Conférence de Seelisberg

Vue de Seelisberg

La conférence de Seelisberg est une conférence internationale extraordinaire qui s'est tenue dans le petit village de Seelisberg en Suisse, du au , pour étudier les causes de l’antijudaïsme ou antisémitisme chrétien[1].

Parmi les 70 personnalités venues de 17 pays, on comptait :

Les débats furent introduits par une série de thèses préparées par Jules Isaac[1]. Les conclusions des travaux étaient très proches de ses propositions[3].

Historiquement, l'antijudaïsme ou antisémitisme chrétien et surtout catholique provenait entre autres de certains des 59 canons du concile (régional) de Laodicée qui eut lieu vers 364 à Laodicée, métropole de la Phrygie, province de l'Asie Mineure, sous l'empereur romain Théodose le Grand. On s'accorde à le situer vers 364 (date notée par Justel dans le Code de l'Église Universelle) mais sa date exacte reste incertaine. La seule certitude est qu'il se tint avant le Ier concile de Constantinople de 381. Certains de ces 59 canons, notamment les numéros 29, 37 et 38, étaient les précurseurs historiques de ce christianisme antisémite.

Introduction aux dix points[modifier | modifier le code]

Les dix points retenus par les intervenants sont précédés par un texte intitulé Appel adressé aux Églises. Celui-ci fait le constat de l'« explosion d’antisémitisme » qui a entraîné « l’extermination de millions de juifs vivant au milieu des chrétiens ». Il met en garde contre la persistance de cet antisémitisme, qui pourrait même augmenter dans le monde et « empoisonner l’âme des chrétiens ». En effet, pour les auteurs, si les Églises chrétiennes se sont souvent prononcées contre l'antisémitisme, on observe cependant la présence, parmi les chrétiens, de sentiments de haine et de mépris vis-à-vis du peuple juif.

Le texte en appelle à la fidélité, chez les chrétiens, « au message de Jésus-Christ sur la miséricorde de Dieu et l’amour du prochain ». Il insiste aussi pour que cette fidélité se traduise par une intention claire d'éviter « toute présentation ou toute conception du message chrétien qui favoriserait l’antisémitisme sous quelque forme que ce soit ».

Les dix points suivants, qui concluent les échanges s'étant tenus à Seelisberg, sont des repères donnés aux Églises pour les aider à mettre fin à l'animosité vis-à-vis des Juifs et les encourager, au contraire, à « l’amour fraternel à l’égard du peuple de l’Ancienne Alliance, si durement éprouvé »[4].

Les dix points de Seelisberg[modifier | modifier le code]

  1. Rappeler que c'est le même Dieu vivant qui nous parle à tous, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament.
  2. Rappeler que Jésus est né d'une Vierge juive, de la race de David et du peuple d'Israël, et que Son amour éternel et Son pardon embrassent son propre peuple et le monde entier.
  3. Rappeler que les premiers disciples, les apôtres et les premiers martyrs, étaient juifs.
  4. Rappeler que le précepte fondamental du christianisme, celui de l'amour de Dieu et du prochain, promulgué déjà dans l'Ancien Testament, et confirmé par Jésus, oblige « Chrétiens et Juifs » dans toutes les relations humaines, sans aucune exception.
  5. Éviter de rabaisser le judaïsme biblique ou post-biblique dans le but d'exalter le christianisme.
  6. Éviter d'user le mot « Juifs » au sens exclusif de « ennemis de Jésus » ou de la locution « ennemis de Jésus » pour désigner le peuple juif tout entier.
  7. Éviter de présenter la Passion de telle manière que le caractère odieux de la mise à mort de Jésus retombe sur les Juifs seuls. Ce ne sont pas les Juifs qui en sont responsables, car la Croix, qui nous sauve tous, révèle que c'est à cause de nos pêchés à tous que le Christ est mort. (Rappeler à tous les parents et éducateurs chrétiens la grave responsabilité qu'ils encourent du fait de présenter l'Évangile et surtout le récit de la Passion d'une manière simpliste. En effet, ils risquent par là d'inspirer, qu'ils le veuillent ou non, l'aversion dans la conscience ou le subconscient de leurs enfants ou auditeurs. Psychologiquement parlant, chez des âmes simples, mues par un amour ardent et une vive compassion pour le Sauveur crucifié, l'horreur qu'ils éprouvent tout naturellement envers les persécuteurs de Jésus, tournera facilement en une haine généralisée des Juifs de tous les temps, y compris ceux d'aujourd'hui.)
  8. Éviter de rapporter les malédictions, scripturaires et le cri d'une foule excitée : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants », sans rappeler que ce cri ne saurait prévaloir contre la prière infiniment plus puissante de Jésus : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. »
  9. Éviter d'accréditer l'opinion impie que le peuple juif est réprouvé, maudit, réservé pour une destinée de souffrances.
  10. Éviter de parler des Juifs comme s'ils n'avaient pas été les premiers à être de l'Église[4],[5],[6].

Influence[modifier | modifier le code]

Ce texte reçut l'approbation des autorités religieuses chrétiennes. Il servit de texte de référence pour les chrétiens et fut utilisé comme charte par différentes associations judéo-chrétiennes[1].

Trois ans après les conférences de Seelisberg, des théologiens protestants et catholiques se sont réunis à Bad Schwalbach (Allemagne), en . Ils ont cherché à formuler les fondements bibliques des dix points de Seelisberg. Leurs travaux, connus sous le nom de Thèses de Bad Schwalbach, ont jeté les bases d'un renouvellement de la doctrine et de l'enseignement chrétien sur le judaïsme[7],[8]. Les efforts des Américains de la NCCJ et de son président Everett Clinchy en faveur d'une entente entre chrétiens et Juifs donnent lieu à la naissance en à Paris du mouvement Fraternité mondiale (World brotherhood).

L'historien juif Jules Isaac, la personnalité la plus remarquable de la conférence, dont la première étude sur les racines chrétiennes de l'antisémitisme, intitulée Jésus et Israël, publiée en 1948[9], eut ultérieurement des entretiens avec Pie XII, et surtout avec Jean XXIII, auxquels il remit un dossier plaidant pour des modifications positives dans l'enseignement chrétien concernant les Juifs. Ces entretiens eurent une influence sur les changements majeurs qui se produisirent sur les relations entre le judaïsme et le christianisme, jusqu'à trouver leur expression officielle dans la déclaration Nostra Ætate (§4).

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c Les Églises devant le judaïsme, documents officiels 1948-1978, Textes rassemblés, traduits et annotés par Marie-Thérèse Hoch et Bernard Dupuy, éd. Cerf, 1980, p. 19-22
  2. Lettre de Visseur au professeur Hans Thirring, 11 juin 1947, Ibid., 30 juin 1947.
  3. Jean Dujardin, L'Église catholique et le peuple Juif, un autre regard, éd. Calman-Levy, 2003, p. 335.
  4. a et b « 5 août 1947 - Les Dix Points de Seelisberg », Amitié judéo-chrétienne de France.
  5. Robert Aron, « I. - Les dix points de Seelisberg », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne Accès payant, consulté le )
  6. « Les dix points de la rencontre de Seelisberg (1947) », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 192, no 1,‎ , p. 357–362 (ISSN 2111-885X, DOI 10.3917/rhsho.192.0357, lire en ligne, consulté le )
  7. Les Églises devant le judaïsme, documents officiels 1948-1978, Textes rassemblés, traduits et annotés par Marie-Thérèse Hoch et Bernard Dupuy, éd. Cerf, 1980, p. 22-25
  8. Cahiers sioniens, Paris, septembre 1950, p. 225-226
  9. Chez Albin Michel. Voir sur WordCat toutes les éditions et traductions en anglais (1959), allemand (1968), italien (1976).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]