Arbre de Cracovie

Caricature de l’arbre de Cracovie représentant divers types peu probables[a].

L’arbre de Cracovie était un arbre antique dans la grande allée de marronniers du Palais-Royal plantés par le cardinal de Richelieu. Sous l’ombrage de cet arbre, le plus beau de tous et remarquable par l’étendue de son feuillage, se réunissaient les nouvellistes de l’époque pour y échanger des informations sur l’actualité. La quantité de fausses nouvelles, nommées en langage populaire, « craques », qui se débitaient sous cet arbre le fit plaisamment, dans le même style, recevoir le nom d’« arbre de Cracovie »[1].

Là, l’un traçait sur le sable, avec sa canne, la marche des armées russes et s’emparait en imagination de Constantinople ou les partisans respectifs de l’Angleterre et des États-Unis d’Amérique, alors en guerre pour leur indépendance, se livraient, loin du théâtre des combats sanglants, les plus pacifiques des batailles[1].

La curiosité amenait en ce lieu les lecteurs du Courier de l'Europe et de la Gazette de Leyde, à peu près les seuls journaux du temps, mais également des personnages de la plus haute classe. On raconte qu’un jour, Metra qui, ayant alors une grande renommée en ce genre, présidait ce congrès de gobe-mouches, ayant voulu expulser un domestique en livrée du groupe réuni autour de lui, ce dernier réclama, en annonçant qu’il n’était là que pour garder la place de son maître, M. le comte de[1]

Le Conseil des singes ou Les politiques au jardin des Tuileries, par Alexis Peyrotte (1740).

Les jardins des Tuileries et du Luxembourg, autre rendez-vous de nouvellistes, avaient aussi leur arbre de Cracovie. Sous celui de cette dernière promenade, l’orateur habituel était un certain abbé que l’on avait nommé l’abbé Trente mille hommes, parce que son éternel refrain était : « Donnez-moi seulement trente mille hommes, et je prends cette ville, ou je gagne cette bataille. » Un de ses auditeurs affiliés, enchanté de cette éloquence militaire, le fit héritier de sa petite fortune ; et, n’ayant jamais su son nom de famille, il écrivit dans son testament : « Je laisse une somme de 20 000 fr. à M. l’abbé Trente mille hommes. » Des collatéraux voulurent attaquer ce legs ; mais il fut confirmé par les tribunaux, d’après le témoignage des honnêtes gobe-mouches du faubourg Saint-Germain, qui attestèrent que l’on n’appelait point autrement l’ecclésiastique nouvelliste[1].

Au mois de , cet arbre s’était abattu aux trois quarts et avait presque écrasé dans sa chute une vingtaine de nouvellistes ; depuis, il ne formait plus qu’un tronc informe. En , le duc de Chartres fit abattre cette superbe allée, ainsi que tous les arbres du jardin, pour y faire construire, en , trois nouvelles rues, parallèles à celle de Richelieu, à la rue Neuve-des-Petits-Champs et à celle des Bons-Enfants[2].

L’action du roman d’Alexandre Dumas, Ingénue (), s’ouvre sur une scène sous l’arbre de Cracovie[3].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. « La vérité ; un cabaretier qui ne frelate point ; un marchande qui vend en conscience ; un maquignon véridique ; un poète sans prévention ; un abbé qui ne minaude point ; un petit-maître modeste ; une danseuse qui ne fait point de faux pas ; une serveuse champenoise sage ; un Gascon opulent ; un astrologue qui voit clair ; un peintre sans caprice ; un musicien sobre ; un caissier humble et poli ; des nouvellistes sans partialité ; un architecte habile sans être guindé ; un graveur sans contrefaction ; des filles toujours vraies ; un écolier assidu à l’école ; un intendant de maison qui a les mains nettes.

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d William Duckett fils, Dictionnaire de la conversation et de la lecture, t. 6, Paris, Firmin Didot Frères, , 2e éd., 800 p. (lire en ligne), p. 699.
  2. Émile Raunié (ill. Rousselle et Rivoalen), Recueil Clairambault-Maurepas : Chansonnier historique du XVIIIe siècle, publ. avec intr., comm., notes et index, t. 10, Paris, Albert Quantin, (lire en ligne), p. 9.
  3. Alexandre Dumas, Ingénue, t. 1, Bruxelles ; Leipzig, Kiessling, Schnee et Cie, (lire en ligne), p. 17.