Fluorure d'argent(I)

Fluorure d'argent
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Identification
Nom UICPA Fluorure d'argent(I)
No CAS 7775-41-9
No ECHA 100.028.996
No CE 231-895-8
No RTECS VW4250000
PubChem 62656
SMILES
Apparence cristaux cubiques jaune-marron, hygroscopiques
Propriétés chimiques
Formule AgF  [Isomères]
Masse molaire[2] 126,866 6 ± 0,000 2 g/mol
Ag 85,02 %, F 14,98 %,
Moment dipolaire 6,22 ± 0,30 D[1]
Propriétés physiques
fusion 435 °C
ébullition 1 159 °C
Solubilité 1 820 g·l-1 H2O à 15,5 °C
Masse volumique 5,852 g·cm-3
Cristallographie
Système cristallin Cubique
Réseau de Bravais cF
Symbole de Pearson
Classe cristalline ou groupe d’espace Fm3m, (no 225)
Notation Schönflies
Strukturbericht B1
Structure type NaCl[3]
Précautions
SGH[4]
SGH05 : CorrosifSGH07 : Toxique, irritant, sensibilisant, narcotique
Danger
H314, P280, P305, P310, P338 et P351
SIMDUT[5]
D2B : Matière toxique ayant d'autres effets toxiques
D2B,
NFPA 704

Unités du SI et CNTP, sauf indication contraire.

Le fluorure d'argent (I) (AgF) est un composé inorganique. C'est un des trois principaux fluorures d'argent, les autres étant l'hémifluorure d'argent Ag2F et le difluorure d'argent AgF2. Le fluorure d'argent(I) a peu d'applications spécifiques. Il peut être employé comme agent de fluoration et de désilylation en synthèse organique et comme antiseptique en solution aqueuse pour le traitement local de caries.

Les hydrates de fluorure d'argent(I) sont incolores, tandis que les composés anhydrides purs sont jaunes.

Préparation[modifier | modifier le code]

Ce composé peut être obtenu avec un haut niveau de pureté en chauffant du carbonate d'argent à 310 °C sous une atmosphère de fluorure d'hydrogène, dans un tube de platine[6].

Ag2CO3 + 2HF → 2AgF + H2O + CO2

La synthèse en laboratoire de ce composé évite d'utiliser le fluorure d'hydrogène. Une des méthodes utilisées est la décomposition thermique du tétrafluoroborate d'argent :

AgBF4 → AgF + BF3

Une autre voie de synthèse est possible. De l'oxyde d'argent(I) est dissous dans une solution aqueuse concentrée de fluorure d'hydrogène, donnant l'acide fluorhydrique ; le composé d’intérêt précipite par ajout d'acétone[6].

Ag2O + 2HF → 2 AgF + H2O

Propriétés[modifier | modifier le code]

Structure[modifier | modifier le code]

La structure de AgF a été déterminée par diffraction des rayons X[7]. Le cristal adopte une structure cubique à faces centrées, du groupe d'espace Fm3m en notation de Hermann-Mauguin. Son paramètre de maille est 4,936(1) Å, bien plus faible que celui du AgCl ou du AgBr[8].

Des études de diffraction neutronique et de rayons X ont montré que, à 2,70(2) GPa, une transition cristalline se produit. La phase polymorphe (AgF-II) apparaît avec une structure de type chlorure de césium avec un paramètre de maille de 2,945 Å[9],[10]:770. Le volume associé diminue de 10%[9].

Une troisième structure, AgF-III, apparaît lorsque la pression redescend à 2.59(2) GPa. Cette phase a une structure inverse de celle de l'arséniure de nickel. Ses paramètres de mailles sont a = 3,244(2) Å et c = 6,24(1) Å ; la structure d'origine n'est restituée que lorsque la pression est abaissée à 0,9(1) GPa.

Un comportement non stœchiométrique est prouvé dans les trois structures sous des conditions extrêmes de pression[11],[9].

Spectroscopie[modifier | modifier le code]

Le fluorure d'argent(I) présente des propriétés optiques atypiques. La théorie des bandes prédit que l'absorption de l'exciton fondamental serait supérieur à celui d'AgCl (5,10 eV) et correspondrait à une transition d'une bande de valence anionique comme pour les autres halogénures d'argent. Expérimentalement, l'exciton fondamental pour AgF se situe à 4,63 eV[12].

Cet écart peut être expliqué par la position de la transition depuis une bande de valence avec un fort caractère de l'orbitale 4d de l'argent[8]. L'indice de réfraction est de 1.73(2)[7].

Photosensibilité[modifier | modifier le code]

Contrairement aux autres halogénures d'argent, le fluorure d'argent(I) anhydre n'est pas très photosensible, ce qui n'est pas le cas de son dihydrate[13],[14].

En considérant cela ainsi que sa solubilité dans l'eau, il n'est pas surprenant que ce sel d'argent ait trouvé une application en photographie, comme le montre le brevet américain pour une méthode expérimentale basée sur AgF, déposé en 1970[15].

Solubilité[modifier | modifier le code]

Contrairement aux autres halogénures d'argent, AgF est très soluble dans l'eau, (1 800 g/l), et il est même un peu soluble dans l'acétonitrile.

Ce composé est un cas unique parmi les composés d'argent(I) et des halogénures d'argent car il peut former les hydrates AgF,2H2O et AgF,4H2O par précipitation depuis des solutions aqueuses[16]:1185[17]. Tout comme les fluorures de métaux alcalins, AgF se dissout dans le fluorure d'hydrogène pour donner une solution conductrice, donc avec production d'ions[18].

Applications[modifier | modifier le code]

Synthèse organique[modifier | modifier le code]

Le fluorure d'argent(I) trouve une application en chimie organique du fluor pour l'addition de fluorure aux liaisons multiples. Par exemple, AgF ajouté à des alcènes perfluorés donne, dans l'acétonitrile, des dérivés de perfluoroalkyle d'argent(I)[19].

Il peut aussi servir d'agent de désulfuration-fluoration sur des dérivés de la thiocarbamide[17].

Grâce à sa haute solubilité dans l'eau et dans les solvants organiques, c'est une source pratique d'ions fluorure pour fluorer des halogénoalcanes en conditions douces[20].

Un exemple de réaction est[21] :

Une autre méthode de synthèse organique utilisant le fluorure d'argent(I) est la protonation énantiosélective d'éther de silylénol catalysée par le complexe BINAP-AgF[22] : :1546

Synthèse inorganique[modifier | modifier le code]

La réaction d'une solution concentrée de fluorure d'argent(I) sur des acétylures d'argent donne un cluster de [Ag10]2+, en forme de chandelier, avec un acétylènediide endoédrique[23].

Les fluorures d'ammonium quaternaire peuvent être facilement préparés en laboratoire en faisant réagir du bromure de tétraalkylammonium avec une solution de AgF[24]:430.

Autres[modifier | modifier le code]

Il est possible de couvrir une surface de silicone avec un microfilm uniforme d'argent d'épaisseur variant de 0,1 à 1 μm en faisant passer une vapeur d'AgF chauffé à 60–800 °C sur cette surface[25].

La réaction qui semble se produire est :

4AgF + Si → 4Ag + SiF4

Des études multiples ont montré le pouvoir réel anti-carie du fluorure d'argent(I), même si le mécanisme est encore un sujet de recherches[26]. Le traitement est donné par la méthode "traumatique", avec une solution aqueuse de fluorure d'argent(I) à 40% en masse appliquée sur les caries, suivi d'un scellement de la dentine avec un ciment type verre ionomère[27].

Même si le traitement est considéré comme sans danger, la toxicité des ions fluorure a été une importante inquiétude médicale dans les applications en pédodontie, typiquement comme les préparations commerciales qui avaient une contamination très importante de difluorure d'argent[27],[28],[29].

À cause de l'instabilité des solutions concentrées d'AgF, le diamminefluoroargent Ag(NH3)2F) est maintenant beaucoup plus utilisé[29]. Sa préparation se fait par addition d'ammoniaque à une solution aqueuse de fluorure d'argent(I) ou par dissolution de ce composé dans une solution d'ammoniac[30].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) David R. Lide, Handbook of chemistry and physics, Boca Raton, CRC, , 89e éd., 2736 p. (ISBN 978-1-4200-6679-1 et 1-4200-6679-X), p. 9-50
  2. Masse molaire calculée d’après « Atomic weights of the elements 2007 », sur www.chem.qmul.ac.uk.
  3. (en) Bodie E. Douglas et Shih-Ming Ho, Structure and Chemistry of Crystalline Solids, Pittsburgh, PA, USA, Springer Science + Business Media, Inc., , 346 p. (ISBN 0-387-26147-8), p. 64
  4. Numéro index 017-002-00-2 dans le tableau 3.1 de l'annexe VI du règlement CE N° 1272/2008 (16 décembre 2008)
  5. « Fluorure d'argent » dans la base de données de produits chimiques Reptox de la CSST (organisme québécois responsable de la sécurité et de la santé au travail), consulté le 23 avril 2009
  6. a et b (en) Herbert W. Roesky Roesky, Efficient Preparation of Fluorine Compounds, Somerset, New Jersey, Wiley, , 480 p. (ISBN 978-1-118-40942-8)
  7. a et b (en) G.L. Bottger et A.L. Geddes, « Lattice Vibrations, Crystal Structure, Dielectric Properties, and Elastic Constants of AgF », J. Chem. Phys., vol. 56,‎ , p. 3735–3739 (DOI 10.1063/1.1677770)
  8. a et b (en) R.C. Birtcher, P.W. Deutsch, J.F. Wendelken et A.B. Kunz, « Valence band structure in silver fluoride », J. Phys. C: Solid State Phys., vol. 5,‎ , p. 562–6 (DOI 10.1088/0022-3719/5/5/008)
  9. a b et c (en) S. Hull et P Berastegui, « High-pressure structural behaviour of silver(I) fluoride », J. Phys.: Condens. Matter, vol. 10,‎ , p. 7945–7955 (DOI 10.1088/0953-8984/10/36/005)
  10. (en) P.M. Halleck et J.C. Jamieson, « B1 and B2 phase change of AgF at high pressure », J. Phys. Chem. Solids, vol. 33,‎ , p. 769–773 (DOI 10.1016/s0022-3697(72)80093-3)
  11. (en) J.C. Jamieson, P.M. Halleck, R.B. Roof et C.W.F.T. Pistorius, « Additional polymorphism and non-stoichiometry in AgF », Journal of Physics and Chemistry of Solids, vol. 36, no 9,‎ , p. 939–944 (DOI 10.1016/0022-3697(75)90172-9)
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  13. (en) Elizabeth Slayter, Light and Electron Microscopy, Cambridge University Press, , 312 p. (ISBN 978-0-521-33948-3, lire en ligne)
  14. (en) William George Palmer, Experimental Inorganic Chemistry, CUP Archive, , 591 p. (ISBN 978-0-521-05902-2, lire en ligne)
  15. Brevet US 3537855 Photosensitive silver fluoride element
  16. (en) Norman N. Greenwood et Alan Earnshaw, Chemistry of the Elements, Butterworth-Heinemann (en), , 2e éd. (ISBN 0080379419)
  17. a et b Tyrra, Wieland. "Silver(I) fluoride and related compounds in chemical synthesis". Heteroatom Chemistry 13 (6): 561–566. doi:10.1002/hc.10102
  18. (en) Mel Schwartz, Encyclopedia of Materials, Parts and Finishes, CRC press, , 2nd éd., 936 p. (ISBN 1-4200-1716-0, lire en ligne), p. 305
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