Commun numérique de connaissance

Un commun numérique de connaissance est un type particulier de commun, résultat d'une production commune de connaissances, généralement en ligne. Ce qui distingue le commun numérique de connaissance d’un commun partagé en terme de ressources physiques, c’est que les ressources numériques sont non-déductibles[1]. C'est-à-dire que plusieurs utilisateurs peuvent accéder aux mêmes ressources digitales sans avoir d’effet sur leur qualité ou leur quantité. Leur réutilisation permet cependant d’augmenter leur valeur et leur préservation[2].

Définition[modifier | modifier le code]

Il existe un flou autour des définitions des communs créés avec le numérique, Hess et Olstrom ayant théorisé la notion de « commun de connaissance » en 2007, alors que Potts parle de « commun d’innovation » (en 2018), et que d'autres auteurs parlent de « commun numérique », ou encore de « commun informationnel »[3].

Nicolas Jullien et Karine Roudaut définissent le commun numérique de connaissances comme « un système socio-technique de production de connaissances nouvelles », non-rivales, généralement en ligne[3]. Au contraire de communs fonciers, leur existence est orientée vers l'« enrichissement » en connaissances[4].

Leur accès en ligne est universel, mais des conditions d’usage sont requises, par exemple l'obligation de citer l’auteur ou les auteurs, celle de reprendre l’intégralité du texte, ou encore d'en faire un usage strictement non-commercial[4].

Les Communs numériques de Connaissances ont impactés et impactent de nombreux domaines, comme par exemple :

Histoire[modifier | modifier le code]

La notion de commun numérique de connaissance découle de celle des communs (ressources partagées), étudiés par l'économiste Elinor Ostrom[3]. Hervé Le Crosnier souligne qu'ensuite, « les communs ont rencontré le numérique »[5]. D’après Nancy C. Kranich, l’arrivée d’internet aurait eu pour effet de propulser les communs numériques de connaissances à un tout autre niveau en donnant la possibilité aux utilisateurs de créer et de transmettre l’information à une échelle mondiale[6].

C’est au cours des années 1980 que la notion de propriété intellectuelle sur les créations de l’esprit se développe et se renforce. En opposition à ce mouvement, le mouvement social du logiciel libre, créé par Richard Stallman, ainsi que les licences Creative Commons ont une influence majeure dans l'émergence des communs numériques et des communs numériques de connaissance[4]. Leur but est de donner un accès libre aux resources informationnelles[7].

En France, en réponse à ces mouvements, la loi pour une République numérique est passée en 2016, afin de « donner une longueur d'avance à la France dans le domaine du numérique en favorisant une politique d'ouverture des données et des connaissances »[8] encourageant ainsi la reconnaissance legislative et accordant les moyens nécessaires aux projets de commun numérique de connaissance.

Il existe enfin une demande sociétal forte pour un droit universel d'accès à la connaissance, qui reste une utopie, mais qui selon Renaud Fabre et al., « pourrait bien se concrétiser »[9].

Exemples[modifier | modifier le code]

Wikipédia est considérée comme le plus grand et le plus connu des communs numériques de connaissances[5],[4]. D'autres communs informationnels sur divers thèmes ont depuis émergé comme OpenStreetMap ou Open Food Facts.

Enclosure[modifier | modifier le code]

Caricature symbolisant la capture des idées.

L'enclosure des communs informationnels désigne le mouvement d’appropriation des idées qui sous-tend l'économie du savoir.

De nombreux scientifiques, suivant James Boyle (en), parlent d'un « second mouvement des enclosures » pour désigner la manière dont les idées et les informations ont fait l'objet d'une forme de privatisation dans le monde capitaliste du XIXe siècle[10]. En effet, selon lui, alors qu'auparavant il n'était possible de s'approprier des idées qu'exceptionnellement, le développement du droit de la propriété intellectuelle a généralisé cette possibilité. Ainsi, Boyle pense que l'apparition du concept de domaine public, c'est-à-dire d'une catégorie juridique spéciale pour ces idées-là que tout le monde a le droit d'utiliser, révèle que l'accaparement est désormais vu comme la norme. Le commoning (de) intellectuel est dès lors mis de côté[11],[12]. Cette extension de la notion d'enclosure aux communs de la connaissance est parfois contestée[13].

Selon Anthony McCann, le processus d'enclosure des informations, amplifié par la numérisation, est différent de celui de la privatisation ou de la marchandisation[14].

L'enclosure de l'information empêche la recherche scientifique de progresser, ce qui motive le mouvement de la science ouverte[15],[16]. L'enclosure de l'information scientifique aujourd'hui se fait principalement à travers la privatisation de la science, par exemple sous l'influence de la demande industrielle de génie génétique[17]. Selon Lionel Maurel, les bibliothèques ont un rôle important à jouer pour diffuser le savoir aux communiers, et doivent être vigilantes à ne pas au contraire participer à l'enclosure des connaissances[18].

Flyer d'une campagne anti-copyright (en).

Selon Martin Freriksson, les débats politiques qui animent la gouvernance d'Internet dans l'Union européenne se sont déplacés depuis les années 2000 où le mouvement libriste revendiquait un stop à l'enclosure des communs informatiques. Dans les années 2010 et 2020, les demandes politiques, par exemple celles des partis pirates, se sont davantage focalisées sur l'auto-détermination numérique (en)[19].

Pour T. Schoechle, il y a une forme d'enclosure des communs numériques de connaissance dans la manière dont les protocoles informatiques d'Internet sont soumis à des standardisations non-démocratiques, ce qui conduit à un contrôle des entreprises sur l'infrastructure[20]. Ronald Bettig critique aussi la centralisation de la gouvernance d'Internet et l'enclosure digitale (en) qui en découle[21]. Harry Halpin dénonce également l'appropriation de standards sémantiques libres, comme ceux du web sémantique, par l'industrie numérique. Pour contrer ce phénomène, il propose de promouvoir davantage l'obscurité des projets informatiques libres[22].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Robin Mansell, « Employing digital crowdsourced information resources: Managing the emerging information commons », International Journal of the Commons, vol. 7, no 2,‎ , p. 255 (ISSN 1875-0281, DOI 10.18352/ijc.395, lire en ligne, consulté le )
  2. (en) « Les Communs Numériques : un modèle innovant de développement des ressources numériques - Labo », sur labo.societenumerique.gouv.fr (consulté le )
  3. a b et c Jullien et Roudaut 2020.
  4. a b c et d « COMMUNS, Communs numériques  et communs de la connaissance - Encyclopædia Universalis », sur www.universalis.fr (consulté le ).
  5. a et b Hervé Le Crosnier, « Communs numériques et communs de la connaissance », tic&société, no Vol. 12, N° 1,‎ , p. 1–12 (lire en ligne, consulté le ).
  6. (en) « The Information Commons | Brennan Center for Justice », sur www.brennancenter.org (consulté le )
  7. (en) crossref, « Chooser », sur chooser.crossref.org (DOI 10.2307/j.ctt1r2gbj, consulté le )
  8. « LOI n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique - Dossiers législatifs - Légifrance », sur www.legifrance.gouv.fr (consulté le )
  9. Fabre et al. 2017, p. 18.
  10. Voir aussi Christopher May, « Justifying Enclosure? Intellectual Property and Meta-Technologies », dans Biotechnology and Communication, Routledge, (ISBN 978-1-4106-1011-9, DOI 10.4324/9781410610119-14, lire en ligne)
  11. James Boyle, « Fencing off Ideas: Enclosure & the Disappearance of the Public Domain », Daedalus, vol. 131, no 2,‎ , p. 13–25 (ISSN 0011-5266, lire en ligne, consulté le )
  12. James Boyle, The public domain: enclosing the commons of the mind, New Haven, Conn. ; London, Yale University Press, (ISBN 978-0-300-13740-8, lire en ligne)
  13. Lionel Maurel, « Comprendre les risques d’enclosure des communs de la connaissance », La vie des idées,‎ (lire en ligne, consulté le )
  14. Anthony McCann, « Enclosure without and within the ‘information commons’ », Information & Communications Technology Law, vol. 14, no 3,‎ , p. 217–240 (ISSN 1360-0834 et 1469-8404, DOI 10.1080/13600830500376972, lire en ligne, consulté le )
  15. Nancy Kranich, « Countering Enclosure: Reclaiming the Knowledge Commons », dans Understanding Knowledge as a Commons: From Theory to Practice, The MIT Press, , 0 p. (ISBN 978-0-262-25634-6, lire en ligne)
  16. (en) Sigrid Sterckx, « Enclosing the Academic Commons – Increasing Knowledge Transfer or Eroding Academic Values? », dans Drunk on Capitalism. An Interdisciplinary Reflection on Market Economy, Art and Science, Springer Netherlands, , 49–63 p. (ISBN 978-94-007-2082-4, DOI 10.1007/978-94-007-2082-4_5, lire en ligne)
  17. Bryn Williams-Jones et Ozdemir Vural, « Enclosing the “Knowledge Commons”: Patenting Genes for Disease Risk and Drug Response at the University–Industry Interface », dans Ethics and Law of Intellectual Property, Routledge, (ISBN 978-1-315-58032-6, DOI 10.4324/9781315580326-10, lire en ligne)
  18. Lionel Maurel, « Commun vs enclosures : quand les bibliothèques publiques verrouillent l’accès aux biens communs informationnels », BIBLIOthèque(s), vol. 76,‎ , p. 15 (lire en ligne, consulté le )
  19. Martin Fredriksson, « Information Commons Between Enclosure and Exposure: Regulating Piracy and Privacy in the EU », International Journal of the Commons, vol. 14, no 1,‎ , p. 494–507 (ISSN 1875-0281, lire en ligne, consulté le )
  20. T. Schoechle, « Digital enclosure: the privatization of standards and standardization », ESSDERC 2003. Proceedings of the 33rd European Solid-State Device Research - ESSDERC '03 (IEEE Cat. No. 03EX704),‎ , p. 229–240 (DOI 10.1109/SIIT.2003.1251210, lire en ligne, consulté le )
  21. (en) Ronald V. Bettig, « The enclosure of cyberspace », Critical Studies in Mass Communication, vol. 14, no 2,‎ , p. 138–157 (ISSN 0739-3180, DOI 10.1080/15295039709367004, lire en ligne, consulté le )
  22. (en) Harry Halpin, « The Hidden History of the Like Button: From Decentralized Data to Semantic Enclosure », Social Media + Society, vol. 9, no 3,‎ (ISSN 2056-3051 et 2056-3051, DOI 10.1177/20563051231195542, lire en ligne, consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]