Enoch L. Johnson

Enoch Lewis Johnson
Biographie
Nom de naissance Enoch Lewis Johnson
Date de naissance
Lieu de naissance Galloway Township, New Jersey (États-Unis)
Date de décès (à 85 ans)
Lieu de décès Northfield, New Jersey (États-Unis)
Nature du décès Causes naturelles
Parti politique Parti républicain

Enoch Lewis Johnson, né le et mort le , fut un homme politique et un mafieux américain, du début du XXe siècle à la Seconde Guerre mondiale. Il était surnommé « Nucky ».

Des années 1910 jusqu'à son emprisonnement en 1941, il fut le chef indiscuté du système politique et mafieux d'Atlantic City. Se servant de sa position politique de trésorier du comté, il dirigea la ville pendant les Roaring Twenties, alors qu'elle atteignait l'apogée de sa popularité, notamment en devenant une zone de non-droit dans le domaine criminel lors de la Prohibition. Il fut impliqué dans le trafic d'alcool, les paris et la prostitution.

Biographie[modifier | modifier le code]

Ses débuts[modifier | modifier le code]

Enoch Lewis Johnson est né le à Galloway Township dans le New Jersey. Ses parents sont E. Smith et Virgina Johnson[1]. Son surnom "Nucky" trouve son origine dans son prénom Enoch[1].

En 1886, Smith E. Johnson (1853-1917) fut élu shérif du comté d'Atlantic pour un mandat de 3 ans. La famille s'installe alors à Mays Landing, le siège du comté. Un shérif ne pouvant prétendre se succéder à lui-même, Smith Johnson occupera alternativement, pendant les vingt années suivantes, un mandat de shérif et un mandat d'adjoint au shérif. En tant que shérif il vécut à Mays Landing tandis que lors de ses mandats d'adjoint il vécut à Atlantic city[2].

Smith Johnson formait avec le greffier du comté d'Atlantic Lewis P. Scott (1854-1907) et le membre du congrès John J. Gardner, un triumvirat qui a dominé les gouvernements d'Atlantic City et du comté d'Atlantic avant l'arrivée de Louis Kuehnle[3].

Ascension[modifier | modifier le code]

Nucky Johnson devient en 1905 l'adjoint du shérif (qui n'est autre que son père), et se marie en 1906 à son amie d'enfance Mabel Jeffries originaire de Mays Landing[3]. En 1908, il est élu shérif du comté d'Atlantic en remplacement de son père et le restera jusqu'en 1911 lorsqu'une décision de justice lui ordonne de quitter ses fonctions[2],[3]. En 1909 il devient secrétaire du comité exécutif du parti républicain du comté d'Atlantic, une position éminemment importante[1]. En 1911, le chef politique local Louis Kuehnle est déclaré coupable de corruption et emprisonné, Johnson lui succède alors comme leader du parti républicain local pour Atlantic City et les gouvernements du comté d'Atlantic[3].

Atlantic City était une destination touristique importante mais les élites locales savaient que ce succès ne serait pérenne que si la ville pouvait répondre aux désirs des touristes : la possibilité de boire de l'alcool, de jouer aux jeux d'argent et d'accéder à des prostituées. Les édiles réalisèrent qu'une industrie souterraine donnerait à la ville un atout sur ses concurrents. Par conséquent, l'organisation dont Johnson venait de prendre la tête autorisa la vente d'alcool le dimanche (bien qu'une loi du New Jersey l'interdisait), les jeux d'argent et la prostitution en échange du paiement d'une prime par les marchands pour leur protection à l'organisation dirigée par Nucky Johnson[3]. Cette industrie souterraine fut prospère et en expansion sous l'ère de Nucky Johnson. Il fut aussi bénéficiaire de la corruption en touchant des pots-de-vin sur les contrats publics[2],[3].

En 1912 sa femme meurt. Johnson respectait la tradition d'abstinence jusque-là, toutefois, il commencera à consommer de l'alcool après le décès de sa femme[2].

Il occupa différentes fonctions durant les trente années de son règne : trésorier du comté (ce qui lui permit d'en contrôler les finances), précepteur du comté, éditeur d'un journal hebdomadaire, directeur de banque, président d'une compagnie immobilière et de prêts immobiliers, directeur d'une brasserie de Philadelphie[1],[3]. Il a refusé les sollicitations pour concourir aux élections sénatoriales pensant qu'il n'avait pas les qualités d'un vrai chef pour se présenter aux élections[1],[3]. Étant le plus puissant républicain du New Jersey, il permit l'élection de plusieurs gouverneurs et sénateurs[2].

En 1916 Johnson fut directeur de campagne du candidat républicain Walter E. Edge pour le siège de gouverneur où il fut élu[2]. Johnson a non seulement levé de l'argent pour Edge (alors sénateur pour le comté d'Atlantic) mais aussi manœuvré habilement en rencontrant le chef du parti démocrate du comté de l'Hudson Frank Hague. Ce dernier détestait le candidat démocrate Otto Wittpenn[3]. Edge put échanger avec Frank Hague un accord de coopération contre le vote des militants de Hague pour Edge durant la primaire républicaine[3]. Hague ne soutint pas Wittpenn dans l'élection finale permettant ainsi l'élection de Walter E. Edge[3]. Le nouveau gouverneur récompensera Johnson en le nommant clerc de la cour suprême de l'État du New Jersey[3].

Atlantic City durant la prohibition[modifier | modifier le code]

Le pouvoir de Johnson fut à son apogée durant la prohibition qui s'est étendue entre les années 1919 et 1933. Les premiers effets sont cependant ressentis seulement vers 1920. La prohibition n'a pas été appliquée à Atlantic City, par conséquent la station touristique a vu sa popularité croître. La ville s'est ainsi autoproclamée « Cité des plaisirs ». La grande majorité des revenus de Johnson étaient issus de la commission qu'il prélevait sur chaque bouteille d'alcool vendue, sur les paris et sur la prostitution à Atlantic City[2]. Johnson s'explique ainsi :

« Nous avons du whisky, du vin, des femmes, de la musique et des machines à sous. Je ne vais pas le nier ni m'en excuser. Si la majorité des personnes n'en voulaient pas, ces activités ne seraient pas lucratives et n'existeraient même pas. Le fait est qu'elles existent. Cela me prouve que les gens les veulent »"[2].

Les enquêteurs ont estimé que les revenus de Johnson tirés des activités illégales dépassaient 500 000 dollars par an (soit l'équivalent de 5 000 000 de dollars de 2012)[2]. Il possédait une limousine de couleur bleue de 14 000 dollars avec chauffeur pour ses déplacements personnels, portait des vêtements de luxe, y compris un manteau en peau de raton laveur[1]. L'une de ses habitudes personnelles était de porter à sa boutonnière un œillet commun rouge, changé chaque jour[1]. Au faîte de sa puissance, Jonhson habitait une suite au neuvième étage du Ritz-Carlton Hotel, situé sur la jetée[1]. C'est dans cet hôtel que Johnson a tenu de luxueuses soirées[4]. Il fut surnommé le « Tsar du Ritz » ou encore « Le prisonnier du Ritz »[1]. Il dépensait sans compter pour venir en aide aux nécessiteux et était très apprécié de ses concitoyens qui lui reconnaissaient une bonté et une générosité légendaires[1]. Johnson pensait que sa fortune ne le servait pas seul : « Quand je vivais bien, tout le monde vivait bien »[2].

Depuis sa fondation, Atlantic City avait, comme les autres stations touristiques estivales, une activité économique saisonnière. Ses efforts de promotion du tourisme hivernal n'ont jamais été couronnés de succès. L'alcool en libre accès dans la ville durant la prohibition transforma Atlantic City en première destination pour les congrès d'entreprises[3]. Afin de permettre l'accueil continu de ces conventions, Johnson dirigea la construction du Centre des Congrès d'Atlantic City (Boardwalk Hall)[3]. Les travaux débutèrent en 1926 et il fut ouvert en [5]. Il s'agit d'une structure d'environ 198 m par 106 m, qui se devait d'être l'un des plus réussis parmi les bâtiments de ce type. Selon le département de l'Intérieur des États-Unis, le centre possédait à sa construction une pièce avec la vue dégagée la plus grande de l'histoire de l'architecture[3],[5].

Johnson et Capone marchant vers la jetée ensemble pendant la conférence d'Atlantic City

Sous l'ère de Nucky Johnson, le port d'Atlantic City était l'un des premiers dans l'importation d'alcool prohibé[3]. En 1927, il accepta de participer à une large organisation de trafic d'alcool et de racket avec d'autres trafiquants de la côte Est formant ainsi le « Big seven » ou « Groupe des sept » (Big seven Group). Il fut l'hôte du Sommet d'Atlantic City en 1929 durant lequel se sont réunis les leaders du crime organisé tels Al Capone (une photographie réputée prétendant montrer Johnson et Capone marchant vers la jetée ensemble pendant cette conférence est cependant d'une authenticité douteuse[6]).

Johnson avait un assistant et valet personnel, nommé Louis Kessel[réf. nécessaire].

Libération sur parole[modifier | modifier le code]

Johnson fut libéré sur parole le après quatre années d'emprisonnement et prononça des vœux de pauvreté (Pauper's oath) pour éviter de payer l'amende de 20 000 dollars (259 000 dollars actuels).

Après sa libération, il vécut avec sa femme et son frère dans une maison appartenant à des proches de sa femme sur l'avenue South Elberon à Atlantic City[1],[2]. Des rumeurs sur sa possible participation aux élections municipales circulaient mais n'ont jamais été avérées[1]. Il travailla comme commercial pour la société Richfield Oil et avec sa femme pour la société Renault Winery[1]. Durant ces années, le couple fréquenta les dîners politiques locaux et les manifestations politiques où tous deux figuraient en tête[1].

Johnson continua de s'habiller de manière très chic et maintenait sa marque personnelle : le port d'un œillet rouge frais chaque jour[1].

Johnson soutint fermement le leadership de Frank S. Harley ; ainsi en 1952, lorsque le parti politique de Harley essaya de gagner une élection particulièrement difficile, il n'hésita pas à faire campagne lui-même dans les quartiers nord d'Atlantic City à majorité noire où sa popularité était restée intacte[3].

Décès[modifier | modifier le code]

Johnson est mort le dans la maison de convalescence de Northfield située dans le comté d'Atlantic City du New Jersey[1]. Selon le journal Atlantic City Press, Johnson « était né pour gouverner, il avait du flair, de l'extravagance, n'avait aucune morale politique ni aucune pitié. Il avait une excellente mémoire des noms et des visages et un don naturel pour le commandement… Il avait la réputation d'être tranchant, grand buveur d'alcool, grand séducteur, épicurien et amateur éclairé de luxe et de tous les plaisirs de la vie[1] ».

Controverses[modifier | modifier le code]

Le nom de Nucky Johnson est fréquemment cité dans une série d'articles publiés en 1930 sur les activités illicites d'Atlantic City dans le New York Journal-American (New York Evening) appartenant à William Randolph Hearst. Selon certains, de mauvais rapports existaient entre Johnson et Hearst : Johnson serait devenu trop proche d'une danseuse dont Hearst était l'amant régulier lorsqu'il venait à Atlantic City[3]. Hearst aurait alors fait du lobbying auprès des fonctionnaires de l'administration Roosevelt afin que Johnson soit la cible d'un suivi particulier par le gouvernement fédéral[3].

En 1933, il fut accusé par le gouvernement fédéral de non-paiement de taxes sur des revenus gagnés en 1927[1]. C'est aussi durant cette année que la prohibition fut abolie, ce qui priva Atlantic City d'activités majeures en direction des touristes et congressistes et assécha une source de revenus pour Johnson et son appareil politique[3]. Le , il fut inculpé pour fraude fiscale pour environ 125 000 dollars de revenus concernant les années 1935, 1936 et 1937, issus du racket sur les jeux[1],[3]. S'ensuivit un procès de deux semaines en , au terme duquel il fut déclaré coupable. Une peine de dix ans d'emprisonnement et une amende de 20 000 dollars furent prononcées[1].Le , Enoch L. Johnson, alors âgé de 58 ans, se mariait avec une américano-suédoise de 33 ans, Florence "Flossie" Osbeck, une ancienne danseuse de Philadelphie (Pennsylvanie) embauchée pendant trois ans[7],[1],[2]. Dix jours plus tard, il entrait au pénitencier fédéral de Lewisburg[1].

Après la condamnation de Johnson en 1941, Franck S. Harley devint le leader de la machine politique d'Atlantic City[8].

Télévision[modifier | modifier le code]

La série télévisée américaine Boardwalk Empire (2010-2014) narre la période faste d'Enoch L. Johnson.

Cette série a été diffusée pour la première fois le sur la chaîne HBO. Martin Scorsese et Mark Wahlberg en sont les producteurs. Steve Buscemi y interprète le rôle de Nucky Thompson[9] s'inspirant librement de la vie de Johnson[10]. Le créateur de la série Terence Winter a choisi de montrer une version romancée de la vie de Johnson afin de laisser une plus grande liberté aux scénaristes et la possibilité de créer du suspense. L'une des différences essentielles entre la réalité et la fiction est que Johnson n'a, semble-t-il, jamais tué ou ordonné de tuer quiconque, contrairement à la version présentée dans la série. Elle montre Nucky Thompson en prise directe avec la gestion du trafic d'alcool, ayant sa propre distillerie, et en concurrence frontale avec les leaders du crime organisé. En réalité, Johnson ne faisait que prendre une marge sur tout l'alcool illégal vendu à Atlantic City mais ne prenait apparemment aucune part aux conflits entre leaders du crime organisé ni n'était en concurrence avec eux.

Par ailleurs Johnson ne s'est pas remarié avant 1941 après la mort de sa première femme en 1912 alors que dans la série, Thompson se remarie en 1921.

Livre[modifier | modifier le code]

La série diffusée par HBO est basée sur un chapitre du livre Boardwalk Empire: The Birth, High Times, and Corruption of Atlantic City, par Nelson Johnson (sans lien de parenté avec l'intéressé)[11]. Le livre a été traduit en français sous le titre: Boardwalk Empire : Naissance, gloire et décadence d'Atlantic City. [12]

Référence cinématographique[modifier | modifier le code]

Le gangster Lou, joué par Burt Lancaster, mentionne un incident impliquant Nucky Johnson dans le film Atlantic City de Louis Malle.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t u et v Learn, Paul. "Boss ‘Nucky’ Johnson is dead at 85 – Unconscious 25 Hours Before ‘Time Took Him’", Atlantic City Press, December 10, 1968, p. 1
  2. a b c d e f g h i j k et l "Enoch L. Johnson, Ex-Boss in Jersey. Prohibition-Era Ruler of Atlantic City, 85, Dies". New York Times. December 10, 1968. Retrieved 2012-08-09.
  3. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t et u Johnson, Nelson. Boardwalk Empire, Medford, N.J., Plexus Publishing, 2002 (ISBN 0-937548-49-9)
  4. McMahon, William. So Young...So Gay!, Atlantic City, N.J., Press Publishing, 1970
  5. a et b James H. Charleton (1985-06-17). National Register of Historic Places Inventory-Nomination: Atlantic City Convention Hall. National Park Service
  6. (en) « Interviews with Heather Perez, Archivist, Atlantic City Free Public Library, and historians Nelson Johnson and Allen “Boo” Pergament in “Boss of the Boardwalk”, a 2010 Press of Atlantic City documentary produced by Michael Clark ». pressofatlanticcity.com. Consulté le 21 novembre 2010. D'après ses recherches, Nelson Johnson est d'avis que la photographie n'est pas authentique.
  7. (en) « 'Nucky' Johnson Weds Ex-Show Girl Tonight. Convicted Jersey Politician to Marry on Eve of Sentencing ». New York Times du 31 juillet 1941, consulté le 22 novembre 2012 : « Enoch L. (Nucky) Johnson, L'ancien trésorier du comté d'Atlantic et ancien leader du parti républicain, se mariera ici demain soir avec Florence Osbeck… »
  8. (en) « Two Held Seeking Johnson's Mantle. Senator Farley Claims It. Mayor Taggart Not Talking ». New York Times du 28 juillet 1941, consulté le 9 août 2012 : « Lorsque le jury de la cour fédérale du district déclara Enoch L. (Nucky) Johnson coupable d'évasion fiscale, il perdit son rôle de leader républicain et cela signifia la fin d'un règne de 30 ans… »
  9. "Boardwalk Empire". HBO.com. Retrieved 2010-09-19.
  10. HBO/Craig Blankenhorn. "The real Nucky Johnson to be showcased in Press of Atlantic City documentary". Nj.com. Retrieved 2012-01-05.
  11. "Author of Boardwalk Empire Helped Historical Book Transition into Dramatized Crime Series, by Mark DiIonno". New Jersey Star-Ledger. Retrieved 2010-09-19.
  12. Boardwalk Empire : Naissance, gloire et décadence d'Atlantic City. 409 pages, Éditions 84 (16 mai 2012), Collection: J'ai lu, (ISBN 2290037664 et 978-2290037669)

Liens externes[modifier | modifier le code]