Doina Cornea

Doina Cornea
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Doina Cornea, née le à Brașov en Roumanie et morte le [1] à Cluj en Roumanie, est une écrivaine et universitaire roumaine, militante des droits de l'homme et opposante à la dictature communiste de son pays.

Biographie[modifier | modifier le code]

Née à Brașov en Roumanie, Doina Cornea étudie le français et l'italien à l'université de Cluj. Après ses études, elle enseigne le français dans une école secondaire à Zalău, où elle épouse un avocat, Leontin-Cornel Iuhas, en 1954[2]. Elle retourne à Cluj, en 1958, et devient assistante au département de langue et littérature françaises de l'université Babeș-Bolyai[2] créé par le professeur Henri Jacquier (1900-1980)[3].

Engagement dans la dissidence[modifier | modifier le code]

D'après elle, l'origine de son engagement politique se situe à Strasbourg, en 1965, lors d'une visite en France à des amis occidentaux qui avaient du financer son voyage pour que les autorités roumaines lui délivrent un passeport. Alors qu'ils étaient assis à la terrasse d'un café, l'un de ses amis français critiqua vivement Charles de Gaulle. Effrayée, elle s'attendait à ce qu'il se fasse arrêter sans délai, mais rien ne se produisit de tel. Prenant conscience des libertés dont les citoyens français bénéficiaient, alors que les citoyens roumains vivaient dans la contrainte et la crainte, elle en eut honte, et cette honte la poussa à agir[1].

Samizdats roumains de l'ère communiste dans des boîtes de loukoums (caricatures anonymes dans un carnet syndical) et d'allumettes (petit livre interdit sous les allumettes).

En 1980, elle réalise son premier « samizdat », en publiant Încercarea labirintului, les entretiens de Mircea Eliade avec Claude-Henri Rocquet publiés à Paris en 1978 sous le titre de L'épreuve du labyrinthe[4], qu'elle a traduits du français et annotés[5]. Elle poursuivra son travail d’éditeur clandestin avec quatre autres traductions-samizdat du français, pour lesquelles elle a rédigé les notes et les préfaces : Petru Gherman, Ieremia Valahul (en français : Jérémie le Valaque[6]), Lao Tseu, Dao de jing, Gabriel Marcel, Dreptate și Adevăr (en français : Justice et vérité)[7], Stéphane Lupasco, la partie du Trialogue de l'ouvrage Omul și cele trei etici ale sale (en français : L'homme et ses trois éthiques).

Entre 1982 et 1989, avec l'aide de sa fille Ariadna Iuhas-Combes, réfugiée et mariée en France depuis 1976[8], elle diffuse trente et un textes et protestations par l'intermédiaire de Radio Free Europe[9]. Le premier de ces textes, parvenu clandestinement à Radio Free Europe par l’intermédiaire de Gilles Bardy, le lecteur de français de la faculté, et intitulé : Lettre à ceux qui n'ont pas renoncé à penser, est lu à la radio en [10]. Dans ce qui constitue un acte majeur de dissidence de Roumanie[11], Doina Cornea écrit : « Je m'adresse directement à vous, mes collègues, enseignants de Roumanie. (…) N'enseignez plus aux élèves, aux étudiants ce à quoi ni eux ni vous ne croyez, mais habituez-vous à penser plus librement, plus courageusement, plus honnêtement, plus généreusement ! »[12]. L’année suivante, en 1983, elle est destituée de l’université puis elle est soumise à des enquêtes et des interrogatoires par la police politique Securitatea, au cours desquels elle est battue, menacée, privée d’eau, de vivres et de sommeil. Son dossier est instruit par le colonel Sándor Peres, père du futur sénateur libéral Alexandru Pereș[13], qui malgré ses efforts, ne parvient pas à lui faire avouer des crimes contre le peuple roumain, de sorte qu’il évite de l’envoyer en détention, d’autant qu’elle est désormais connue en Occident, notamment du côté d’Amnesty international.

Le , avec son fils, Leontin-Horațiu Iuhas (né en 1956), elle diffuse cent soixante tracts de solidarité avec les ouvriers insurgés de Brasov, en conséquence de quoi, tous deux sont détenus pour cinq semaines (novembre-décembre 1987). Durant le premier mois de sa détention, alors qu’elle est séparée de son fils, elle subit les interrogatoires de la Securitate durant six à sept heures par jour, les interrogateurs se relayant[14]. À propos de son fils, Doina Cornea dit : « Je dois vraiment beaucoup à mon fils : il a vraiment joué le rôle, je crois, le plus important ! C’était l'unique être qui aurait pu m’arrêter. Il ne l’a jamais essayé. Au contraire ! Il m’a toujours encouragée à faire ce que je sentais devoir faire. Alors j’ai continué »[15].

En septembre 1988, dans une lettre adressée au pape Jean-Paul II qui fut diffusée par Radio Free Europe, elle sollicite, avec cinq autres intellectuels de Cluj, la fin des persécutions et la légalisation de l’Église roumaine unie à Rome, gréco-catholique, que le régime communiste avait interdite en 1948[16].

La diffusion par la Radio-télévision belge de la Communauté française, le , du reportage : Roumanie : le désastre rouge[17], dans lequel Doina Cornea et sa fille Ariadna s’expriment longuement, permet le lancement d’une campagne internationale de soutien à la dissidente roumaine. Des résolutions demandant sa libération furent votées par le Parlement européen et la Confédération internationale des syndicats libres et des hommes politiques européens intervinrent personnellement auprès du gouvernement en ce sens[18].

Assignée à résidence, sa ligne de téléphone coupée, elle est suivie et surveillée en permanence par des agents de la Securitate, qui, en , l’empêche de se rendre à Bruxelles pour témoigner devant le Parlement européen lors d’une session concernant la situation en Roumanie. Le régime de Nicolae Ceaușescu est aux abois : le de cette même année, elle est battue par deux agents devant son domicile de Cluj, en compagnie de deux citoyens belges, dont le député européen Gérard Deprez[19]. Ces derniers sont chassés du pays, et Doïna est à nouveau incarcérée : elle sera libérée le , la veille de la chute du régime[20]. Ce jour-là, elle prend part aux manifestations qui éclatèrent dans les rues de Cluj, au cours desquelles plusieurs personnes furent tuées et d'autres blessées par balles[21].

Le , Doina Cornea est élue par cooptation au Conseil du Front de salut national, dont elle démissionne le , à la suite de la transformation du FSN en parti politique et de la présence massive dans ce parti de nomenklaturistes (comme son président, Ion Iliescu) dont certains, anciens officiers de la Securitate[22].

Activité politique après 1989[modifier | modifier le code]

Avec d’autres personnes, le , à Cluj, elle fonde le « Forum démocrate antitotalitaire de Roumanie » dont elle devient présidente. Ce premier mouvement d’unification de l’opposition démocratique deviendra par la suite la Convention démocratique roumaine (CDR).

Doina Cornea a publié plus de cent articles dans des journaux et magazines (22, România liberă, Vatra, Memoria etc.) et donné des conférences en Roumanie et à l’étranger, dont beaucoup ont été publiées dans des volumes collectifs (Une culture pour l’Europe de demain, Il nuovo Areopago, Mission, Quelle sécurité en Europe à l’aube du XXIe siècle ?, Europe : les chemins de la démocratie, Politique internationale, Amicizia fra i popoli). Dans tous, elle dénonce les abus et la corruption de la nomenklatura, et ses positions politiques populistes, nationalistes et antidémocratiques, visant à profiter au maximum de la transition économique vers l’économie de marché pour enrichir ses membres, et à marginaliser l’opposition démocratique pro-européenne afin d’éviter d’avoir à rendre des comptes pour les crimes du régime communiste[23].

En France, Doina Cornea se fait connaitre du public en , grâce à la publication, aux éditions Criterion, d’un livre d’entretiens titré Liberté ?, dont elle assurera la présentation à Paris, lors d’une table ronde télévisée. Dans une interview, elle explique ainsi son action :

« Je me suis efforcée de vivre comme si la peur n’existait pas, même si je l’ai ressentie. Nous devons demeurer libres et ne pas devenir les esclaves de la peur »[24].

Morte le , à l'âge de 88 ans, Doina Cornea est enterrée avec les honneurs militaires au cimetière central de Cluj le , en présence notamment de l’ancien président Emil Constantinescu, de la poétesse Ana Blandiana, du philosophe Gabriel Liiceanu et de l’historien Marius Oprea ainsi que des hommes politiques László Tőkés et Péter Eckstein-Kovács[25].

Publications[modifier | modifier le code]

Œuvres originales[modifier | modifier le code]

  • Liberté ? Entretiens avec Michel Combes, suivis de lettres ouvertes adressées à Nicolae Ceaușescu, Ion Iliescu, Petre Roman (Éditions Criterion, Paris, 1990) ; Libertate? (Ed. Humanitas, Bucarest, 1992)
  • Scrisori deschise și alte texte (Ed. Humanitas, Bucarest, 1991)
  • Fața nevăzută a lucrurilor (1990-1999). Dialoguri cu Rodica Palade (Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1999) ; La face cachée des choses, 1990-1999 : Dialogue avec Rodica Palade (Éditions Du Félin, Paris, 2000), (ISBN 2-86645-386-7)
  • Puterea fragilității, avant-propos de Gabriel Liiceanu (Ed. Humanitas, Bucarest, 2006)
  • Jurnal. Ultimele caiete (Editura Fundației Academiei Civice, Bucarest, 2009), 288 pages[26].

Traductions[modifier | modifier le code]

  • Mircea Eliade, Încercarea labirintului. Convorbiri cu Claude-Henri Rocquet (Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1990 ; réédition, Ed. Humanitas, Bucarest, 2007)
  • Gânduri pentru zilele ce vin, en collaboration avec Viorica Lascu (ro) (Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1995)
  • Vladimir Ghika, Ultimele mărturii (Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1997, réédition, 2006)
  • Vladimir Ghika, Fragmente postume (Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 2003).

Récompenses[modifier | modifier le code]

Elle a reçu un grand nombre de distinctions et de prix, dont :

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b « Disparitions. Mort de Doina Cornea, figure de la résistance roumaine au communisme », sur Le Monde, (consulté le ).
  2. a et b Deletant, p. 261.
  3. Voir : Mircea Muthu, Le savant, le professeur, l'homme des archives Henri Jacquier, in : Studia UBB Philologia, LVII, 1, 2012, p. 5-11
  4. Mircea Eliade, L'Épreuve du labyrinthe. Entretiens avec Claude-Henri Rocquet, Pierre Belfond, Paris, 1978
  5. Voir l'édition libre de 1990 : Mircea Eliade, Încercarea labirintului, Traducere sį note de Doina Cornea, Editura Dacia, Cluj-Napoca, 1990 (en ligne)
  6. Jérémie le Valaque (1556-1625) est un moine capucin roumain, bienheureux depuis 1983.
  7. En 1982, Doina Cornea assura aussi la publication clandestine de l'essentiel des textes du Cahier IV de l'Association des amis de Gabriel Marcel consacré aux «Injustices de ce temps». Sur le rôle joué par Doina Cornea pour la diffusion des textes de Gabriel Marcel en Roumanie, voir : Joël Bouëssée, Du côté de chez Gabriel Marcel - Récits, L'Âge d'Homme, Lausanne, 2004, p. 109-110
  8. Ariadna Iuhas-Combes (1954-2016) était professeure d'anglais, traductrice et spécialiste des questions roumaines. Après deux ans de philologie à l’université de Cluj, elle poursuivit ses études en France à partir de 1976 (Grenoble, Brest) et mena une importante activité de dénonciation des crimes du régime communiste roumain. Membre de la Ligue pour la défense des droits de l'homme en Roumanie, elle soutint, dès son origine, l'Opération Villages roumains. Elle a publié avec Mihnea Berindei et Anne Planche : Le livre blanc: la réalité d'un pouvoir néo-communiste, Éditions de la Découverte, Paris, 1990. Elle traduisit en français l'ouvrage de Constantin Noica, Six maladies de l'esprit contemporain, avec une préface de Jacqueline de Romilly, Éditions Criterion, Paris, 1991
  9. Wojciech Roszkowski and Jan Kofman , Biographical Dictionary of Central and Eastern Europe in the Twentieth Century, Routledge, New-York, 2015, p. 167
  10. Nicolas Jallot, De Varsovie à Moscou : ces hommes qui ont fait tomber le Mur, Les Éditions de l'Atelier, Paris, 1999, p. 48
  11. Dragoș Petrescu, Explaining the Romanian Revolution of 1989, Editura Enciclopedică, Bucarest, 2010, p. 326
  12. Doina Cornea, Liberté ? Entretiens avec Michel Combes, suivis de lettres ouvertes adressées à Nicolae Ceaușescu, Ion Iliescu, Petre Roman, Criterion, Paris, 1990, p. 209
  13. crji.org :: Lista cu cadrele Securitatii din perioada 1949-1989 (5)
  14. Doina Cornea, Liberté ?, entretiens avec Michel Combes, suivis de lettres ouvertes adressées à Nicolae Ceaușescu, Ion Iliescu, Petre Roman, Criterion, Paris, 1990, p. 110
  15. Doina Cornea, Op. cit., p. 120
  16. Cristian Vasile, Între Vatican și Kremlin : biserica greco-catolică în timpul regimului comunist, Bucarest 2004, p. 310.
  17. Le désastre rouge, reportage de Josy Dubié et Jean-Jacques Péché, diffusé à la RTBF le 9 décembre 1988
  18. Valeriu Lazăr, (en) Anticommunist dissident Doina Cornea dies aged almost 89, The Romanian Journal, 5 mai 2018 (en ligne)
  19. Human Rights Watch , The persecution of human rights monitors, December 1988 to December 1989, A worldwide survey, New York, December 1989, p. 239-240 (en ligne)
  20. Sara Pini, Doina Cornea : le visage féminin de la dissidence roumaine, Nouvelle Europe, 31 mai 2009, (en ligne)
  21. Voir : Cour Européenne des Droits de l'Homme, 3e section, Requête n° 25270/03 présentée par Ioan Laurenţiu Cocan, 17 mai 2010, Exposé des faits.
  22. Alexandre Gussi, Usages du passé et démocratisation - Le rapport des partis politiques roumains à la période communiste, Thèse de doctorat de science politique, Institut d'Études Politiques de Paris, 2007, p. 427 et suiv. (en ligne)
  23. Doina Cornea, La face cachée des choses, dialogue avec Rodica Palade, Éditions du Félin, Paris 2001, p. 133
  24. [1]
  25. Bianca Pădurean, Nu ”Adio”, ci ”A Dieu”, Doina Cornea !, RFI Romania, 8 mai 2018 (en ligne)
  26. „Pedagogia suferinței“, Silvia Dumitrache, Observator cultural - № 473, mai 2009, consulté le .
  27. Voir : Writing for freedom in a communist dictatorship, sur le site de la Rafto Foundation for Human Rights
  28. [2], sur ziua.ro
  29. [3], sur familiaregala.ro

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Dennis Deletant, Ceaușescu and the Securitate: Coercion and Dissent in Romania, 1965-1989, C. Hurst & Co. (Publishers) Ltd., London, 1995 (ISBN 1-56324-633-3)

Liens externes[modifier | modifier le code]