Alignement austronésien

L'alignement austronésien, également connu sous le nom de système de voix du type philippin ou austronésien, est un type inhabituel de structure d'actance qui combine des caractéristiques des langues ergatives et des langues accusatives. On le retrouve le plus souvent dans les langues des Philippines, mais également dans les langues formosanes à Taïwan, à Bornéo, à Célèbes du nord, à Madagascar, et à Guam ; il a été retrouvé par reconstruction dans la langue ancestrale proto-austronésienne. (Il ne reste que des traces de ce système dans d'autres langues austronésiennes, comme le malais et le javanais ancien.)

Description[modifier | modifier le code]

Alors que la plupart des langues ont deux voix qui sont employées pour suivre des référents dans le discours, une voix « active » transitive et une voix « passive » ou « antipassive » intransitive, les langues philippines prototypiques ont deux voix, toutes transitives. Une des voix est semblable en forme à la voix active des langues ergatives, et l'autre est semblable à la voix active des langues accusatives. Celles-ci remplissent des fonctions semblables aux voix active et passive/antipassive, respectivement, dans ces langues.

La voix philippine qui ressemble à une voix ergative a souvent été appelée la « voix passive » et celle qui ressemble à une voix accusative la « voix active ». Cependant, cette terminologie est erronée et est maintenant défavorisée, notamment parce que la prétendue « voix passive » est la voix principale dans les langues austronésiennes, et une véritable passive est une voix secondaire. Toutefois, aucun remplacement n'est largement accepté. Parmi les termes les plus courants qui ont été proposés pour ces voix sont « patient déclencheur » (pour la voix qui ressemble à une ergative) et « agent déclencheur » (pour la voix qui ressemble à une accusative), qui seront utilisés ici. Ces expressions sont dérivées des termes 'agent' et 'patient', tels qu’ils sont utilisés en sémantique pour désigner les arguments, dans une proposition transitive, qui correspondent respectivement à celui qui agit et celui sur qui on agit.

Les trois types de systèmes de voix et les cas grammaticaux de leurs arguments fondamentaux peuvent être contrastés comme suit :

Alignement morphologique Cas de la proposition intransitive de base Cas de la proposition transitive de base Cas de la voix secondaire
Accusatif
(comme dans la plupart des langues européennes)
nominatif
(agent)
Voix active Voix passive
nominatif (agent) nominatif (patient)
accusatif (patient)
Ergatif
(comme dans la plupart des langues australiennes)
absolutive
(patient)
Voix active Voix antipassive
absolutif (patient) absolutif (agent)
ergatif (agent)
Austronésien
(comme dans la plupart des langues philippines)
« direct »
(le cas commun aux deux voix transitives)
patient déclencheur agent déclencheur
« direct » (patient) « direct » (agent)
ergatif (agent) accusatif (patient)

Les cas philippins ne sont que des équivalents approximatifs de leurs homonymes dans d’autres langues, et leurs noms sont donc placés entre guillemets. (Le mot « direct », tel qu’il est employé ici, est plus souvent appelé le « nominatif » ou l’« absolutif », par exemple.) Le cas « ergatif » ressemble en forme au génitif philippin, mais dans les langues ergatives, le cas ergatif prend plus généralement la forme d’un cas oblique, comme le génitif ou le locatif.

Lynch et al. (2002, p. 59) illustrent le système philippin avec des exemples reconstruits (marqués par des astérisques) du proto-malayo-polynésien. L’ordre non marqué des constituants était comme suit : le verbe était en premier et le syntagme « direct » en dernier. La voix était indiquée par un affixe verbal (le suffixe -ən étant la marque du patient déclencheur et l’infixe ⟨um⟩ étant celle de l’agent déclencheur). Dans les langues philippines modernes, l’effet concret de cette distinction entre les voix est comme celle de la distinction entre un et le (entre les articles indéfini et défini) en français, et l’on suppose que ces deux voix jouaient un rôle similaire dans la proto-langue.

* ka’ən-ən   na   manuk   a   wai
manger-(patient déclencheur) (ergatif) poulet (direct) mangue
« Le poulet mange la mangue », ou « La mangue est mangée par le poulet »
* k⟨'um⟩a’ən   ta   wai   a   manuk
⟨(agent déclencheur)⟩manger (accusatif) mangue (direct) poulet
« Le poulet mange une mangue. »

Certains chercheurs soutiennent que les langues philippines ont quatre voix, au lieu de deux. À part les deux montrées ci-dessus, il y avait aussi des voix locative et bénéfactive. Cependant, ces deux voix ne jouent pas un rôle aussi centrale que les deux autres. Voici une illustration de la voix locative, le suffixe verbal indiquant que le nom qui porte une marque du cas direct est le lieu de l’action, plutôt qu’un des participants :

* ka’ən-an   na   manuk   a   kahiw
manger-(lieu déclencheur) (ergatif) poulet (direct) arbre
« Le poulet mange dans l'arbre », littéralement « L'arbre est mangé dedans par le poulet »

En tagalog[modifier | modifier le code]

Un système assez semblable se trouve dans le tagalog, la langue la plus minutieusement documentée de ce type. En tagalog, les cas ergatif et accusatif sont fusionnés en un seul cas indirect, par opposition au cas direct. (Ng est une abréviation de la particule nang qui marque le cas indirect sur des noms communs.) Notez que la base verbale est basa « lire ».

b⟨in⟩asa   ng   tao   ang   aklat.
⟨(past:patient déclencheur)⟩lire (indirect) personne (direct) livre
Le livre a été lu par une personne.
b⟨um⟩asa   ng   aklat   ang   tao.
⟨(past:agent déclencheur)⟩lire (indirect) lire (direct) personne
La personne a lu un livre.

Il existe plusieurs points de vue sur la nature du système de focalisation en tagalog[1]:

  • L’un propose que la focalisation en tagalog se fait par le biais de la voix grammaticale. L’on propose, ensuite, les quatre voix suivantes pour le tagalog :
  1. Voix active
  2. Voix passive (ou passive directe)
  3. Voix locative
  4. Voix instrumentale / bénéfactive
  • Un autre propose que la focalisation en tagalog se fait par le biais du marquage des cas. Par exemple, ang s’emploie quand le groupe prépositionnel est focalisé, tandis que sa est utilisé quand le groupe prépositionnel ne l’est pas. Dans l’exemple ci-dessous, la base verbale est bilí « acheter ».
b⟨in⟩il-hán   ng   tao   ng   aklat   ang   tindahan.
⟨(past:patient déclencheur)⟩acheter-(suffixe locatif) (indirect) personne (indirect) livre (direct) magasin
Le livre a été acheté par la personne au magasin. (Magasin est le focus.)
b⟨um⟩ilí   ang   tao   ng   aklat   sa   tindahan.
⟨(past:agent déclencheur)⟩acheter (direct) personne (indirect) livre (préposition) magasin
La personne a acheté le livre au magasin. (Personne est le focus.)

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) « Austronesian languages, Encyclopædia Britannica Online », sur Encyclopædia Britannica, (consulté en ).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Fay Wouk (dir.) et Malcolm Ross (dir.), The History and Typology of Western Austronesian Voice Systems, The Australian National University, , 474 p. (ISBN 978-0-85883-477-4 et 0-85883-477-4).
  • (en) John Lynch, Malcolm Ross et Terry Crowley, The Oceanic languages, Richmond, Surrey, Curzon Press, , 924 p. (ISBN 978-0-7007-1128-4, lire en ligne).