Antoine de Sartine

Antoine Raymond Juan Gualbert Gabriel de Sartine (ou Sartines), comte d’Alby (Barcelone, Tarragone, ) est un homme politique français, conseiller (1752), puis lieutenant criminel du Châtelet (1755), il est lieutenant général de police (1759–1774), et enfin ministre de la Marine sous Louis XVI.

Biographie[modifier | modifier le code]

Origines[modifier | modifier le code]

Son père, Antoine Sartine ou Sardine, bourgeois de Lyon, fils d'épicier devenu financier, est établi en Espagne au début du XVIIIe siècle où il jouit des faveurs de Philippe V. Chargé du ravitaillement des troupes françaises pendant la guerre de Succession d'Espagne, il en vient à siéger au conseil des finances du roi, qui lui accorde le titre de chevalier. Il est nommé intendant en Catalogne.

Il prend pour épouse Catherine White, comtesse d'Alby, dame d'honneur de la reine d'Espagne, fille de Ignatius White, secrétaire d'État pour le royaume d'Irlande.

Les premières années françaises[modifier | modifier le code]

Antoine Raymond de Sartine fut envoyé se former auprès de Charles Colabeau, homme d'affaires et ami de son père. Il obtient des lettres de nationalité en 1752, achète la charge de lieutenant criminel au Châtelet la même année, il est anobli en 1755, et épouse, en 1759, la petite-fille de Charles Colabeau, Marie-Anne Hardy du Plessis.

Après cela, bien en cour, il est nommé successivement aux offices de lieutenant général de police (du au mois de ), de maître des requêtes (), et quelques années plus tard de directeur de la Librairie (1763–1774). En 1767, il est nommé conseiller d'État.

La lieutenance générale de police[modifier | modifier le code]

S'attachant à améliorer les services de la capitale, notamment ceux de l'approvisionnement (il active la construction de la halle au blé), de l'éclairage, il fait installer des lanternes à réverbère qui contribuent à améliorer la sécurité publique, et substitue également aux tripots clandestins des maisons de jeu surveillées par ses agents et taxées au profit du fisc.

Lettre de cachet signée : de Sartine (1759).

Excellent administrateur, habile politique, Sartine se préoccupe aussi des problèmes d’hygiène, d’approvisionnement et de police en général durant sa lieutenance.

Les libelles fleurissent. Au mois de , Théveneau de Morande qui est devenu une des « créatures » du clan Choiseul s’attaque alors à la favorite royale, Madame du Barry : Choiseul bien qu’en disgrâce continue le combat… Sartine s’en agace et fait perquisitionner les libraires pour connaître l’éditeur. Finalement Théveneau est localisé à Londres, son arrestation échoue, c’est Beaumarchais qui sera envoyé début 1774 pour négocier avec le libelliste.

Des libelles lui prêtent des manœuvres occultes, l'accusant d'avoir entretenu un « cabinet noir » ; nombres d'ouvrages révolutionnaires devaient lui supposer un réseau d'informateurs dans la capitale. Ainsi, pour Pierre Manuel :

« lorsque le libertin de Sartine poursuivait les citoyens jusque sous leurs toits tutélaires qu’il épiait même les secrets honteux de leurs nuits, ce n'était que pour égayer un roi, plus libertin encore, de toutes les nudités du vice ; c'était pour fournir à son maître des exemples et des excuses, comme si son autorité et sa conscience en avaient eu besoin[1] ! »

Le secrétaire d'État à la Marine[modifier | modifier le code]

En , Louis XVI écrit de Compiègne une lettre par laquelle il annonce la nomination de deux nouveaux ministres, Turgot et Sartine. Le souverain ajoute : « Je voudrais pouvoir récompenser ainsi tous les grands talents qui honorent leur siècle en contribuant à la civilisation et au bien-être des peuples. »

Proche du « parti Choiseul », Sartine accède au secrétariat d’État à la Marine en août 1774, place qu'il occupe jusqu'en octobre 1780[2]. Il tente alors de rationaliser l'administration de la Marine. Ainsi, il s'intéresse de près aux fonderies en créant en particulier celle de l'Indret. Il confie au chevalier de Fleurieu la direction des ports et des arsenaux royaux. Sartine entreprend là aussi de grandes réformes mises au point par sept ordonnances en . La haute main sur la Marine est donnée aux officiers au détriment des administrateurs civils. Les constructions navales sont activement poussées. Enfin, la qualité du corps des officiers, recrutés surtout dans la noblesse (comme Charles Louis du Couëdic et ses trois neveux par exemple), est même considérablement améliorée. Cette politique devait porter ses fruits lors de la guerre d'indépendance américaine dans laquelle il mit à profit son expérience du renseignement acquise dans la Police. Les historiens évoquent une « phase de Sartine » qui aurait précédé une « phase Castries » dans la chronologie des opérations militaires.

Au début de la guerre d'indépendance américaine, la France avance masquée. On confie un million de livres à Beaumarchais pour faire parvenir des munitions et des volontaires aux Américains. Le premier départ, le , du Havre, est un fiasco : seul un navire gagne le large avec le colonel Tronson du Coudray à bord. Devant les risques des navires de commerce, Sartine met en place des convois obligatoires qui retardent les départs, mais assurent la sécurité. Les navires armés par Jean Peltier Dudoyer, pour le compte de Beaumarchais et Montieu, ont toutes les difficultés à former leurs équipages, la "Royale" est privilégiée. La destination officielle des bateaux aidant les Américains est Saint-Domingue, le plus souvent. La situation est tendue pour les armateurs jusqu'au traité d'alliance avec les États-Unis, alors le Ministère de la Marine les sollicitent, on les incite à armer leurs navires en leur accordant des commissions "Guerre et marchandises". Et le départ du Lion, corsaire armé à Nantes pour les Américains, par Jean Peltier Dudoyer, devient possible. Au large il sera rebaptisé le Deane.

Buste d'Antoine Gabriel de Sartine par J-B. Defernex, le petit appartement du roi, château de Versailles, 1767.

Sartine fait preuve de modernisme, il décide de faire doubler de cuivre l’escadre de Ternay, ce qui protège les coques et améliore la vitesse des navires. Il ne sait pourtant pas endiguer le gaspillage de ses officiers. En , accusé par Necker de détournement dans les caisses de l'État — on parle d'une somme de vingt millions —, il est disgracié le de la même année par Maurepas. En fait, Sartine est un ministre honnête mais qui a laissé déraper les dépenses de guerre et a émis des emprunts au profit de la Marine sans en informer le ministre des finances et le roi. Louis XVI lui accorde néanmoins une gratification de 150 000 livres et une pension de 70 000 livres.

Détesté pour son usage « arbitraire » des lettres de cachet, stigmatisé par les libellistes, inquiété lors des événements de , il émigre dès en Espagne où il meurt en sans revoir la France. Il évite ainsi le sort de son fils, Charles-Louis-Antoine de Sartine, et de sa bru, qui, restés à Paris en dépit de ses objurgations, seront guillotinés au procès des chemises rouges, le 29 prairial an II ().

Blason[modifier | modifier le code]

D'or à la bande d'azur, chargée de trois sardines d'argent.

Dans la fiction[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. La Police de Paris dévoilée, Paris Garnery, 1791, 2 vol, in –8. t. II, p. 86.
  2. Jean de Maupassant, Un grand armateur de Bordeaux. Abraham Gradis (1699-1780), Bordeaux, Féret & fils, (lire en ligne)

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Journal des inspecteurs de M. de Sartines. Première partie. 1761-1764, Paris, Dentu, 1863, 339 p. [seule partie publiée]
  • P. Levot, A. Doneaud, Les gloires maritimes de la France. Notices biographiques sur les plus célèbres marins, Arthus Bertrand éditeur, Paris, 1866, p. 474-476 (lire en ligne)
  • Jean-Baptiste-Charles Le Maire, La police de Paris en 1770 : mémoire inédit composé par ordre de G. de Sartine sur la demande de Marie-Thérèse, Paris, 1879, 136  p., [lire en ligne].
  • Arnaud de Maurepas, Antoine Boulant, Les ministres et les ministères du siècle des Lumières (1715-1789). Étude et dictionnaire, Paris, Christian-JAS, 1996, 452 p.
  • Marc Chassaigne, La lieutenance générale de police de Paris, Paris, 1906.
  • Joseph Droz, Histoire du règne de Louis XVI, Renouard libraire, Paris, 1839, t. II, p. 360.
  • Louis-Gabriel Michaud (ed.), Biographie universelle ancienne et moderne, Paris, 1843-1865, t. 38, p. 36 – 38.
  • Jacques Michel, Du Paris de Louis XV à La Marine de Louis XVI. L'œuvre de Monsieur de Sartine. Tome I: La vie de la capitale, Paris, 1983.
  • Idem, « Antoine de Sartine, secrétaire d’État de la Marine et des Colonies (1774 – 1780) », Neptunia, no 155, 1984.
  • Joël Félix, Les magistrats du parlement de Paris, 1771-1790, Paris, 1990, p. 226-227.
  • Alain Le Bihan, Francs-maçons parisiens du grand orient de France (fin du XVIIIe siècle), tome XIX, Paris, 1966, page 441
  • Jean-Philippe Zanco, Dictionnaire des Ministres de la Marine 1689-1958, S.P.M. Kronos, Paris 2011.
  • Hervé Hasquin, Diplomate et espion autrichien dans la France de Marie-Antoinette, le comte de Mercy-Argenteau, 1727-1794, avant-propos, Waterloo, 2014.
  • Tugdual de Langlais, Jean Peltier Dudoyer, l'armateur préféré de Beaumarchais, de Nantes à l'Isle de France, Éd. Coiffard, 2015, 340 p. (ISBN 9782919339280)

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]