses », BBC News,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. (en-US) Stanley Reed, « Oil Prices Nose-Dive as OPEC and Russia Fail to Reach a Deal », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
  11. David Sheppard, Myles McCormick, Derek Brower et Hudson Lockett, « US oil price below zero for first time in history », Financial Times,‎ (lire en ligne Accès payant, consulté le )
  12. a et b « Les marchés pétroliers plongent dans une guerre des prix », La Croix,‎ (lire en ligne)
  13. AFP, « La guerre des prix du pétrole, pari risqué de l'Arabie saoudite », Le Point,‎ (lire en ligne)
  14. Myrtille delamarche, « Pourquoi la Russie a relancé la guerre des prix du pétrole », L'usine nouvelle,‎ (lire en ligne)
  15. « Énergie.Prix du pétrole : la guerre est déclarée », Courrier international,‎ (lire en ligne)
  16. (en) « Russia Takes Aim at U.S. Shale Oil Producers », The Wall Street Journal,‎ (lire en ligne)
  17. (en) « What's behind Saudi Arabia's oil price war with Russia? », Al-Jazeera,‎ (lire en ligne)
  18. AFP, « Le pétrole poursuit sa reprise », La Presse,‎ (lire en ligne)
  19. (en) Elliot Smith, « Africa's largest economy braces for big hit as oil prices plummet », CNBC,‎ (lire en ligne, consulté le )
  20. (en) « Norway Warns It May Intervene to Stop Historic Krone Slump », Bloomberg,‎ (lire en ligne, consulté le )
  21. (en) « OPEC Tries to Head Off Oil Glut as Coronavirus Saps Demand », The New York Times,‎ (lire en ligne, consulté le )
  22. (en) « OPEC+ Meeting to Be Delayed on New Saudi, Russia Rift », Bloomberg,‎ (lire en ligne, consulté le )
  23. (en) « IEA's Birol: Oil refining and retail industry risks losing 50 million jobs worldwide », FXStreet,‎ (lire en ligne, consulté le )
  24. « Les pays de l’OPEP+ parviennent à un accord pour réduire la production mondiale », Radio-Canada.ca,‎ (lire en ligne)
  25. (en) Trent Jacobs, « OPEC+ Moves to End Price War With 10 Million B/D Cut », Journal of Petroleum Technology,‎ (lire en ligne)
  26. (en) Reuters, « Saudi Arabia, Russia Agree to Record Oil Cut Under US Pressure as Demand Crashes », VOA News,‎ (lire en ligne)
  27. a et b « Le baril de pétrole canadien sous la barre des 0 $ », Radio-Canada.ca,‎ (lire en ligne)
  28. Reuters, « L'OPEP+ prolonge d’un mois son accord de baisse de la production de pétrole », Radio-canda.ca,‎ (lire en ligne)

Articles connexes[modifier | modifier le code]